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Après Daech, quel avenir pour les chrétiens d’Irak ?

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Les chrétiens d’Irak forment une communauté composite aux racines anciennes, remontant à l’apôtre Thomas. Au début du XXe siècle, la communauté chrétienne représentait 30% de la population mais nombreux ils furent à quitter le pays à cause des persécutions et des guerres.

Aujourd’hui, l’islam est la religion prédominante en Irak. En effet, la population est composée de 62 % de chiites et 37 % de sunnites (selon les chiffres de l’Œuvre d’Orient). La plupart des chrétiens vivent entre Qaraqosh et Ankawa[1], les deux grands poumons de la communauté chrétienne irakienne. L’Irak se retrouve malgré lui au cœur de la montée des tensions géopolitiques régionales. Après le terrible blocus économique américain qui dura 12 ans, la guerre Iran-Irak, les violences à l’égard des kurdes et chiites sous Saddam Hussein, l’invasion américaine en 2003, de multiples guerres internes, et la chute du califat auto-proclamé par Daech en 2014, nombreux sont les Irakiens à avoir fui. Avant 2003, l’Irak formait l’une des plus importantes communautés chrétiennes au Moyen-Orient. Aujourd’hui, leur nombre s’élève à 400 000, soit 1% de la population irakienne.

L’exode dans la nuit du 7 août 2014

Présence de Daech en Irak en août 20142014 semble sonner le glas de la présence paisible des chrétiens en Irak. En juin, Daech envahit Mossoul puis Qaraqosh deux mois plus tard. Des milliers de chrétiens d’Irak fuyèrent vers les montagnes plus au nord, à Ankawa ou dans les villages du nord, au Kurdistan. C’est pendant cet exode, que Madeleine, jeune irakienne âgée de 17 ans quitte Qaraqosh, sa ville natale, juste avant que Daech n’arrive :

« A Qaraqosh, l’Eglise nous rassurait, nous ne craignions aucune attaque de Daech car nous nous savions défendus par les Peshmergas[2]. Nous n’imaginions pas une seconde la menace qui planait au-dessus de nos têtes. Un jour, Daech prit Mossoul. L’Eglise nous prévint à temps, nous avons eu beaucoup de chance ! L’histoire aurait pu prendre la même tournure que ce qu’il s’était passé pour les Yézidis, pris par surprise dans leur village. Quelques jours après notre arrivée à Erbil, les Eglises et des associations commencèrent à  ouvrir des écoles, construire des camps pour permettre aux familles de se loger correctement. « 

L’Eglise : un ultime repère pour les chrétiens d’Irak

Le Kurdistan irakien apparut pour les réfugiés comme le seul îlot pour souffler. Quand la structure administrative et sociale de l’Etat s’est effondrée, les irakiens se sont tout de suite tournés vers l’Eglise pour gérer tous les problèmes urgents (sanitaire, alimentaire, etc). Très rapidement, les personnalités religieuses ont été extrêmement mobilisées. A Ankawa, le pourtour de l’église Mar-El s’est métamorphosé en un véritable camp d’urgence accueillant près de 150 familles. « De même, ils offrirent aux étudiants des places dans des foyers. Grâce à cela, j’ai pu suivre des études de médecine à Kirkouk, à 100 kilomètres d’Erbil, où vivait ma famille  » ajoute Madeleine, dont nous avons recueilli les propos.

La chute du califat sonne le retour des chrétiens

En 2017, le califat de l’EI tombe. Rapidement, certains chrétiens irakiens, encouragés par l’évêque, décident de revenir et tout reconstruire.

Madeleine raconte « Quand nous sommes rentrés chez nous, il restait encore des affaires de Daech laissées ça et là. Il y avait des écritures sur les murs, des maisons abîmées, la plupart des affaires avaient été volées soit par nos voisins sunnites soit par Daech. »

La question prioritaire à l’époque n’était pas de penser à un avenir, mais de survivre. Rapidement, l’Eglise et certaines ONG portèrent secours aux habitants. Elles commencèrent ainsi à développer des comités, des projets pour recréer du lien. A Qaraqosh, la vie reprend progressivement : les commerces réouvrent, les enfants reprennent le chemin de l’école. Cependant, il reste beaucoup à faire. Seuls 40% des habitants de Qaraqosh sont revenus depuis 2017.

La visite du pape en Irak… 

Jeune fille irakienne
Jeune fille irakienne

Depuis le départ de Daech, l’Eglise joue un rôle fondamental pour faire garder aux chrétiens l’espérance. Ils se sentent réellement soutenus par le pape, mais aussi par le reste du monde.

« Aujourd’hui, les jeunes sont décidés à rester, à tout reconstruire ensemble et font preuve d’une grande créativité ! De plus, quelle joie que de savoir le pape venu nous rendre visite en Irak ! Sa visite renforce plus que jamais le désir des chrétiens de rester là-bas. » (Madeleine)

Depuis longtemps, le pape François souhaitait visiter le pays pour redonner de l’espérance et inviter les irakiens à construire ensemble des projets d’avenir. Ces derniers jours, le souverain pontife fut accueilli dans l’allégresse par les irakiens. Pour sa venue, le pays était à pied d’œuvre ! Son arrivée tant attendue constitue une véritable opportunité pour accélérer la reconstruction et relancer l’économie. En effet, entre la rénovation des routes, des édifices religieux et de certains commerces, les villes (Bagdad, Mossoul, Erbil, Najaf, Ur et Qaraqosh) dans lesquelles le pape s’est rendu ont déjà entamé leur reconstruction.

La cathédrale al-Tahira de Qaraqosh après le passage de Daech/ quelques jours avant l’arrivée du pape :

     cathédrale al-Tahira de Qaraqosh détruite par Daech, 2016 en Irak   cathédrale al-Tahira de Qaraqosh rénovée par les chrétiens d'Irak avant la venue du pape

cathédrale al-Tahira détruite par Daech à Qaraqosh en Irak    cathédrale al-Tahira rénovée à Qaraqosh par les chrétiens d'Irak

Crédits photos : Fraternité en Irak.

… un tournant dans l’avenir des chrétiens d’Irak ?

Cependant, ce n’est pas l’argent qui manquait à la reconstruction du pays. La corruption est le fléau n°1 en Irak. Ce problème systémique affecte autant la confiance des irakiens en leurs gouvernants que la reconstruction des villes. Par ailleurs, les tensions communautaires qui remontent à Saddam Hussein dans les années 1980, opposant  les multiples communautés religieuses et ethniques (chiites, sunnites, kurdes, kakais, yézidis, chrétiens, etc…) s’éternisent. Quant à Mossoul, la confiance entre les habitants chrétiens et musulmans est longue à reconstruire, bien plus que les trésors de la ville. En effet, certains voisins musulmans se sont appropriés leur maison après leur fuite, et sont allés jusqu’à collaborer avec l’EI contre les chrétiens.

Pape François en Irak
Pape François entouré des hauts dignitaires religieux dans la plaine d’Ur, terre où Abraham fut appelé par Dieu, selon la tradition. (Photo by Vincenzo PINTO / AFP)

Dès son arrivée à Bagdad le 5 mars, le pape François appelle avec fermeté à la fraternité et à la paix sur la terre d’Abraham. Sa présence marquera très certainement un tournant historique à l’avenir dans le Moyen-Orient. Quant au patriarche de l’Eglise catholique chaldéenne, le cardinal Sako, celui-ci voit en cette visite un « avènement » pour l’histoire de l’Irak :

« Je veux croire que le voyage du pape sera une nouvelle étape dans l’histoire de l’Irak »

 

 

[1] Quartier d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien.

[2] Armée kurde

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