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Le rapprochement Chine/Laos : entre renforcement de l’Etat et troubles sociaux – Benoît Enkserdjy dit Exer

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A la frontière entre la Chine et le Laos…

Tumultueuses depuis la guerre sino-vietnamienne de 1979, les relations diplomatiques entre la Chine et la RDP Lao[1] connaissent un réchauffement ces dernières années. L’arrêt des querelles idéologiques avec la disparition de l’URSS, ainsi que les réformes économiques du Nouveau Mécanisme Économique (NME)[2] de 1986 sont à l’origine de ce rapprochement. Les deux nations apparaissent aujourd’hui comme des partenaires privilégiés, à l’image des rencontres officielles fréquemment organisées[3].

Une relation basée sur les investissements et les coopérations

La relation sino-laotienne a connu un réchauffement, car elle apporte des bénéfices aux deux pays. Effectivement, le Laos a besoin de financements étrangers pour développer des infrastructures et mettre en valeur son territoire. Dès lors, capter une partie des financements du « géant chinois » – 3e place au rang des investisseurs mondiaux avec 84 milliards d’Investissements Directs Étrangers (IDE) en 2013[4] – est donc stratégique et nécessaire pour les autorités laotiennes. Du coté chinois, investir au Laos, c’est perpétuer la « Going Out Strategy »[5] et avoir accès aux ressources hydroélectriques, minières et naturelles de leur voisin. C’est pour cette raison que la Chine fait partie des principaux financeurs de projets au Laos de la période 2000-2011.

La Chine et la RDP Lao se sont également rapprochées par le biais de partenariats stratégiques. Des accords ont été passés pour une coopération plus étroite sur des sujets comme la gestion des zones frontalières, des crimes transnationaux ou la lutte contre le terrorisme[6], mais aussi sur l’aide apportée à la modernisation de l’armée lao[7]. Il y a également eu la signature de conventions pour augmenter les échanges culturels, d’où le fait que des cursus gratuits dans les universités chinoises sont offerts aux étudiants et aux cadres du pouvoir laotien[8].

Une présence chinoise qui développe le pays, mais bouleverse la société

La présence d’une diaspora chinoise n’est pas un fait nouveau au Laos, elle a toujours existé[9], mais elle n’a jamais atteint un nombre aussi important que dans le reste de l’Asie du Sud-Est, en raison de l’enclavement du pays. Bien qu’amoindrie par l’arrivée des communistes en 1975[10], la communauté chinoise au Laos connaît une hausse de ses effectifs depuis la restauration des rapports diplomatiques entre la Chine et la RDP Lao. Attirés par le développement d’infrastructures et la croissance économique, de nombreux travailleurs chinois viennent actuellement au Laos. La frontière est poreuse, et il n’existe pas de chiffres officiels. Cependant, une étude de 2014 de Danielle Tan et Caroline Grillot[11] estime à 300 000 le nombre de Chinois présents en RDP Lao. Cette immigration, poussée par les opportunités économiques, est en rupture avec la traditionnelle diaspora chinoise qui avait l’habitude de s’adapter à la culture laotienne, en adoptant par exemple des noms laotiens[12]. A contrario, ces nouveaux arrivants ne cherchent pas à s’intégrer à la culture et à la société laotienne. Ils viennent simplement travailler sur un marché en plein essor et moins concurrentiel qu’en Chine[13].

L’arrivée de ces « Chinois d’outre mer[14] » a plusieurs répercussions sur la RDP Lao. Leur présence engendre un phénomène de « sinisation », visible dans plusieurs villes du nord du Laos. Les personnes se rendant dans des villes comme Oudomxay, Luang Namtha ou les alentours de Luang Prabang[15] peuvent remarquer les nombreuses enseignes écrites en chinois. De même, cette immigration crée des bouleversements sur le marché du travail, car les Chinois sont une main-d’œuvre qualifiée habituée à des cadences de travail intensives[16]. Ainsi, dans les domaines minier et de la construction, les postes qualifiés comme celui de technicien sont majoritairement détenus par des Chinois[17]. Par ailleurs, les bâtiments financés par des fonds chinois sont réalisés par des ouvriers venant de Chine[18]. C’est cette pratique qui parfois cristallise dans la population laotienne un sentiment de concurrence déloyale et de menace pour leur identité[19]. Cela a, par exemple, été le cas avec la donation de terrains autour de Vientiane, à la suite des jeux Asiatiques de 2009[20].

A cet égard, les territoires concédés à la Chine sont aussi au cœur de tensions car les concessions sont souvent situées à proximité ou à l’intérieur des villages[21]. En conséquence, Il y a des expropriations de villageois qui favorisent l’exode rural au Laos et entraînent parfois des violences[22].

Un renforcement du régime laotien

La pénétration chinoise en RDP Lao se fait avec la bénédiction des autorités laotiennes, comme en témoigne la visite de Choummaly Sayasone[23] à Beijing le 29 juillet 2014[24]. En effet, pour le régime laotien, la Chine apparaît comme un partenaire stratégique à bien des égards. Elle permet d’élargir la liste des financeurs étrangers dont la RDP Lao a besoin pour se développer. D’ailleurs, il faut rappeler que le rapprochement des deux pays s’est opéré durant la crise financière asiatique de 1997, pour casser la dépendance du Laos envers l’économie thaïlandaise. En outre, les aides financières apportées par la Chine ne sont pas conditionnées à des principes de bonne gouvernance ou au respect des droits de l’homme. En ce sens, la Chine apparaît comme un allié face aux critiques occidentales[25] dont le régime laotien est la cible.

Par ailleurs, les IDE chinois sont réalisés dans des projets frontaliers et des zones reculées du Laos comme à Boten et Bokeo, et permettent ainsi la réaffirmation de l’Etat laotien sur ces régions éloignées. Effectivement, comme le rappellent Caroline Grillot et Danielle Tan, les autorités laotiennes ont toujours eu des difficultés à exercer leur autorité sur les zones reculées[26]. Dès lors, le désenclavement de ces territoires permet à l’Etat de confirmer son contrôle sur ces populations. Il lui permet également d’éviter l’apparition d’une classe aisée qui pourrait remettre en cause le régime laotien : « les réseaux chinois permettent à l’Etat central de rentabiliser les hautes terres du Nord tout en empêchant l’émergence d’une bourgeoisie du Nord. »[27].

Enfin, le rapprochement avec la Chine permet au gouvernement laotien de se lier avec un pouvoir qui suscite l’intérêt dans la jeune génération. Comme l’indique Martin Stuart-Fox le régime laotien craint une évolution démocratique dans le pays[28]. Pour cette raison, le modèle politique chinois autoritaire représente une alternative à la démocratie, que les autorités souhaitent suivre.

Un risque de fractures et de divisions internes

L’ancrage de la RDP Lao à la « locomotive chinoise » permet au pays de se développer, c’est ce dont témoigne la croissance du PIB entre 7% et 8% depuis 2004[29]. Néanmoins, il se fait jour une possible fracture entre les urbains laotiens, qui profitent de cette dynamique, et les ruraux qui peuvent en subir des conséquences néfastes (expropriations et pollutions). D’ailleurs, un mouvement d’exode rural est actuellement à l’œuvre au Laos[30]. Cependant, il ne faut pas tomber dans le piège réducteur d’accuser la Chine d’être responsable des désordres sociaux rencontrés par la RDP Lao. L’empire du milieu fait partie des acteurs financiers présents au Laos au même titre que la Thaïlande, le Vietnam et d’autres pays de moindre envergure.

Dans un autre domaine, l’arrivée de la Chine au Laos a des conséquences géopolitiques. Elle crée une fracture entre la vieille élite politique favorable aux liens avec le Vietnam, et la jeune génération qui souhaite un rapprochement avec la Chine[31]. Cette même cassure avait déjà eu lieu en 2001 avec la nomination d’un Premier ministre accommodant avec la Chine, Bounnhang Vorachit[32], alors que son prédécesseur, Sisavath Keobounphanh était bienveillant à l’égard du Vietnam. Par conséquent, la prise de fonction du poste de Président de la République populaire lao par Bounnhang Vorachit, le 20 avril 2016, va probablement accentuer la relation sino-laotienne.

 Benoît Enkserdjy dit Exer, diplômé du master Géoéconomie et intelligence stratégique de l’IRIS et intervenant extérieur pour Les Yeux du Monde

 

[1] République démocratique populaire lao.

[2] Par cette réforme économique plusieurs mesures sont prises comme la privatisation d’entreprises et la libéralisation des prix pour favoriser l’économie de marché.

[3] De nombreuses rencontres ont lieu entre les gouvernements des deux pays : le 1er septembre 2014, le 31aout 2015, le 5 mai 2016.

[4] CNUCED, « rapport sur l’investissement dans le monde 2013 », vue d’ensemble, 2013. URL : http://unctad.org/fr/PublicationsLibrary/wir2013overview_fr.pdf

[5] Stratégie initiée au début des années 2000 par la Chine pour faire investir ses entreprises dans des projets à l’étranger.

[6] Article du site Xinhuanet.com, « le Laos et la Chine s’engagent à renforcer leurs relations bilatérales », 2014. URL : http://french.xinhuanet.com/chine/2014-07/29/c_133516880.htm

[7] Menras André, « Laos, Cambodge et Vietnam, premiers dominos de l’expansionnisme chinois ? », dossier recherches internationales, 2009.

[8] Thul Prack Chan, Petty Martin, « L’ambition chinoise menace l’unité de l’Asie du Sud Est. », le nouvel observateur, 18/08/2012.

[9] Rosseti Florence, « La renaissance du fait chinois au Laos (à l’heure de la nouvelle paix indochinoise)», perspectives chinoises, 1997.

[10] Durant la guerre du Vietnam, les investissements américains au Laos avaient engendré l’installation de nombreux Chinois venus commercer et s’enrichir. Ces nouveaux arrivants ont du s’enfuir en 1975 en raison de l’arrivée des communistes laotiens au pouvoir et de la rupture des relations diplomatiques entre les deux nations.

[11] Tan Danielle et Grillot Caroline « L’Asie du Sud-est dans le « siècle chinois » (Cambodge, Laos, Viêt Nam) », carnet de l’IRASEC série observatoire 06.

[12] Rosseti Florence, op.cit.

[13] Tan Danielle et Grillot Caroline, op.cit.

[14] Expression chinoise qui qualifie traditionnellement la diaspora chinoise.

[15] Expérience personnelle.

[16] Menras André, op.cit.

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] Taillard Christian, « Laos. 60eme anniversaire de l’indépendance. La régionalisation rapide d’un pays enclavé ? » France-Culture, 22/10/2013.

[21] Mottet Eric, « Au Laos, la nouvelle aventure minière pourra-t-elle se dérouler sans conflits ? », les Cahiers d’Outre Mer [En ligne], 262 Avril-Juin 2013.

[22] Bouté Vanina « Nouveaux phénomènes migratoires au Laos : l’exode rural vers les villes », 4eme congrès du réseau Asie et pacifique, 14 et 16 Septembre 2011.

[23] Président de la République Laotienne de 2006 à 2016, remplacé par Bounnhang Vorachith.

[24] Lors de cette visite, la RDP Lao et la Chine se sont engagées à approfondir leurs relations bilatérales. URL : http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n/2014/0729/c31354-8762176.html

[25] Mottet Eric « Géopolitique des ressources de la RDP Lao. Appropriation, développement et intégration régionale » thèse, université Laval Québec Canada, 2014.

[26] Tan Danielle et Grillot Caroline, op.cit.

[27] Ibid.

[28] Guégan François, « “Les ONG internationales dans le tourbillon du développement. Quelques réflexions à partir de la situation au Laos », Cultures & Conflits [En ligne], 60 | hiver 2005, mis en ligne le 10 mars 2006, consulté le 26juillet 2015. URL : http://conflits.revues.org/2005

[29]Chiffres récupérés sur le site internet Perspectivemonde.com. URL : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codeTheme=2&codeStat=NY.GDP.MKTP.KD.ZG&codePays=LAO&langue=fr

[30] Boute Vanina, « Nouveaux phénomènes migratoires au Laos : l’exode rural vers les villes », Paris, 4eme congrès du réseau Asie et pacifique, 14 et 16 Septembre 2011.

[31] Mottet Eric « Géopolitique des ressources de la RDP Lao. Appropriation, développement et intégration régionale », op.cit.

[32] C’est la présidence du conseil des ministres du Laos de 2001 à 2006 par Bounnhang Vorachit qui a permis l’approfondissement de la relation entre l’Etat chinois et l’Etat laotien.

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