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David Cameron face à Bruxelles: céder à Londres pour sauver l’Union

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Une Europe à la carte. C’est ce que semble avoir entériné David Cameron avec l’accord du 17 février. Bruxelles a indéniablement cédé à la quasi-totalité des demandes de M. Cameron : de l’encadrement des prestations sociales pour les ressortissants européens vivant au Royaume-Uni à la préservation des intérêts de la City de Londres (qui restera la porte d’entrée des entreprises étrangères souhaitant s’implanter en Europe), la Grande Bretagne a négocié un statut très particulier au sein de l’Union Européenne.

L'accord négocié par M. Cameron ce vendredi au Conseil Européen était nécessaire pour ne pas entamer un peu plus la perte de vitesse du processus d'intégration européenne
L’accord négocié par M. Cameron ce vendredi au Conseil Européen était nécessaire pour ne pas entamer un peu plus la perte de vitesse du processus d’intégration européenne

Ce statut particulier, le Royaume-Uni en a pourtant toujours bénéficié depuis son entrée dans l’UE en 1973 : le Royaume-Uni ne fait par exemple pas partie de la zone euro et n’a pas ratifié la totalité des accords Schengen. Cette fois pourtant, l’effort de concession entrepris par Bruxelles s’effectue dans le contexte devenu presque structurel d’effritement du projet européen. Si la comparaison avec le Grexit de l’année passée est bien peu légitime, force est de constater que l’idée d’un Brexit, avancée par Cameron, a remué de mauvais souvenirs à Bruxelles. Une nouvelle fois, l’Union est menacée d’implosion et c’est tout simplement la deuxième économie de l’UE derrière l’Allemagne qui menaçait de quitter le projet européen. Une menace qui a rapidement eu raison des argumentaires des dirigeants européens contre les demandes britanniques.

Pourquoi David Cameron a-t-il obtenu gain de cause ?

Le Royaume-Uni a montré qu’il était possible de tenir tête, seul, à 27 Etats plus ou moins persuadés que l’Union Européenne peut s’exprimer d’une seule voix. Le succès de M. Cameron est l’archétype de cette idée que l’Union Européenne ne répond plus aux crises par une plus forte intégration des 28 économies qui la composent. Face à l’aporie d’une logique d’intégration à marche forcée qui avait fortement menacé les pays de l’Est nouvellement intégrés en 2004, l’UE réfléchit à des solutions alternatives, misant sur la possibilité pour un pays membre de moduler les conditions de son adhésion. Une Union plus souverainiste alors ? Les dangers du souverainisme pour le projet européen sont connus : montée des nationalismes voire des indépendantismes (Ecosse, Catalogne…), rapprochement de petits pays (comme cela s’est vu récemment avec la constitution du groupe de Visegrad), constitution d’une Europe à 2,3,4 vitesses…et finalement perte d’un consensus européen. Pourtant, l’Union a bien du mal à porter un projet regroupant près de 30 pays (la Serbie est en passe de devenir le 29ème état membre, la Bosnie-Herzégovine a quant à elle récemment déposé son dossier d’adhésion à l’UE) et semble tirer la conclusion que ses lacunes en matière de politique commune viennent de la facilité qu’ont certains états membres à se reposer sur une léthargique politique supranationale. Bien sûr, le dossier des aides sociales versées aux ressortissants européens vivant sur le sol britannique crée des différends houleux au sein de l’Europe, en particulier avec les pays de l’Est qui se sentent directement visés par ces restrictions (la Grande Bretagne compte notamment de nombreux ressortissants hongrois et polonais). Mais la crise grecque a montré aux Européens que la politique du « toujours plus d’Europe » ne peut plus faire office de solution durable. Le retour en arrière de l’Union Européenne sur le degré d’intégration de certains de ses membres n’est pas, en soi, une régression sur le plan politique si elle peut permettre d’éviter le pire, c’est-à-dire la sortie volontaire d’un état membre de l’Union Européenne.

C’est bien la mise à exécution de la menace britannique et le risque de contagion que cherchait à tout prix Bruxelles en cédant à David Cameron. Le discours eurosceptique britannique gagne déjà de plus en plus d’états européens, à commencer par la Pologne dont le gouvernement populiste semble se passer de l’avis de Bruxelles sur bien des mesures de politique intérieure.

Mais surtout, l’effritement du projet européen et la sortie du Royaume-Uni permettraient aux Etats-Unis de renouer avec nos voisins d’outre-Manche une relation fusionnelle sur le volet militaire. Dépourvue de l’une des deux seules puissances militaires encore aujourd’hui crédibles (le Royaume Uni et la France), l’UE n’aurait alors plus de quoi empêcher Washington de faire de la Grande Bretagne une base avancée américaine sur un continent européen que les Européens eux-mêmes n’auraient plus la capacité de défendre face aux ambitions poutiniennes en Europe de l’Est. Dépossédée de sa zone d’influence propre, l’Union Européenne se verrait renvoyée à la situation précédant sa création au début de la Guerre froide, un continent sans unité, régi par l’opposition stratégique entre deux grandes puissances se partageant le gâteau « Europe ».

Alors que la crise grecque et la question migratoire sont toujours d’actualité, l’Union Européenne a donc souhaité ce vendredi éviter d’ajouter un nouveau point d’achoppement entre les 28. Au risque, bien entendu, de susciter les convoitises d’autres membres, décidés à saisir l’opportunité de cette Union à la carte. Mais n’oublions pas que c’est la singularité de la position du Royaume-Uni au sein de l’UE, et surtout la santé de l’économie britannique qui donnaient tant d’arguments à David Cameron face à Bruxelles. Deux arguments que bien peu de pays membres pourraient à l’heure actuelle avancer, s’ils venaient à imiter les manœuvres diplomatiques de Londres.

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