L’Arménie à la recherche de nouveaux alliés
Alliée traditionnelle de la Russie, l’Arménie s’éloigne progressivement de Moscou depuis sa défaite lors de la deuxième guerre du Haut-Karabagh contre l’Azerbaïdjan. Bien que la région du Haut-Karabagh soit définitivement perdue depuis septembre 2023, la situation entre les deux pays du Caucase du Sud n’est pas pacifiée pour autant. C’est dans ce contexte qu’Erevan se tourne vers de nouveaux alliés, notamment occidentaux, afin d’assurer sa sécurité.
La Russie comme partenaire historique de l’Arménie
L’Arménie et la Russie entretiennent une certaine proximité historique et culturelle. Au 18e siècle, l’Empire russe soutient la cause arménienne, s’érigeant en puissance protectrice des chrétiens du Caucase, notamment afin d’affaiblir ses rivaux perses et ottomans dans la région. Après la chute de l’Union soviétique, à laquelle l’Arménie appartenait, Erevan et Moscou conservent des liens forts. Cette proximité s’illustre par la signature d’un traité d’amitié entre les deux pays en 1997, puis par des rapprochements économique et militaire notamment.
Sur l’aspect économique, la Russie est de loin le premier partenaire commercial de l’Arménie. En 2022, Moscou représentait 44 % des exportations et 30 % des importations totales d’Erevan. De plus, certaines grandes entreprises russes détiennent des positions dominantes en Arménie. C’est notamment le cas de VTB Bank (secteur bancaire), Beeline (télécommunications) ou encore du géant énergétique Gazprom. L’Arménie est également membre de l’Union économique eurasiatique, zone de libre-échange dont le siège est à Moscou, regroupant également la Biélorussie, le Kazakhstan et le Kirghizstan.
Sur le plan militaire et stratégique, la Russie et l’Arménie sont des membres fondateurs de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Cette alliance militaire créée en 2002 compte également la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. En outre, la Russie possède une base militaire sur le sol arménien. La base russe de Gyumri peut compter jusqu’à 5 000 soldats et son contrat de location actuel n’expire qu’en 2044.
Depuis la première guerre du Haut-Karabagh (1988-1992) remportée par l’Arménie contre l’Azerbaïdjan, ces derniers entretiennent des relations conflictuelles et évoluent dans un climat de tension permanent. Erevan voyait alors la Russie comme le garant de sa sécurité. Cette proximité permettait également à la Russie de conserver une influence dans ce que Moscou appelle son « étranger proche », c’est-à-dire l’ensemble des anciennes républiques qui composaient l’Union soviétique.
Le tournant de la perte du Haut-Karabagh
Le Haut-Karabagh est une région montagneuse, historiquement peuplée majoritairement par des Arméniens. En 1921, Staline décide de rattacher le Haut-Karabagh à la république socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan au détriment de la RSS d’Arménie. Profitant de la fragilité de l’Union soviétique, le parlement du Haut-Karabagh vote son rattachement à l’Arménie en 1988, provoquant une guerre entre Arméniens et Azéris. En 1992, l’Azerbaïdjan est vaincu et perd le Haut-Karabagh, qui déclare son indépendance. Certaines régions limitrophes au Haut-Karabagh majoritairement peuplées d’Azéris passent également sous contrôle arménien. La République du Haut-Karabagh voit donc le jour en 1991 et exerce son autorité sur la région, bien qu’elle ne soit reconnue par aucun membre des Nations unies, pas même l’Arménie.
En septembre 2020, l’Azerbaïdjan lance une offensive militaire de grande envergure afin de récupérer les territoires perdus lors de la première guerre. L’armée azérie, grandement soutenue par son allié turc, récupère un tiers du Haut-Karabagh avant qu’un cessez-le-feu ne soit signé le 10 novembre 2020 à Moscou sous l’égide de la Russie. Cet accord prévoit notamment qu’une force militaire de 2 000 soldats russes assure la sécurité de la région. Malgré le cessez-le-feu, les tensions persistent entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En décembre 2022, l’Azerbaïdjan ferme le corridor de Lachine, unique point de passage reliant le Haut-Karabagh à l’Arménie. Ce blocus de plusieurs semaines entraine de graves pénuries de médicaments et de nourriture pour les Arméniens de l’enclave. Malgré les appels à l’aide incessants de l’Arménie, la Russie n’est pas intervenue pour mettre fin au blocus.
En septembre 2023, l’Azerbaïdjan lance une nouvelle attaque contre le Haut-Karabagh et fait plier les forces arméniennes de l’enclave en 24 heures. Le nouvel accord de cessez-le-feu prévoit notamment le retrait des forces arméniennes de la région et la reddition, la dissolution et le désarmement complet de l’armée d’autodéfense du Haut-Karabagh. Quelques semaines après la victoire azérie, la quasi-totalité des 120 000 Arméniens du Haut-Karabagh a quitté l’enclave. Le Premier ministre de l’Arménie dénonce un « nettoyage ethnique » de la région.
L’Arménie reproche à la Russie de n’avoir pas réagi face aux attaques de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabagh, malgré la présence des militaires russes dans la région et leur alliance militaire au sein de l’OTSC. Nikol Pashinyan, le Premier ministre arménien, remet publiquement en cause l’alliance militaire avec la Russie. En février 2024, Erevan annonce également suspendre sa participation à l’OTSC.
L’Arménie se tourne vers les Occidentaux
Le refroidissement des relations avec Moscou pousse l’Arménie à se tourner vers de nouveaux partenaires afin de garantir sa sécurité. En effet, malgré la perte du Haut-Karabagh, Erevan continue d’alerter sur la menace que fait peser l’Azerbaïdjan sur son territoire.
Depuis quelques années, l’Arménie renforce sa coopération militaire avec l’Inde notamment à travers des achats de matériel militaire. Au-delà de ces contrats, Erevan a participé à un sommet trilatéral avec New Dehli et Téhéran en avril 2023. L’objectif de cette initiative est de favoriser les échanges commerciaux entre ces pays et de mettre en place un corridor économique entre la mer Noire et le Golfe persique afin de relier les commerçants indiens à la Russie et l’Europe, en passant par l’Arménie.
La distance prise par Erevan avec Moscou se conjugue également par un rapprochement avec les Occidentaux. En octobre 2023, l’Arménie signe une série de contrats avec la France pour l’acquisition de matériel militaire français et la formation d’officiers arméniens. En février 2024 s’est tenu le cinquième Conseil de partenariat UE-Arménie, illustrant la volonté de Bruxelles et d’Erevan de renforcer leur coopération. Quelques semaines plus tard, le ministre des Affaires étrangères de l’Arménie annonce que son pays considère candidater officiellement à l’Union européenne.
En février 2024, l’Arménie devient officiellement État partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), décision dénoncée par Moscou. Pour rappel, la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine en mars 2023, obligeant ainsi théoriquement Erevan à arrêter le dirigeant russe s’il se rend sur son territoire. Début avril 2024, une réunion tripartite entre l’Arménie, l’Union européenne et les États-Unis s’est tenue à Bruxelles. À l’issue de ce sommet, Ursula von der Leyen déclare que l’Union européenne allouerait 270 millions d’euros afin de soutenir les entreprises et l’économie arméniennes sur les quatre prochaines années.