La Turquie dans les Balkans : pragmatisme diplomatique ou nostalgie ottomane?
Le coup d’État avorté en Turquie durant l’été 2016 a suscité de nombreuses réactions à travers le monde et notamment en Europe de l’Est. Celles-ci sont le signe d’une influence croissante d’Ankara qui se dessine à nouveau dans la région, et ce depuis deux décennies.
Un héritage ottoman au service de la diplomatie turque dans les Balkans
La présence turque dans les Balkans est fortement marquée par l’histoire. Celle-là même qui se dessine pendant plus de 600 ans, entre 1299 et 1922, période durant laquelle l’Empire ottoman prospère du continent asiatique à l’Europe, en passant par le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Pendant six siècles, les Balkans sont ainsi l’un des territoires d’un Empire qui reste, aujourd’hui encore, un élément clé de compréhension de cette région.
Ce n’est qu’à la fin de la première guerre mondiale que de nombreux pays vont s’extraire pour de bon du « joug ottoman » (la Grèce acquiert son indépendance en 1830, la Serbie en 1878, la Bulgarie en 1908,…). Durant l’entre-deux guerres, la Turquie doit apprendre à réconcilier des âmes écorchées par plusieurs décennies de conflits et apaiser les tensions à son égard. Ces indépendances et les mouvements issus des différentes revendications constituent une « pierre angulaire de l’identité balkanique »[1], bien que les liens culturels entre la Turquie et les Balkans persistent encore aujourd’hui.
L’éclatement de l’ex-Yougoslavie marque le retour d’une diplomatie turque active dans la région. Cela se produit à travers la participation de la Turquie dans les différentes structures de coopération régionale visant à stabiliser un territoire en pleine crise. Pour cela, Ankara endosse successivement son costume de pays membre de l’OTAN et d’État désireux d’intégrer l’UE. Surtout, le réinvestissement diplomatique de la Turquie dans la région se construit en deux temps. Les autorités turques s’appuient d’abord sur les pays à forte population musulmane pour étendre l’influence d’Ankara (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo), avant d’élargir ensuite cette influence à d’autres États (Serbie, Grèce…). Cet héritage ottoman est en effet vu comme un instrument politique qui permet aux autorités turques de jouir d’un certain magnétisme en Europe de l’Est.
Ainsi, la diplomatie turque s’exprime à travers la construction d’écoles ou d’instituts culturels en Albanie, par l’apport de capitaux dans la reconstruction d’infrastructures en Serbie (aéroport de la ville de Kraljevo, routes dans la région du Sandjak – région serbe majoritairement musulmane), ou encore à travers des aides financières pour la reconstruction du pont de Mostar en Bosnie-Herzégovine, symbole historique de paix entre les peuples de la région. En ce sens, Ankara se veut être un acteur de réconciliation dans les Balkans, mais pas seulement.
La politique étrangère turque en Europe de l’Est : les dessous d’une ambition régionale
La réévaluation constante de l’héritage ottoman dans la politique étrangère turque vis-à-vis des Balkans s’explique aussi par la recherche d’Ankara d’un accroissement de son influence dans ses rapports avec l’Union européenne. Il s’agit pour le pays de se poser en une alternative crédible dans la région alors même que les pays occidentaux ont du mal à répondre aux attentes financières et aux exigences des États de la région. Mais tout l’intérêt d’Ankara est aussi de montrer à l’UE que le pays est capable de faire preuve de leadership sur ce territoire.
Tout cela se joue dans un contexte de durcissement du régime du Président Erdoğan qui organise, depuis le coup d’État avorté [2], un grand nombre de purges au sein de l’administration turque. Dans les Balkans, le pouvoir turc accentue la pression sur plusieurs gouvernements dans le but de traquer les réseaux liés de près ou de loin à Fethullah Gülen.
Ankara semble avoir pris le parti de mener une diplomatie multiforme et tout azimuts en adéquation avec la vision d’une Turquie puissante sur le plan régional. Pour cela, les autorités s’appuient sur un héritage ottoman certain. Emprunt de « néo-ottomanisme », ce réinvestissement diplomatique en Europe de l’Est traduit le repositionnement de la Turquie à l’échelle régionale, avec l’ambition d’être un acteur de premier ordre dans les années à venir sur la scène internationale.
[1] Luce RICARD, « La Turquie dans les Balkans, relents d’Ottomanisme » ?, Nouvelle Europe, [en ligne], 2011
[2] Pour aller plus loin, « La Turquie et l’UE: des tensions, une rupture? », Mathilde GASSIES, Les Yeux du Monde, https://les-yeux-du-monde.fr/actualite/afrique-moyen-orient/27616-la-turquie-et-lue-des-tensions-une-rupture
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