L’Europe face au désordre stratégique international (1/3)
Le mercredi 6 avril 2016, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) organisait une journée de conférences centrées sur l’Europe. 3 tables-ronde se succédaient : la première avait pour thème : Schengen, Brexit, euroscepticisme, extrémismes : comment ranimer le débat démocratique européen ? ; la seconde traitait du rôle de l’Union européenne sur les scènes régionale et internationale ; la troisième s’intitulait : vers une stratégie de défense européenne. Abordons maintenant le premier sujet : Schengen, Brexit, euroscepticisme, extrémismes : comment ranimer le débat démocratique européen ?
Jean Quatremer, journaliste spécialiste de l’Europe, ouvre le débat avec un constat relativement alarmant : « Le paysage est dévasté en Europe ». Selon lui, la succession des crises financière, économique, celle de la zone euro et celle des réfugiés menacent le projet européen dans l’indifférence générale des citoyens européens. La Commission européenne s’est affaiblie voire suicidée et c’est désormais le Conseil européen (le conseil des 28 chefs d’Etat) qui décident de tout, la Commission européenne ayant perdu l’essentiel de son pouvoir. La possibilité d’un Brexit, la montée des extrémismes et de l’euroscepticisme alimentent la désintégration de l’Union européenne. Jean Quatremer insiste sur le fait que nous avons intégré trop vite les pays d’Europe orientale qui voient l’UE comme un porte-monnaie mais n’en partagent pas les valeurs.
Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne (1999-2004) et ancien Premier ministre italien, intervenait ensuite. Selon lui, durant son temps à la Commission, la construction de l’élargissement et la constitution européenne avaient déjà pour but de contrer les nationalismes qui montaient. La Commission avait du pouvoir à l’époque. Aujourd’hui le pouvoir est détenu par le Conseil européen et donc les Etats qui se réunissent chaque mois. Déjà du temps de Romano Prodi à la tête de la Commission européenne, le problème central était le manque d’implication et l’absence de prise de position de la France. L’Allemagne était présente mais seule. Selon Romano Prodi, les Allemands commandent aujourd’hui à Bruxelles car personne ne veut plus relancer le projet et prendre une position forte. Pour l’économiste qu’il est, le Pacte de stabilité et plus largement les politiques d’austérité sont stupides car parfois un pays peut avoir besoin de creuser son déficit ponctuellement pour mieux rebondir à moyen terme. Il a donc pour cela besoin de souplesse et non d’austérité.
Un des manquements de l’Union européenne était qu’il n’existait aucun contrôle commun des comptes ce qui explique les erreurs de la Grèce. Pour Romano Prodi, le Conseil européen était inutile pour gérer la crise grecque car l’Allemagne décide seule et la Grèce est spectatrice. La crise migratoire est encore plus grave que la crise grecque car ce n’est plus un problème d’argent mais un problème culturel et de civilisation. Il s’agit presque d’un problème psychologique puisque les migrations font peur aux citoyens européens qui les perçoivent comme des menaces.
Romano Prodi concluait par une comparaison historique. Au XVe siècle, l’Italie était à l’avant-garde : c’était une grande puissance méditerranéenne. Mais lors des Grandes découvertes menées par les Espagnols et les Portugais, l’Italie est restée divisée et s’est retrouvée déclassée au lieu de poursuivre la course technologique et bâtir de plus grandes caravelles pour rivaliser avec les Espagnols et les Portugais sur les océans. Aujourd’hui, l’Union européenne se trouve dans la même situation que l’Italie jadis. Les nouvelles caravelles sont américaines et chinoises. Elles s’appellent AliBaba, Google ou Apple et l’Europe n’a rien à proposer en face. Et de conclure avec une anecdote sans appel : « Après ma retraite politique, j’ai enseigné pendant 6 ans à la China Europe International Business School de Pékin. La 1ère année les étudiants chinois voulaient tous un cours sur l’UE, la dernière année plus aucun Chinois n’en voulait ». C’est l’image même de l’Europe, son soft power qui est désormais entamé.