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Les îles Diomède : à la croisée du temps et de l’espace

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“I can see Russia from my house” disait Sarah Palin, candidate vice-présidente républicaine à l’élection américaine de 2008. Bien que largement décriée, cette phrase n’en est pourtant pas fausse. En effet, moins de 4 km séparent les États-Unis et la Russie aux îles Diomède situées au sein du détroit de Béring

La découverte des îles Diomède

Vitus Béring, explorateur ayant donné son nom détroit de Béring.
Vitus Béring, explorateur ayant donné son nom au détroit de Béring.

La première découverte européenne des îles Diomède a lieu en 1648 par l’intermédiaire du pomor Simon Dejnev. Après plusieurs semaines de navigation le long des côtes de la presqu’île de Tchoukotka, l’explorateur russe atteint le fleuve Anadyr au sein de l’océan Pacifique et fonde la ville du même nom. Il découvre également le détroit d’Anián et la bande de terre de la Béringie. Toutes les îles découvertes passent sous domination russe. Il donne son nom au cap Dejnev, point le plus oriental du continent asiatique. 

La seconde découverte des îles Diomède est à mettre au crédit de l’explorateur danois au service de la marine russe, Vitus Béring. Le 16 août 1728, jour de la Saint Diomède, le navigateur découvre deux îles qu’il nommera les Îles Diomède. Par la suite, ce dernier donne son nom au détroit de Béring. 

En 1732, le géodésien russe Mikhaïl Gvozdev prend part à une expédition en direction du cap Prince-de-Galles. Sur sa route, il cartographie plusieurs îles du détroit de Béring. Les îles Diomède, également appelées îles Gvozdev ou “Ignaluk” en inupiaq en font partie. 

Situées au milieu du détroit de Béring, entre la Sibérie et l’Alaska, les îles Diomède se composent de deux îles rocheuses séparées par un peu plus de 3 km. Elles sont à l’origine des tuyas, îles d’origine volcanique caractérisées par un sommet plat et des pentes raides. Au sud-est des îles se trouve Fairway Rock, piton rocheux américain.

Les îles Diomède : nouvelle frontière russo-américaine

Au milieu du XIXème siècle, le tsar Alexandre II envisage la vente de l’Amérique russe qu’il juge difficilement protégeable en cas de conflit. Ne souhaitant pas céder l’actuel Alaska à l’empire britannique qui possède le Canada, l’empire de Russie entre en discussion avec les États-Unis.

Malgré l’opinion publique américaine plutôt défavorable au projet, un accord est trouvé le 30 mars 1867. Les États-Unis font l’acquisition d’1,6 million km² russe en Amérique contre 7,2 millions de dollars. La Petite Diomède fait partie de la transaction et passe sous pavillon américain.

Conséquemment au traité, une nouvelle frontière entre les deux pays est établie. Elle sépare de manière équidistante la Petite Diomède ou île Krusenstern (États-Unis) de la Grande Diomède ou île Ratmanov (Empire Russe). En raison de l’établissement de la ligne de changement de date au milieu des deux îles, la Grande Diomède possède 21 heures d’avance sur sa voisine, la Petite Diomède. Ainsi, ces îles sont respectivement surnommées “l’île de Demain” et “l’île d’hier”. 

Malgré l’établissement de la frontière internationale, les Iŋalikmiouts des îles Diomède continueront à se rencontrer secrètement pendant plusieurs années.

“Le rideau de glace” de la guerre froide

Au cours des conflits du XXème siècle, le détroit de Béring est un lieu stratégique d’une grande importance. Durant la Guerre Froide, les îles Diomède représentent le point le plus proche entre les deux superpuissances américaines et soviétiques. La frontière entre la Petite Diomède et la Grande Diomède est surnommée “rideau de glace” en référence au “rideau de fer” qui sépare alors l’Europe en deux. 

À partir de 1939, la Grande Diomède se transforme en base militaire russe. Les Iŋalikmiouts présents sur l’île sont relocalisés dans la région de Tchoukotka. Après la seconde guerre mondiale, l’île ne compte plus d’habitant permanent. 

Le village de la Petite Diomède (États-Unis), en 2018.
Le village de la Petite Diomède (États-Unis), en 2018.

De l’autre côté, la Petite Diomède reste habitée de manière permanente. Afin d’améliorer la qualité de vie des locaux et de les raccrocher au reste du monde, les États-Unis investissent progressivement dans des infrastructures de base : une école, un réseau électrique permettant l’accès à la télévision et à la radio ou encore un héliport pour permettre de transporter des vivres et du courrier sur l’île.

 

L’année 1987 marque la baisse des tensions dans la mer de Béring. La nageuse Lynne Cox réalise la prouesse de traverser à la nage la distance séparant les îles Diomède. Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev félicitent conjointement l’acte symbolique réalisé par l’américaine. Quelques mois plus tard, lors de la signature du traité FNI, le président de l’Union soviétique disait à ce propos : “Elle a prouvé par son courage à quel point nos peuples sont proches les uns des autres.”

Quel avenir pour les îles Diomède ?

La fin de la Guerre froide et la chute de l’Union soviétique n’ont pas mis fin au statut d’espace stratégique de haute importance du détroit de Béring. D’un côté, plusieurs projets de coopération internationale visant à relier les continents asiatiques et américains par un pont ou un tunnel ont été envisagés. De l’autre, le développement de bases militaires russes est toujours en cours et de nombreuses opérations de patrouilles militaires des nations limitrophes (Chine, Russie, États-Unis, notamment) sont observées.

D’un point de vue environnemental, les îles Diomède subissent le réchauffement climatique plus fortement qu’ailleurs. Ce phénomène du nom d’amplification polaire a de nombreuses conséquences dans la mer de Béring. 

Tout d’abord, la diminution de la superficie de la banquise affecte significativement la faune et la flore locales. L’ensemble de la chaîne alimentaire est touchée, y compris les locaux vivant de la pêche. Ensuite, la fonte des glaces entraîne également une hausse du niveau de la mer, dangereuse pour les territoires côtiers comme les îles Diomède. 

Enfin, d’un point de vue économique, les conséquences du changement climatique permettent d’envisager l’augmentation du transport maritime dans la région. Actuellement ce dernier est peu développé. Cependant, l’actuel accroissement de la fonte des glaces est susceptible de faciliter le passage maritime par le nord dont le détroit de Béring est un point de passage majeur.

La Russie en fait notamment un objectif majeur. En 2019, elle fait part de son ambition de quadrupler son tonnage de fret transporté par la Route maritime du Nord d’ici 2025. Les moyens joints à la parole, elle investit dans le développement de ses infrastructures portuaires et de sa flotte maritime. 

Il semble probable qu’à l’avenir les îles Diomède et les Iŋalikmiouts se retrouvent de nouveaux bouleversés par les enjeux géopolitiques du monde contemporain.

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Esteban MORON

est étudiant à Kedge Business School. Passionné par la géopolitique, il s'intéresse notamment aux relations internationales de l'Union européenne et de ses pays membres.

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