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L’histoire du chiisme : une sempiternelle répression aux retombées contemporaines

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La mort du Prophète Mahomet, en 632, est à l'origine des rivalités persistantes entre communauté chiite et sunnite.
La mort du Prophète Mahomet, en 632 après JC, est à l’origine des rivalités persistantes entre communauté chiite et sunnite.

« Il existe sur Terre des communautés qui, depuis des siècles, sont poursuivies par la malchance, qui n’ont pas réussi à maîtriser leur destin (…), qui n’ont jamais été poussées par des vents favorables. C’est le cas des chiites ». Cette citation de l’écrivain journaliste Ryszard Kapucinski illustre parfaitement l’ambiguïté historique qui encercle la population musulmane dite « chiite »,  opposée aux « sunnites », et laisse entrevoir ses répercussions sur l’échiquier géopolitique contemporain. Récit d’un conflit historique et religieux à travers l’Histoire.

L’heure de la scission : la mort de Mahomet (an 632)

Mahomet, fondateur de l’islam dont le nom n’est cependant cité que 4 fois dans le Coran, meurt en 632 à Médine (Arabie saoudite). Celui-ci n’ayant pas d’héritier mâle et n’ayant pas désigné de successeur, une guerre partisane s’engage entre les défenseurs d’Ali, gendre du Prophète, époux de sa famille préférée Fatima et père de ses deux petits-enfants (Hassan et Hussein), et les adeptes d’un proche de Mahomet, Abou Bakr.  A une vision du droit de la famille (Ali), s’opposait ainsi celle de la disparition du Prophète, considéré comme une divinité, auquel seul un homme répondant aux préceptes religieux véhiculés par Mahomet (Abou Bakr) pouvait se suppléer. C’est cette dernière théorie qui l’emportera, et trois califes se relaieront au pouvoir.

Une chance sera donnée à Ali d’exercer son autorité en tant que calife en 656. Mais son règne ne durera que 5 ans et il mourut assassiné, suivi de ses deux petits-fils, Hassan et Hussein. L’absence d’héritier de ce qui deviendra la communauté chiite enlèvera tout espoir à celle-ci d’accéder à nouveau au pouvoir du califat, et sera annonciatrice d’une longue période de répression à leur encontre.

La domination et la stratégie de la « dissimulation religieuse »

La perte définitive de l’autorité politique et religieuse par la communauté chiite poussera ses partisans à développer une tactique de repli : la  taqiyya, ou la pratique de leur religion dans la clandestinité. Les deux branches de l’islam vont alors développer leur propre interprétation du Coran, creusant ainsi un clivage qui persiste encore aujourd’hui. Les chiites développent un communautarisme et une lutte initialement clandestine, puis de plus en plus affichée contre le pouvoir en place, qui multiplie les répressions. Progressivement, ils s’éloignent de plus en plus du centre du pouvoir (Damas, puis Bagdad), et partent en quête de lieux pour exercer leur religion, traversant ainsi l’Euphrate et le Tigre.

La reconnaissance progressive du chiisme sur le plan politique

Cet exode vers de nouvelles terres, amène une partie de la communauté à s’installer en Iran, initialement de religion zoroastriste. Conquis par les Arabes qui essaieront d’imposer de nouveaux préceptes religieux, ceux de l’islam sunnite, le peuple iranien fera progressivement le choix d’intégrer et d’assimiler la religion musulmane déjà présente au sein d’une partie de sa population : le chiisme. Après de longues années de lutte, c’est finalement au  XVIème siècle et grâce à la présence de la dynastie safavide au pouvoir en Iran que le chiisme connait sa première consécration et en deviendra la religion officielle.  Ce triomphe politique et religieux aura un effet centralisateur sur l’ensemble de la communauté chiite, l’Iran étant aujourd’hui encore perçu comme l’Etat chiite par excellence.

 Un clivage aux répercussions encore vivaces sur l’échiquier géopolitique contemporain

Aujourd’hui encore, les divergences historiques entre les communautés chiites et sunnites cristallisent des tensions constamment ravivées par les événements internationaux et transposées sous le spectre de la géopolitique. Si les sunnites restent majoritaires et représentent 85% de la population musulmane, avec pour principale puissance l’Arabie saoudite, la révolution iranienne de 1979 et l’arrivée de l’ayatollah Khomeiny ainsi que son ambition d’appliquer le modèle chiite à l’ensemble du monde musulman marque le retour des dissensions.

Les Etats chiites (Iran, Irak, Azerbaïdjan et Bahreïn), avec 15% de la population musulmane mondiale, envisagent la création d’un « croissant chiite », expression crée par le roi de Jordanie Abdallah en 2004, qui rassemblerait l’Iran, le Liban, le Pakistan, l’Irak, la Syrie et une partie du Liban. Cependant, l’étanchéité des frontières à travers l’Histoire pour certains pays, ou encore leur tardive définition pour d’autres, ont été à l’origine de la naissance de minorités chiites dans de nombreux pays à majorité sunnite, et de population sunnite dans des pays tels que l’Iran.

Ce facteur, cumulé avec une instrumentalisation de la rivalité à travers des conflits issus d’autres Etats arabes, tels que les conflits en Irak et en Syrie qui ravivent la rivalité entre la République islamique d’Iran et le Royaume d’Arabie saoudite, présage de l’avenir assuré d’une guerre religieuse et psychologique aux origines millénaires.

 

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