ActualitésEuropeFranceIntervenants extérieurs

Un soft power culturel français réduit à l’impuissance par la crise sanitaire. Par Nicolas Couzi

Nicolas Couzi est diplômé en relations internationales, spécialité défense, de l’IRIS. Après un parcours à l’étranger, il travaille sur Paris en cybersécurité. Il s’intéresse notamment aux notions de la puissance française sur la scène internationale.

Le « soft power »(1) est un concept théorisé par l’américain Joseph Nye au début des années 1990, s’opposant au « hard power » ou le pouvoir par la force. Le soft power est la capacité d’un Etat à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur par un ensemble de moyens non coercitifs. L’Etat venant ainsi assumer sa puissance en renforçant la légitimité de son action sur la scène internationale. Le but étant d’exercer son influence à l’égard des alliés et des adversaires et d’inclure tous les acteurs des relations internationales (société civile, ONG, organisations internationales, multinationales…).

Le réseau diplomatique, l’attractivité de la culture, le rayonnement du modèle politico-économique (Exemple : la promotion du modèle démocratique) ou la diffusion de valeurs constituent des piliers du soft power. Il s’agit d’utiliser des moyens pacifiques pour convaincre les autres acteurs d’agir ou de suivre une position donnée.

La France championne du soft power

En reprenant la définition du soft power, on remarque que la puissance française s’insère parfaitement dans le cadre théorisé par Nye. D’ailleurs depuis 2015, un classement(2) établit les nations les plus puissantes en termes de soft power. La France se classe première en 2017 et 2019, profitant notamment de l’image de l’élection d’Emmanuel Macron, du vide américain et du Brexit qui grèvent les scores américains et britanniques.

Ce classement basé sur l’opinion internationale, le réseau diplomatique, l’influence numérique et la perception des touristes vient consacrer la puissance française comme égérie culturelle sur la scène internationale. Car à la différence d’autres puissances, le soft power français s’exerce avant tout par sa culture.

Le soft power à la française, un concentré culturel et diplomatique

La France possède une longue tradition culturelle et diplomatique. D’ailleurs dès 1867 et son Guide de Paris, Victor Hugo faisait déjà prédominer le pouvoir doux sur la force, « Autour de cette ville [Paris, NDLR], la monarchie a passé son temps à construire des enceintes, et la philosophie à les détruire. Comment ? Par la simple irradiation de la pensée. Pas de plus irrésistible puissance. Un rayonnement est plus fort qu’une muraille. »(3).

Les responsables politiques français aiment à le rappeler, la France possède ainsi l’un des meilleurs réseaux diplomatiques au monde. Pourtant cette place de premier choix ne va pas forcément de sens en France, dans les cénacles politico-institutionnels on parle régulièrement de « diplomatie culturelle » et non de soft power, terme jugé trop américain. Cependant, ce modèle français s’inscrit dans une longue tradition où l’influence passe par une exportation de la culture française.

Le réseau unique d’Alliances françaises (800) et d’Instituts français (128)(4) constituent une présence généralisée de la culture française sur tous les continents. Ces instances dédiées au dialogue interculturel et à la promotion de la culture française s’inscrivent dans le « story telling » du soft power français. Ce dernier étant la suite logique de la propension française à l’universalisme en bon héritier du Siècle des  Lumières. Ce contrôle de l’imaginaire collectif de la France à l’étranger permet une maitrise de l’image du pays et relève souvent d’un enjeu de souveraineté.

Une crise sanitaire qui bouscule le modèle du soft power français

Grâce à l’exportation de sa culture, la France possède réellement un pouvoir de captation doux. Cependant cette puissance douce est mise à mal par la crise sanitaire qui vient mettre un coup d’arrêt au secteur culturel français. Pour le premier confinement, le département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) a estimé la perte de chiffres d’affaires globale à 22,3 milliards euros(5) soit une baisse de 25% par rapport à 2019. Le spectacle vivant reste le secteur le plus touché avec une baisse du chiffre d’affaires de (-72 %), suivi du patrimoine (-36 %), des arts visuels (-31 %) et de l’architecture (-28 %)(6). Autre pan important de la culture française, le secteur touristique qui représente 8% du PIB français(7) est lui aussi mis à mal, ayant reculé de 25% au premier semestre(8). Ces chiffres montrent clairement comment les fondations du modèle culturel français sont bousculées par la crise sanitaire.

La relance de ce secteur passera certainement par une évolution du modèle à travers l’intégration de nouvelles normes environnementales et sanitaires. Néanmoins l’intégration de ces normes prend du temps et la question du développement culturel n’est pas une priorité pour les instances gouvernementales, en preuve la décision de maintenir la fermeture des librairies, cinémas et autres lieux culturels. La crise étant appelé à durer, ce modèle culturel se retrouve impuissant face à des obligations sanitaires toujours plus importantes.

Face à cette réalité, c’est tout le modèle du soft power à la française qui est mis à mal, la France ne pouvant plus exercer son rayonnement culturel.

Conclusion

Les difficultés actuelles s’inscrivent dans un problème plus profond de la diplomatie culturelle française en général. Non seulement les moyens destinés à la diplomatie culturelle sont limités mais ils souffrent aussi d’un cadre flou sans texte fondateur (en comparaison, l’aide au développement repose sur plusieurs lois et cadres juridiques) tout en étant en constante baisse. La crise que rencontre le secteur culturel est révélatrice des bouleversements que rencontre l’influence française, qui reposant sur un aspect culturel fort se retrouve impuissante face à une crise sanitaire qui la prive de son meilleur atout.

Ce tableau n’est pas complètement défaitiste, d’une part le réseau globalisé d’Alliances françaises et d’Instituts français contribuent à maintenir une présence, certes réduite mais bien présente, culturelle française à l’étranger. D’autre part, la France continue de poursuivre ses partenariats et échanges avec l’étranger et sa présence ne disparaitra pas du jour au lendemain. Cependant, comment l’influence française peut-elle s’exprimer sans ses piliers principaux que sont sa culture et son histoire dans une crise qui est appelé à durer ? Certainement, que des changements profonds sont de rigueur pour le modèle du soft power français avec par exemple le développement d’une influence numérique plus forte et structurée.

 

1 Joseph Nye, Bound to Lead, Basic Books, New-York, 1990.

2 Classement établi par la plateforme « Digital Diplomacy Hub »

3 Victor Hugo, Paris. Introduction au livre Paris-Guide, Edité par A. Lacroix – Verboeckhoven, Paris, 1867.

4 Données issues du site « data.gouv.fr »

5 Enquête du Département des études de la prospective et des statistiques, « L’impact de la crise du Covid-19 sur les secteurs culturels », Ministère de la Culture, Juillet 2020.

6 Ibid.

7 Données issues du site « economie.gouv.fr »

8 Ibid.

Une réflexion sur “Un soft power culturel français réduit à l’impuissance par la crise sanitaire. Par Nicolas Couzi

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *