La réforme Liberman (1962) en URSS
Dans un pays qui vient à peine de sortir du stalinisme et de ses attributs (planification très rigoureuse, tout-pouvoir de l’Etat sur les entreprises), un article de La Pravda de septembre 1962 intitulé « le plan, le profit, la prime » propose d’accroitre le pouvoir des chefs d’entreprise sur la planification de leur firme, et à mieux répartir les primes au sein de l’entreprise. Cet article apparait comme « révolutionnaire » à l’époque, puisque son auteur, Evsei Liberman, économiste de formation, propose tout simplement de mettre la prime au cœur du débat économique, et non plus « le plan » tel que le communisme soviétique l’avait institué.
L’échec des politiques khrouchtchéviennes depuis sa prise du pouvoir en 1955 est patent, la décentralisation n’avance guère, les entreprises sont toujours très étroitement contrôlées par le pouvoir. Les entreprises sont largement trop dépendantes des contraintes d’une planification trop rigide. Liberman ne souhaite pas abandonner la planification : il souhaite juste la rendre moins rigide et plus compatible avec les exigences des entreprises. Qui plus est, des primes indexées sur la bonne réalisation (ou non) du plan ne pouvait guère que niveler les performances des entreprises par le bas. Liberman pointe du doigt le manque de rentabilité des entreprises soviétiques.
Selon Liberman, le plan doit se borner à fixer les quantités de production et les délais de livraison propres à chaque entreprise. A partir de ces objectifs imposés, le directeur aurait tout le loisir d’employer diverses mesures pour y parvenir (productivité, salaires…). Et pour améliorer la productivité, le directeur doit pouvoir utiliser le profit dégagé de la façon qu’il souhaite. Une partie de ces bénéfices constitue les fonds propres de l’entreprise. Le reste peut être utilisé pour des mesures sociales (logement, cantine, etc.), pour améliorer les capacités productives (acheter des nouvelles machines) et surtout pour alimenter les primes pour les travailleurs, afin d’améliorer leur motivation.
Cette réforme de l’entreprise est évidemment bien accueillie par les chefs d’entreprise, et tous ceux qui s’aperçoivent des rigidités des plans soviétiques. La réforme entre en vigueur mais elle est largement épurée. Ainsi, les droits des directeurs augmentent, mais l’Etat continue à fixer les objectifs de salaires et de main d’œuvre. Elle aura permis de comprendre qu’une gestion centralisée ne peut que nuire aux relations entre entreprises. Mais l’arrivée de Brejnev en 1966, un an après l’application de la réforme, rend très rapidement caduque cette conception révolutionnaire de l’économie.