Proche et Moyen-Orient

Le nouveau visage de la géopolitique turque

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Amorcée au début des années 1990, et accentuée depuis l’accession au pouvoir du Parti pour la justice et le développement (AKP) en 2003, la libéralisation de l’économie turque participait au cours des années 2000 à la démonstration d’une Turquie résolument occidentale, désireuse de compter parmi les membres de l’Union Européenne. Mais le recentrage de la politique turque vers l’est, observable depuis plusieurs années, semble infirmer ce postulat. Quelles réalités pour le positionnement turc aujourd’hui ?

La fin de la bipolarisation du monde signe en 1990 l’avènement d’un monde multipolaire dans lequel la Turquie, puissance qui commence à émerger à l’époque, a l’ambition de jouer un rôle déterminant de médiateur entre trois zones d’influence. La Turquie jouit en effet d’une position géographique privilégiée qui la place au barycentre de l’Europe, de la Russie et du monde arabe. Dans les années 1990 et au début des années 2000, la Turquie semblait prête à s’adonner entièrement à l’Europe : l’alliance militaire avec Israël et les efforts entrepris pour « rassurer » les occidentaux quant à l’islamisme du parti AKP allaient par exemple dans ce sens.

Néanmoins, en  fonction depuis 2003, le Premier Ministre Recep Tayyip Erdogan a multiplié, en parallèle de mesures économiques libérales, les mesures visant à renforcer l’empreinte de la religion sur la société turque – notamment par la mise en place de cours de religion obligatoires dans les écoles, la levée de l’interdiction du port du voile dans les institutions publiques ou par la mention de l’obédience religieuse sur les cartes d’identité turques. La Turquie est en fait aujourd’hui convaincue que le rôle qu’elle veut jouer dans la région doit passer par la création d’une identité turque, sans l’aval d’une Union Européenne affaiblie par la crise. Le régime turc fait donc machine arrière, en réaffirmant ses racines musulmanes, mais joue un jeu dangereux car l’occidentalisation du pays a vu naître une nouvelle classe moyenne qui conteste avec véhémence le revirement politique du pays.

Quelles sont donc à terme les véritables intentions du gouvernement turc ?

Ces intentions sont bien évidemment extrêmement difficiles à prévoir. Boudée par une Europe qui retarde son intégration à l’Union Européenne, la Turquie a voulu, sous la houlette du ministre des Affaires Étrangères Ahmet Davutoglu, se faire le leader d’un monde arabe uni sous la coupe de l’Islam. Mais cette volonté est aujourd’hui mise à mal par l’instabilité du Proche-Orient.  Les dissensions entre pays du monde arabe sont désormais d’origine religieuse et ignorent les frontières politiques, rendant quasiment impossible les velléités panturquistes.  Ces revirements successifs de la Turquie la renvoient en définitive à sa propre identité : veut-elle être européenne ou arabe ?

Parce que la situation économique comme politique (manifestations de juin 2013, question kurde encore en suspens) restent aujourd’hui instables, la Turquie a, dans les faits, choisi une position intermédiaire de médiateur. Mais devant la menace d’implosion au Moyen-Orient, celle-ci est de plus en plus délicate à assumer, et il incombera très prochainement aux turcs de pencher définitivement pour un côté ou l’autre, en acceptant de facto les conséquences d’une telle décision.

 

 

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