Les Yeux du Monde

Actualité internationale et géopolitique

Asie et OcéanieProche et Moyen-Orient

L’Afghanistan post-accord USA-Taliban

Shares

Le 29 février, Washington annonçait le retrait de l’armée américaine sous quatorze mois hors d’Afghanistan. Cette déclaration fait suite au processus de Doha, où les Etats-Unis ont négocié avec les Taliban depuis au moins 2011. Cet accord ouvre de nouvelles perspectives pour l’Afghanistan, mais pose également de nombreuses questions.

Un processus de dialogue nécessaire

Le Président Ashraf Ghani et son rival Abdullah Abdullah

Le processus de dialogue avec les Taliban n’est pas nouveau. Il est notamment évoqué en 2010 lors de la conférence de Londres, par le Président d’alors, Hamid Karzai. Des négociations américano-taliban ont lieu à Doha dès 2011, mais échouent. Ce processus était resté relativement discret, notamment dû à la mauvaise image des Taliban. Toutefois, durant la décennie 2010, une succession d’événements précipitent le départ des forces américaines.

Tout d’abord, l’Afghanistan devient un théâtre secondaire pour les intérêts de sécurité américains, comparé à la menace grandissante de l’Etat Islamique en Syrie et en Irak. Ensuite, malgré une présence militaire d’une décennie, la situation ne s’améliore pas en Afghanistan. Les Taliban contrôlent soixante quatorze districts afghans, et en disputent cent quatre vingt dix (sur un total de trois cent quatre-vingt-dix-sept). Près de 20% du territoire afghan est sous contrôle Taliban, près de 50% est contesté. La prise de Kunduz, dans le nord, pendant quelques jours, montre leur efficacité militaire. Les réponses américaines à l’inverse font de nombreuses victimes civiles. Dans la reprise de Kunduz, des frappes américaines ciblent un hôpital tenu par Medecins Sans Frontières. Sur le premier trimestre 2019, les Taliban ont fait moins de victimes civiles que les forces pro-gouvernement. L’image de pacification est donc fortement écornée.

Enfin, l’apparition de Daesh Wilayat Khorasan est une nouvelle menace pour les Etats-Unis, le gouvernement de Kaboul, les autres Etats de la région, et les Taliban. Ceux-ci deviennent l’une des forces en présence qui lutte contre le groupe transnational, coopérant de fait avec les ennemis traditionnels de Kaboul et de Washington. Leur efficacité sur le terrain leur permet de prendre définitivement Jowzjan, et d’en déloger l’Etat Islamique. Dans ce contexte, les Etats-Unis ont plus intérêt à travailler avec les Taliban, et quitter le sol afghan, qu’à leur faire la guerre.

Un accord fragile

L’accord reste toutefois fragile. Il ne se fera qu’à condition que les Taliban respectent les conditions de l’accord. Eux-mêmes ne les respecteront que si les Etats-Unis respectent les leurs. Le 4 mars dernier, les Etats-Unis annoncent des frappes aériennes dans le sud du pays contre les positions des Taliban, menaçant la crédibilité des parties de l’accord.

L’accord comporte une autre une grande limite : il n’inclut pas le gouvernement afghan. L’Iran est d’ailleurs l’un des premiers Etats à avoir critiqué l’accord, qui n’associe pas les autorités reconnues comme légitimes. Kaboul rappelle de son côté que les cinq-mille Taliban emprisonnés ne seront pas libérés dans le cadre de cet accord. Les Taliban, à l’inverse, attendent cette libération comme l’une des clauses de l’accord avec Washington. L’administration américaine doit désormais convaincre le gouvernement afghan de prendre des mesures suite à des négociations où il n’était pas représenté.

Le gouvernement toujours divisé

La question de la représentation du gouvernement afghan se pose d’autant plus que celui-ci est en pleine crise. Lors des élections de 2014, Ashraf Ghani succédait à Hamid Karzai dans des conditions de transparence plus que douteuses. Son principal adversaire, le Docteur Abdullah, ancien membre de l’Alliance du Nord d’Ahmad Shah Massoud, conteste les résultats. La pression de la Communauté Internationale, qui a pris fait et cause pour Ghani, a permis une médiation et une solution ; le Docteur Abdullah est devenu une sorte de Premier ministre de Ghani. Un scénario similaire se répète en 2019. Cette fois, les observateurs déclarent que les élections ont été transparentes, avec Ghani vainqueur. Mais Abdullah s’est également déclaré vainqueur, a commencé à nommer son propre gouvernement et même un gouverneur à Jowzjan. Le faible taux de participation à ces élections, autour de 20%, montre le manque de crédibilité du gouvernement.

Ainsi, l’accord entre les Etats-Unis et les Taliban marque avant tout une victoire pour le groupe insurgé, et une porte de sortie pour Washington. En revanche, l’exclusion du gouvernement afghan de cet accord révèle le peu d’importance accordé à cet acteur, déjà considérablement affaibli par ses divisions. Si la paix semble se rapprocher entre les signataires de l’accord, un Afghanistan pacifié n’est pas forcément à l’ordre du jour.

Shares

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *