Qu’est-ce qu’une théorie des Relations Internationales ?
« Sans la théorie, les faits sont silencieux » – Friedrich Hayek
La discipline des Relations Internationales apparaît officiellement en 1919 avec la création de la chaire Woodrow Wilson à l’université d’Aberystwyth au Pays de Galles. La « Grande Guerre » de 14-18 vient effectivement de s’achever sur un bilan catastrophique et l’idée de déceler les rouages de la politique internationale émerge au sein des milieux universitaires, l’objectif étant d’éviter la survenance de nouveaux conflits. Depuis, le champ d’étude des Relations Internationales s’est considérablement élargi, comprenant aujourd’hui des thèmes aussi variés que la paix, la guerre, la mondialisation, le terrorisme, la sécurité humaine, le changement climatique, la gouvernance, la prolifération nucléaire et bien d’autres encore. Or, même si l’analyse s’est depuis profondément enrichie, l’ambition initiale de traduire les faits internationaux, c’est à dire rendre intelligible un ensemble de phénomènes caractérisés par le dépassement et la transcendance des frontières, notamment grâce à la théorie, elle, reste inchangée. Mais alors comment définir une théorie des Relations Internationales ?
L’exercice est en réalité difficile. Le sujet est toujours soumis à débat et aucune définition consensuelle de ce qu’est une théorie n’a pu émerger au sein de la discipline. La définition qui suit est donc nécessairement fragile, mais elle offre l’avantage, semble-t-il, d’être libre de tout jugement de valeur, respectant de ce fait le principe de « neutralité axiologique » exprimée par le sociologue allemand Max Weber. Une théorie des Relations Internationales peut donc être définie comme un ensemble d’idées, un cadre, une manière d’entrevoir le monde, ayant pour but de dégager des relations entre les différents phénomènes et les acteurs de la scène internationale, qu’il s’agisse des Etats, des entreprises, des ONG, des groupes terroristes, etc. Par l’énonciation de divers principes et concepts, elles fournissent des clés de compréhensions au sujet d’évènements passés ou présents, et permettent de réfléchir de manière cohérente et parfois critique sur la complexité du monde qui nous entoure.
Bien que la classification des théories en Relations Internationales ne soit pas unanimement partagée, il est commun de distinguer deux types de théories : celles dites explicatives et celles dites compréhensives.
Pour les théories explicatives (ou positivistes), la démarche scientifique vise à « expliquer » les événements internationaux, à la fois par l’observation et la description des faits, mais aussi par la recherche de liens de causalité entre ces différents éléments. Il s’agit notamment de confronter les hypothèses émises par le chercheur en s’appuyant sur l’expérience (empirisme) afin d’en vérifier la pertinence. Dans ce cas, la finalité de toute théorie réside dans la possibilité d’appliquer certains principes à des cas identiques et ainsi d’en anticiper les manifestations. Les principales théories des Relations Internationales, notamment réalistes ou libérales, s’inscrivent dans cette approche explicative.
En ce qui concerne les théories compréhensives (ou post-positivistes), l’objectif n’est plus d’expliquer, mais plutôt de « comprendre » et « interpréter » les phénomènes internationaux tel que peuvent le concevoir les acteurs eux-mêmes. La nature construite de toute relation sociale, c’est à dire le fait qu’elle soit conditionnée à des normes intériorisées par les différents acteurs (via la culture notamment), empêche de décrire de manière objective les relations internationales puisque le sens que chacun donne à son action ne peut être que personnifié. Dans ce cas, pour saisir au mieux la portée de l’objet étudié, il est indispensable pour le chercheur de faire abstraction de sa propre subjectivité pour tenter de comprendre celle des acteurs impliqués. Les théories constructivistes ou critiques sont généralement associées à ce cadre d’analyse.
Ainsi, les théories peuvent être apparentées à des cartes conceptuelles, qui en se basant sur certains postulats, permettent d’envisager des phénomènes (la guerre ou la paix par exemple) sous des angles particuliers, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité. Par la simplification de la réalité, elles cherchent à expliquer ou interpréter les relations entre les acteurs internationaux, visent à dégager les enjeux liés à l’existence de certains évènements (réchauffement climatique par exemple), et se donnent parfois pour ambition de trouver les réponses pratiques à certaines problématiques. Elles agissent par conséquent, à l’image de la description que pouvait en faire l’américain Ole Holsti, comme des lunettes de soleil, qui permettraient à celui qui les porte, de distinguer uniquement les éléments essentiels et utiles à la compréhension des phénomènes étudiés. En d’autres termes, elles sont la boîte à outil de l’internationaliste dans sa recherche de la « vérité ».