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Manbij, ou comment la Turquie va rythmer la guerre syrienne en 2017

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Le nord de la Syrie avec en rouge les forces de Assad, en bleu les Turcs, en jaune les Kurdes, en noir l’Etat Islamique et en vert les « rebelles ». (source : syriancivilwarmap.com)

On se rappelle de l’opération Bouclier de l’Euphrate qui, du 10 décembre 2016 au 23 février 2017, eu pour but de chasser l’Etat islamique de la ville d’Al-Bab qu’il détenait depuis novembre 2013. Derrière cette manœuvre et ce déploiement de la force militaire turque sur le territoire syrien, on pouvait pressentir la volonté de barrer la route au Kurdes, qui par cette voie voulaient connecter le canton d’Afrin à ceux de Kobané et de la Djérizeh, qui aurait signé l’unification du Rojava et une possibilité – dramatique pour la Turquie – d’un Kurdistan indépendant.

La ville d’Al-Bab prise, l’objectif principal de Recep Tayyip Erdogan en Syrie était atteint, la course mortelle (des centaines de morts des deux côtés) contre le régime syrien était gagnée. Cependant, contrairement à ce que les observateurs internationaux prédisaient, la Turquie ne se retira pas du territoire Syrien après cette victoire ; bien au contraire puisqu’elle a définit cette semaine comme objectif de récupérer Manbij, qui se trouve à cinquante kilomètres à l’est.

Manbij, petite ville au nord de la syrie, concentre nombres d’enjeux au coeur de la compréhension du conflit : prise par les jihadistes en 2013, elle passe ensuite aux mains des kurdes du YPG (Unités de Protection du Peuple) l’été 2016, appuyés par les forces américaines et les brigades rebelles des Forces Démocratiques Syriennes (FDS). Comme nous venons de l’évoquer, la consolidation de la prise de Manbij fait craindre aux Turcs un Etat Kurde indépendant à leur frontière. Rajoutons à cela le problème ethnique : Erdogan a déclaré récemment “Manbij est arabe, pas kurde” ; on craint aussi des tensions entre les Kurdes et les Yézidis, ces derniers, minoritaires, ne feraient donc pas le poids s’il devait advenir pareil drame.

On peut aussi pointer l’attitude (trop souvent ?) trouble de Washington, qui soutient dans un même temps les Kurdes et les FDS en leur fournissant des armes – et donc indirectement Al-Assad –, est lié par l’OTAN et des relations diplomatiques particulières au pays d’Atatürk, mais soutient aussi les rebelles aux tendances islamistes de l’ASL. Plus bas, on voit aussi les américains être plus tendre avec le Hezbollah, l’Iran, tout en conservant leur “amitié” saoudienne. Ce fouillis diplomatique peut s’expliquer par la complexité de trouver des alliés fiables, prompts à un front commun, en vue de préparer la bataille de Raqqa.
A Manbij, les américains voient leur présence comme une zone tampon, évitant ainsi tout risque de friction entre Kurdes et Turcs et le péril immense que représenterait la nécessité de choisir son camp. A ce propos, l’avis de Mevlut Cavusoglu, chef de la diplomatie turque, est tout tranché : «Nous ne voulons pas que notre allié américain continue à coopérer avec des organisations terroristes qui nous prennent pour cible». Dans le même temps Stephen Townsend, général en charge de la coalition face à l’état islamique répétait la nécessité de la présence Kurde pour gagner la bataille de Raqqa et mettait en doute la menace Kurde sur la Turquie.

La Turquie, qui a investi le territoire syrien en août 2016, se retrouve donc en position dominante : sa force militaire en fait un des acteurs majeurs du conflit au nord de la Syrie ; les alliés qu’elle a choisi pour l’instant sont assez proches de la politique intérieure religieuse que mène Erdogan.
La guerre que les turcs mènent aux Kurdes pourrait compromettre leur place centrale dans l’OTAN, tandis que les Etats-Unis ne semblent pas vouloir s’engager sur la pente glissante d’un affrontement diplomatique qui pourrait vite dégénérer sur le théâtre des opérations et avoir de funestes conséquences. Enfin, il sera intéressant de regarder l’évolution des relations entre Al-Assad et Erdogan, proches il y a quelques années, la position de la Turquie à son égard décidera aussi de l’avenir de la Syrie actuelle. Enfin, on peut se demander quels liens vont se tisser entre l’Iran chiite et la Turquie, adversaires régionaux qui pourraient être contraints de combattre ensemble. La Turquie naviguent aujourd’hui en eaux troubles, et faute d’une prise de position rapide, elle pourrait enfoncer le conflit syrien dans un marasme ethnique et politique duquel personne ne sortira indemne.

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