Almoravides et Almohades, la domination berbère
La valse des empires musulmans (5/8). Entre 1062 et 1269, deux dynasties dominent le Maghreb, les Almoravides (1062-1150) et les Almohades (1150-1269). Elles contrôlent un vaste territoire qui s’étend de l’ouest du Sahara à la péninsule ibérique.
Au XIe siècle, la tribu berbère des Almoravides, qui vit entre le Maroc et le Sénégal actuel, profite du vide de pouvoir laissé par le déplacement des Fatimides au Caire et par la disparition du califat de Cordoue pour conquérir de larges territoires en Afrique de l’Ouest. Emmenés par leur chef Yusuf ibn Tachfin, ils fondent la ville de Marrakech en 1062.
Pour s’assurer une légitimité, Yusuf ibn Tachfin décide de lier sa dynastie à au calife abbasside de Bagdad. En reconnaissant le Califat et en se posant en défenseur des reconquêtes chrétiennes qui sévissent au nord de l’Espagne, il s’attire les faveurs du calife abbasside et obtient le titre inédit de « prince des musulmans » (1).
De l’Espagne au Ghana
Les Almoravides s’approprient également la notion de jihâd, pour mener deux principales actions : imposer l’islam dans leur territoire et défendre leur religion contre des envahisseurs extérieurs, comme les catholiques espagnols. Les premières guerres saintes almoravides font tout d’abord route vers l’Afrique noire en prenant le royaume de Ghana en 1054. La dynastie se concentre ensuite sur l’Espagne et à la fin du XIe siècle, l’ensemble de la péninsule ibérique, de Zalacca à Saragosse, est sous son contrôle.
En un peu plus de vingt ans, les Almoravides contrôlent ainsi une grande partie du Sahara, du Maroc, de l’Algérie et de l’Espagne actuel. Ils deviennent riche rapidement en contrôlant une grande partie du commerce de l’or trans-saharien.
De la sobriété à la luxure
L’analyse de la perception de l’art chez les Almoravides constitue une grille d’analyse pertinente de leur évolution. Au sein de peuples très variés, l’établissement d’un pouvoir fort est en effet passé par une volonté d’unifier culturellement le territoire, en construisant de nombreuses mosquées et madrasas (écoles islamiques).
Au début de leur règne, les Almoravides, sunnites conservateurs de l’école malékite font bâtir des bâtiments très sobres et restent éloignés de ce qui a caractérisé l’art opulent de la dynastie omeyyade de Cordoue. Ils veulent en effet se placer en contre-modèle de cette dynastie qu’ils considèrent comme décadente et peu rigoriste. Cependant, à partir du XIIe siècle, les choses changent. Les Almoravides succombent à la culture luxuriante de Al-Andalus. Preuve en est, le minbar commandé par le dernier sultan almoravide, Ali ibn Youssouf, en 1137. En Afrique du Nord, les mosquées de Tlemcen (1136), d’Alger (1097) et de Kairaouine à Fes représentent également ce changement de cap culturel almoravide due aux influences espagnoles.
La volonté d’indépendance almohade
Au milieu du XIIe siècle, les Almoravides sont renversés par une autre tribu berbère révoltée, tout droit venue des montagnes de l’Atlas, les Almohades, une autre dynastie d’Afrique du Nord. Ils resteront au pouvoir de 1150 à 1269. L’Empire almohade peut être considéré comme le premier et dernier empire berbère de l’histoire à avoir unifié un territoire allant de la Tripolitaine au sud de l’actuel Maroc en passant par la péninsule ibérique. En quelques mois, les Almohades prennent le Maroc mais aussi les principales villes de la péninsule ibérique. Ils font de Séville la capitale de la région de Al-Andalus mais gardent Marrakech comme capitale principale.
L’utilisation politique de la religion prend un tournant radical comparée à celle des Almoravides. Si ces derniers s’appuyaient sur des ulémas (savants religieux) pour créer et valider des lois, l’Empire almohade prône un retour à l’interprétation directe du coran, marginalisant ainsi les ulémas. Cela a pour conséquence directe de donner les quasi-pleins pouvoirs à l’imam (le guide), serviteur direct de Dieu sur terre. Très rapidement, les berbères sont consacrés comme le nouveau peuple élu, au détriment des arabes.
Rejet de Bagdad
Les Almohades finissent par rejeter totalement l’Empire abbasside de Bagdad. La prière se fait désormais vers la tombe du Mahdi à Tinmel, au sud de Marrakech, et non plus vers La Mecque. L’élite doit maintenant maîtriser parfaitement la langue berbère. Sous le règne des Almohades, l’art géométrique, déjà présent chez les Almoravides, est exacerbé. La grande mosquée et le minaret La Giralda, à Séville, transformés par la suite en cathédrale, représentent le sommet de la grandeur artistique almohade.
Tout comme les Almoravides, les Almohades succombent peu à peu au confort et au luxe pour finalement se faire expulser de la péninsule ibérique par les royaumes chrétiens du nord, mieux organisés. La bataille de Las Navas de Tolosa, en 1212 marque le début de la chute des Almohades. La dynastie s’éteint en 1269.
(1) Le groupe djihadiste « Al-Mourabitoun », crée en 2013 au Sahel est la traduction arabe des Almoravides. La dynastie est en effet aujourd’hui utilisée comme référence par certains djihadistes sahéliens comme celle qui a réussi à unir une partie du Maghreb et du Sahara sous une même bannière.
Ressources:
Mehdi Ghouirgate, « L’Ordre almohade (1120-1269) », Presses universitaires du Midi, 2014.
Les Clés du Moyent-Orient, « Les Almoravides, l’Andalus et l’Afrique musulmane (1042-1147) », 2013.
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Almoravides-l-Andalus-et-l.html
Met, « The Art of the Almoravid and Almohad Periods (ca. 1062–1269) », 2001.
https://www.metmuseum.org/toah/hd/almo/hd_almo.htm
Le Monde, « L’Atlas des Empires », hors-série, 2016.