L’appel du 18 juin 1940
Le 18 juin 1815, Napoléon sort de l’Histoire à Waterloo. 125 ans plus tard, jour pour jour, un autre héros ranime la flamme du général inconnu promis à un destin exceptionnel. De Gaulle, général de brigade à titre temporaire, auréolé des discrets succès de sa « force mécanique » à Moncornet et Abbeville, est alors ex-sous-secrétaire d’Etat à la Guerre. « Naufragé de la désolation sur les rivages de l’Angleterre », il s’apparaissait à lui-même « seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage. »
De Gaulle arrive à Londres le 16 juin pour convaincre Churchill d’un projet fou issu du cerveau fertile de Jean Monnet : unir les deux alliés sous un même gouvernement pour poursuivre l’effort de guerre. L’accord du premier ministre en main, il atterrit à Bordeaux et apprend la démission de Paul Reynaud, président du Conseil, au profit du maréchal Pétain. Résolu à poursuivre le combat, il quitte la France qu’il ne reverra plus pendant quatre ans.
Le 18 juin, pour répondre à l’appel solennel lancé par Pétain la veille intimant de « cesser le combat », De Gaulle prend la parole sur les ondes de la BBC. Contrairement à Pétain « sûr de de la magnifique résistance de l’armée » la voix de De Gaulle brise le silence des tabous : la défaite est essentiellement militaire, la guerre est mondiale car « la France n’est pas seule » (déjà il parle de l’industrie américaine) et les militaires ont le devoir de poursuivre le combat sous la coupe de ce général au nom prédestiné.
Dans la débâcle, l’appel n’est pas entendu. Les médias ne le relèvent pas, préférant retenir l’appel aux Européens lancé par Churchill plus tôt dans l’après-midi devant la Chambre des Communes. Une poignée de pêcheurs de l’île de Sein et quelques hommes promis à un avenir exceptionnel comme Pierre Mendès France, André Philipp ou Maurice Schumann l’entendent. Ils en feront l’embryon de la France Libre. Embryon qui grandit avec les discours suivants : « le non-appel » du 19 juin que les Anglais refusèrent d’enregistrer dans l’espoir de rallier la puissante flotte française, l’appel du 22 juin qui remet en cause la constitutionnalité de Vichy, l’appel du 26 juin, réponse virulente à Pétain qui constitue le corps de doctrine de la France Libre.
Aux causes de la défaite que Pétain impute aux « palinodies communistes » et à « l’esprit de jouissance », De Gaulle répond avec des raisons militaires. Il oppose aux visions théoriques de ses adversaires son pragmatisme : la géopolitique ne se fait pas par principes mais par des configurations de puissance. Les nations sont des entités intemporelles face auxquelles les idéologies sombrent. Les USA et l’URSS ne pourront tolérer longtemps une Allemagne hégémonique. Plus tard, lorsqu’il reviendra au pouvoir, De Gaulle garde cette grille d’analyse : l’URSS redeviendra la Russie, la Chine rompra avec Moscou tout comme le nationalisme vietnamien aura raison de l’acharnement anticommunisme américain. Il en devient l’un de nos plus fins praticiens géopolitiques.