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Guerre au Yémen : Les armes françaises vendues à l’Arabie Saoudite

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Le média d’investigation Disclose a récemment publié des documents classés « Confidentiel Défense ». Datant d’Octobre 2018, ils confirment l’utilisation d’armes, vendues par la France à l’Arabie Saoudite, dans le conflit yéménite. Or, la ministre des Armées, Florence Parly, déclarait le 21 janvier 2019 sur France Inter : « Je n’ai pas connaissance que des armes [françaises] soient utilisées directement dans ce conflit ». Dès lors, fausses accusations ou mensonge d’État ?

La France et l’Arabie Saoudite : Une logique commerciale

Canon CAESAR vendu à l'Arabie Saoudite et utilisé dans la guerre au Yémen
Exemple d’un canon CAESAR vendu à l’Arabie Saoudite

Pourquoi la France a-t-elle fait du Moyen-Orient l’un de ses principaux partenaires commerciaux en matière d’armement ? D’après, Élie Tenenbaum, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri : « le marché [européen] est déjà largement occupé par les États-Unis. Les industriels français de l’armement se sont donc tournés vers le Moyen-Orient (propos recueillis par France 24) ». Les entreprises françaises bénéficient également d’un contexte internationale favorable. Comme l’explique Lucie Béraud-Sudreau, doctorante au Cersa (centre d’études et de recherches de science administrative), la dégradation des relations diplomatiques entre les États-Unis et les grandes puissances sunnites (Égypte, Qatar, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis) a profité à la France.

La France a ratifié en 2013 le Traité sur le commerce des armes. Celui-ci interdit la vente d’armes, s’il existe un risque que leur utilisation entraîne des violations des droits humains ou des crimes de guerre. En mars 2015, une coalition internationale, menée par l’Arabie Saoudite, entre en guerre contre la rébellion « houtiste » (composée de zaydistes, courant chiite différent du chiisme iranien) au Yémen. Ce conflit qui ne devait durer que quelques semaines, selon Riyad, s’est enlisé et perdure malgré l’accord de Stockholm de décembre 2018. Désormais, les Nations Unies évoquent la « pire crise humanitaire au monde » où 22 millions d’habitants ont besoin d’assistance humanitaire.

Il est évident que les gouvernements français de François Hollande puis d’Emmanuel Macron ont eu connaissance des violations commises par les différents belligérants au Yémen : agressions contre les civils, entraves à l’acheminement des aides humanitaires, violences sexuelles, etc. La France a cependant continué d’octroyer des licences à l’Arabie Saoudite pour la fourniture et l’entretien de matériel de guerre. En 2016, cela représentait 16 milliards d’euros. Rien n’empêche le gouvernement français d’autoriser ces transferts s’il a la certitude que ces armes ne servent pas des crimes de guerre. À l’inverse, la France aurait une responsabilité morale dans le conflit yéménite.

Révélations sur la vente et l’utilisation d’armes « Made in France »

Selon un avis juridique du Cabinet Ancile en 2017, la France a continué d’assurer ses livraisons d’armes vers l’Arabie Saoudite malgré l’accusation de crimes de guerre envers cette dernière. Une question reste donc en suspens : Les armes « Made in France » sont-elles directement utilisées au Yémen ?

Le 15 avril 2019, le collectif d’investigation Disclose a publié une enquête intitulée « Made in France » qui prouve que des armes françaises, utilisées par Riyad, peuvent tuer des civils au Yémen. Cette enquête se fonde essentiellement sur des documents classés « Confidentiel Défense » adressés en septembre 2018 au président Emmanuel Macron, au Premier ministre Édouard Philippe, à la ministre des Armées Florence Parly et au ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.

Ce rapport, édité par la Direction du Renseignement militaire (DRM), détaille les armes françaises, vendues à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis (EAU), engagées dans la guerre au Yémen. Il s’agit de chars Leclerc, Mirage 2000-9, canons Caesar, radar Cobra, etc. La liste est longue. Pour chaque modèle, l’étude dévoile leur degré d’implication.

Il est démontré que certains armements sont directement utilisés au Yémen. À titre d’exemple, l’utilisation des canons Caesar dont la portée est de 42 km. Selon le centre de recherche Spiri, depuis 2010, l’Arabie Saoudite a reçu 132 canons Caesar. Aujourd’hui, l’armée saoudienne positionne certains d’entre eux le long de sa frontière avec le Yémen. Ils font directement feu sur les territoires yéménites occupés par la rébellion houtiste, où de nombreux civils vivent encore. De plus, deux navires de guerre saoudiens, de fabrication française, participent au blocus maritime, empêchant l’acheminement d’aide humanitaire. En parallèle, les EAU déploient également des chars Leclerc, notamment dans des bases à l’Ouest du Yemen.

Le gouvernement conteste ces accusations

Les images satellites et des vidéos permettent de vérifier les accusations, portées par de nombreuses ONG et médias. Cependant, le gouvernement français continue de les démentir. La ministre des Armées, Florence Parly, déclaré jeudi 18 avril : « À ma connaissance, ces armes ne sont pas utilisées de façon offensive dans cette guerre au Yémen, […] je n’ai pas d’éléments de preuve permettant de dire cela, que des armes françaises sont à l’origine de victimes civiles au Yémen ».

Les enjeux commerciaux sur les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et aux EAU sont colossaux. Cependant, comme l’explique Élie Tenenbaum à France 24, ce discours n’est pas forcément mensonger. La France est en droit de vendre des armes dans un objectif défensif. Même si les acheteurs décident de les utiliser par la suite dans un but offensif. Cela questionne donc l’efficacité et la légitimité du Traité sur le commerce des armes.

Il est difficile de prouver formellement que des civils aient été tués par des armes françaises. Toutefois, ces révélations devraient faire réagir le gouvernement sur le conflit yéménite et stopper tout contrat futur. L’Allemagne, dont les enjeux économiques sur la vente d’arme sont également très importants, a interdit l’exportation d’armement vers Riyad. La France, quant à elle, tend à se ranger du coté des États-Unis et de Donald Trump. En effet, fin décembre 2018, de nouveaux contrats ont été signés. Ces derniers prévoient l’exportation de blindés vers l’Arabie Saoudite entre 2019 et 2024.

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Thomas FOIN

Thomas Foin est diplômé d’un Master 2 en Géographie du développement de l’Université Paris-Diderot. Par ses recherches sur les logiques territoriales, les relations de pouvoir et les évolutions socio-économiques, il s’est spécialisé sur l’Asie du Sud-Est. Passionné par les relations internationales et la défense des droits de l’Homme il souhaite devenir journaliste.

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