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L’Irak au cœur de la tourmente (1/3) : le « Grand jeu »

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L’Irak se retrouve malgré lui au cœur de la montée des tensions géopolitiques régionales. Un nouveau « Grand jeu » se dessine aujourd’hui avec pour cadre la « guerre froide » Iran – Arabie Saoudite. L’Irak, au cœur de l’échiquier, est le pays où tous les pions se déplacent.

Iran et Irak, une intime connexion

Carte Iran Irak Arabie
L’Irak au coeur du Grand jeu

L’Iran et l’Irak sont deux pays voisins à l’histoire intimement mêlée. Sanctuaires de l’islam chiite, ils abritent chacun certains des plus hauts lieux saints de cette branche de l’Islam. Najaf et Kerbala en Irak, Qom en Iran abritent des tombeaux révérés par les chiites. Ensemble, via la « wilayet e-faqih connection »[1] une partie des élites religieuses ont su nouer des liens transfrontaliers étroits. Ceux-ci s’étendent du Liban à l’Iran jusqu’au Yémen et font l’objet d’intenses spéculations.

L’Iran et l’Irak entretiennent en de nombreux domaines une relation faite de rivalité et de complémentarité. Les huit années de guerre qui ont vu ces voisins s’affronter à partir de 1980 ont démontré la résistance d’un profond nationalisme chez les chiites irakiens pourtant gouvernés par un représentant de la minorité sunnite. L’armée de Saddam Hussein était alors majoritairement chiite tant parmi les soldats du rang que les officiers. Elle avait pourtant combattu l’Iran accusé de vouloir répandre la fièvre insurrectionnelle chez les chiites irakiens.

A l’inverse, l’Iran a activement soutenu les milices irakiennes dans la lutte contre l’État Islamique (EI). L’ombre – parfois fantasmée – du parrain iranien en Irak agit comme une bête noire pour de nombreux gouvernements de la région. En premier lieu, l’Arabie Saoudite, Israël et leur allié états-unien tentent par divers moyens de contenir cette expansion au pays des deux fleuves. L’Irak, écartelé entre ses alliés qui s’entre-déchirent, est le théâtre d’un nouveau « Grand Jeu » sur ses terres qui consiste pour chacun des acteurs à étendre son empire sur ce pays ravagé par quarante années de conflits.

La stratégie d’influence Saoudienne

L’avènement du prince héritier Mohammed Ben-Salman (dit MBS) en Arabie Saoudite a marqué un tournant dans les relations géopolitiques régionales. Il soutient une politique active d’endiguement de l’Iran et tient un discours belliciste à son égard. Toute confrontation armée directe étant peu probable – alors que l’Arabie Saoudite dispose du 3ème budget militaire mondial, loin devant l’Iran – le terrain de confrontation privilégié est donc l’Irak.

L’Irak sort aujourd’hui dévasté de sa seconde guerre civile en moins de dix ans. Peu actif pour soutenir son voisin dans la lutte contre l’EI, l’Arabie Saoudite se livre à une compétition d’influence majeure. En effet, le royaume cherche à contrebalancer le pouvoir de ses rivaux, Iran et Qatar, au pays des deux fleuves. L’Irak en pleine reconstruction, le soutien financier apparaît ainsi comme le meilleur canal d’immixtion dans le jeu irakien.

Campant sur une ligne commune avec les Etats-Unis du gouvernement Trump, le royaume milite pour une démobilisation et intégration des milices chiites. Celles-ci, par leur proximité avec l’Iran, constituent une menace sérieuse eu égard à la sécurité des intérêts saoudiens. Pourtant, le royaume dispose de peu d’atouts pour influencer  la destinée de son voisin. En outre, l’Irak a tout intérêt à ne pas prendre de position dans le conflit qui oppose l’Iran à l’Arabie Saoudite.

Terrain de jeu de la « Guerre froide » moyen-orientale

« La guerre [est] cet espace de temps pendant lequel la volonté d’en découdre par un combat est suffisamment connue » selon Hobbes[2]. Cette définition, reposant avant tout sur une intention, trouve à s’appliquer aux grands voisins qui entourent l’Irak. Les discours et actes démontrant cette volonté sont légion.

Le « Grand Jeu » désigne cet affrontement indirect entre trois empires (perse, tsariste et britannique) pour le contrôle de la zone tampon à leurs bordures : l’Afghanistan. Aujourd’hui, d’autres formes d’empires tentent de sécuriser leurs frontières et intérêts, en Irak. En schématisant, trois groupes d’adversaires se rencontrent dans ce pays. D’une part, les États-Unis, Israël et l’Arabie Saoudite pour lesquels les enjeux sécuritaires et financiers sont trop importants en Irak. D’autre part, l’Iran, avec le Qatar, sécurisent leur espace via l’Irak. Enfin, la Turquie au nord, qui se rêve en puissance incontournable de la région, traque ses opposants kurdes jusque dans le Kurdistan irakien.

Affaibli économiquement, politiquement et diplomatiquement, l’Irak, qui a été le pays le plus dynamique de la région dans les années 1970 est aujourd’hui moribond. Face à ce vide de puissance, les grands voisins ont tôt fait d’investir cette faille. Aujourd’hui, une multiplicité d’acteurs hétérogènes influe sur ce pays qui, plus que jamais, devrait se concentrer sur sa reconstruction.

Parallèlement, l’Irak devrait mobiliser ses forces à refonder un pacte social entre ses composantes qui se sont entre-déchirées depuis 2006 au moins. Cependant, le « Grand jeu » a défini ce pays pour plateau, au mépris de l’intérêt des irakiens. Duels des ayatollahs et désarmement des milices sont autant d’enjeux cruciaux pour lesquels l’Irak devra trouver sa voie, en situation de perpétuel exercice d’équilibre entre puissances en situation de « Guerre froide ».

[1] Aurélie Daher, Le Hezbollah, mobilisation et pouvoir, PUF, coll. Proche-Orient, 2016.

[2] Thomas Hobbes, Léviathan, Gallimard, folio, p. 224.

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Arnaud FORAY

Diplômé en Sociologie et philosophie politique à l'Université Paris 7 ainsi qu'en Défense, sécurité et gestion de crise à l'institut IRIS Sup', Arnaud Foray est spécialisé en analyse politique et géopolitique sur la région Moyen-Orient, en particulier sur la pensée d'Ibn Khaldûn et les mouvements islamiques en Irak, au Liban et sur la Palestine.

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