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Nucléaire iranien, une hypocrisie internationale – Yves Bonnet – Fiche de lecture

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Nucléaire iranien revient sur la politique nucléaire de l’Iran depuis son origine et sur le rôle qu’ont joué les pays occidentaux sur le développement de la technologie nucléaire par la République islamique. L’auteur, Yves Bonnet, est un ancien haut fonctionnaire et homme politique français, aujourd’hui président-fondateur du Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme et l’aide aux victimes du terrorisme. Spécialiste de la région, il est très critique de l’attitude des puissances occidentales vis-à-vis de l’Iran, qu’il qualifie d’hypocrite comme l’indique le sous titre de cet ouvrage : Une hypocrisie internationale.

Yves Bonnet, Nucléaire iranien, une hypocrisie internationale, Michel Lafon, 2008, 397 pages.

Le Shah adhère au programme américain Atoms For Peace en 1957 et crée deux centres de recherche nucléaire équipés par les États-Unis. Par la suite, l’Iran signe le traité de non prolifération des armes nucléaires (TNP) en 1968, et le ratifie en 1970. Le pays rejoint alors l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). En août 1974, le Shah proclame un décret impérial indiquant qu’il souhaite développer fortement l’énergie nucléaire et consacrer le pétrole à la fabrication de produits dérivés. Le choc pétrolier de 1973 rapporte un énorme bénéfice à l’Iran que le Shah réinvestit dans le nucléaire. Il fait alors appel à la France pour développer l’énergie nucléaire en 1974. Les deux partenaires conviennent de la livraison de cinq centrales nucléaires et de la construction d’Eurodif, une technologie que seuls les États-Unis et l’URSS possèdent alors. Le 14 mai 1975, l’Iran et les États-Unis passent un accord pour la livraison de 8 centrales et d’une station d’enrichissement de l’uranium pour une valeur de 15 milliards de dollars. A l’époque, les États-Unis ne cachent pas leur souhait de voir l’Iran maîtriser le « cycle complet de l’atome ». L’administration américaine souhaite même voir l’Iran prendre part à la doctrine du containment. L’Iran est alors le pays le plus peuplé, développé et possède l’armée conventionnelle la plus puissante de la région.

En 1979, le Shah est renversé par la Révolution islamique et l’Ayatollah Rouhollah Khomeini prend la tête du pays. Le Guide reprend l’exploitation de ses gisements d’uranium, probablement suite à la suspension par les Américains de livraison de fournitures nucléaires. Le Président Carter souhaite en effet prendre le temps de jauger le nouveau régime. Il suspend également les chantiers sur les centrales électriques qui sont sous licence américaine. La dégradation des relations s’annonce, car la France et les États-Unis soupçonnent l’Iran de vouloir se doter de l’arme nucléaire, ce qu’ils l’encourageaient à faire du temps du Shah. De leur côté, les religieux iraniens ne font pas confiance aux anciens alliés du Shah et actuels alliés d’Israël. Cette dégradation se confirme avec la prise d’otages dans l’ambassade américaine de Téhéran en 1979, qui durera un an et qui se soldera par un triomphe de la Révolution islamique. Immédiatement après celle-ci, l’Irak déclare la guerre à l’Iran. Elle durera jusqu’en 1988 et se terminera par un échec iranien qui ressort avec l’image de l’agresseur alors qu’il était agressé. Le pays connaît une forte croissance démographique et une hausse du chômage. Le minimum dans cette situation pour le régime est d’assurer la sécurité aux frontières. Le meilleur moyen de le faire est le nucléaire qui créera une crainte chez les agresseurs et une considération du monde musulman que le régime recherche tant. Le programme d’enrichissement avait d’ailleurs repris secrètement dès 1985.

En 1979, les activités nucléaires sont gelées, et les membres de l’Organisation de l’Énergie Atomique Iranienne (OEAI) licenciés. En réalité, il s’agit d’une manœuvre pour faire passer le dossier aux Pasdarans, le bras armé du régime. Pour preuve la réunion secrète organisée dans la foulée par Mohsen Rezaï, leur commandant en chef : l’objet de cette réunion est d’engager l’Iran sur la voie du développement nucléaire militaire par le biais d’un « projet de recherche stratégique nucléaire », un crédit de 800 millions de dollars y est déjà alloué. Le nucléaire militaire est une priorité du nouveau régime. Une structure de gestion de l’énergie atomique, entièrement dépendante du corps des Pasdarans est mise en place. Les meilleurs éléments de l’OEAI sont rappelés et pour assurer la pérennité de la recherche, et les étudiants les plus prometteurs sont embauchés. France et États-Unis n’y voient que du feu ; ils croient au ralentissement voire à l’abandon de la recherche ce qui les arrange car cela cache leur responsabilité passée. En 1981 Mosseini Mohammad Behesti annonce aux directeurs de recherche nucléaire que l’objectif est la bombe, ce que le Guide confirme.

Plus tard l’Iran va développer de nouveaux partenariats avec la Chine, la Russie, le Pakistan et la Corée du Nord. L’Iran privilégie la Chine. Les premiers contacts sont gardés secrets et remontent à 1985 quand le premier réacteur est livré. Dans les années qui suivront, les deux pays passeront des accords portant sur l’échange de technologie, d’équipements et la formation de chercheurs. Le deuxième partenaire de l’Iran est le Pakistan avec qui il signe un accord de coopération nucléaire en 1987. Vient ensuite la Russie qui reprend la construction de la centrale Busher et entreprend la formation de centaines d’Iraniens. Enfin la Corée du Nord fournit les missiles. La bombe ne vaut rien sans des lanceurs de missiles efficaces et longue portée, la Corée du Nord maîtrise cette technologie et la partage avec L’Iran. Les lanceurs Chahab 4 et 5 permettent d’atteindre le monde entier excepté les États-Unis, intouchables sans sous-marins.

L’hypocrisie commence quand l’Occident refuse que l’Iran enrichisse l’uranium alors que dans les années 70 la France et les États-Unis lui proposaient de lui permettre de le faire. Autre hypocrisie, l’importance accordée à l’Iran, par rapport à celle accordée au le Pakistan et à l’Inde. Le congrès américain adopte en 2005 la « loi de liberté et d’assistance à l’Iran » dans laquelle il reproche à l’Iran des déclarations antiaméricaines, l’occupation de l’ambassade après l’arrivée au pouvoir de la révolution, l’appel à la violence contre la coalition en Irak. « Pour les deux dernières décennies le département d’État a estimé que l’Iran est le principal sponsor du terrorisme international dans le monde », cette formulation résume l’ensemble de l’argumentaire de la loi » (p. 366). Une attitude accusatrice voir agressive car en 1998 une loi similaire avait été adopté concernant l’Irak et nous connaissons la suite. Ce raisonnement est non seulement contraire aux principes de l’ONU mais aussi contre-productif. Car l’Iran, menacé par cette loi, devrait se doter des moyens proportionnés pour répondre à une attaque américaine, c’est à dire l’arme nucléaire. La stratégie du pire qui se dessine est celle des bombardements préventifs des sites nucléaires iranien. Le Guide lors d’une réunion secrète a déclaré : « Les Américains veulent nous détruire ». Le réalisme pousse l’Iran à se doter de la bombe. Il faut dédramatiser le sujet. Le principe de la dissuasion est un affrontement « silencieux » comme pour le Pakistan et l’Inde, pourquoi serait-ce différent avec l’Iran ? Plus il y aura d’États nucléaires, plus ils seront prudents. Seuls les sous-marins sont réellement efficace car indétectable et précis alors que les lanceurs de missiles et les avions sont facilement repérables et attaquables. L’Iran n’a pas accès aux océans, Israël et les Etats-Unis oui. Ce constat n’est sérieusement contestable que par ceux qui voient dans le déséquilibre actuel un gage de sécurité et ils se trompent.

Commentaires sur l’ouvrage

L’ouvrage est très précis et détaillé. Chaque étape de l’épopée nucléaire iranienne est parfaitement renseignée, des dates aux États impliqués en passant par les individus et les sociétés concernées, ce qui est bien entendu une qualité. Cependant, certains évènements évoqués ne paraissent pas directement liés à la politique nucléaire iranienne. Le retour sur la vie de Mahmoud Ahmadinejad par exemple (chapitre XIII) ou l’exfiltration de Bani Sadr et Massoud Radjavi par les Moudjahidines en simulant un détournement d’avion (chapitre X). Ces longueurs n’aident pas à la compréhension du lecteur.

L’hypocrisie internationale qui fait l’objet du sous-titre du livre concerne uniquement les pays occidentaux et non l’ensemble des pays du monde. Ensuite, cette hypocrisie tient principalement au changement d’attitude de la France et des États-Unis sur le nucléaire qui ont dans un premier temps encouragé l’Iran à développer cette technologie à des fins civiles comme militaires. Ils y voyaient sans aucun doute un marché porteur pour leurs exportations, ainsi qu’un important fournisseur de matières premières. Mais l’Iran était surtout envisagée comme un allié de choix dans la région participant à l’endiguement du communisme grandement souhaité par les États-Unis. Ces pays avaient toutes les raisons de développer le partenariat avec l’Iran. Partenariat qui a laissé place par la suite à une méfiance puis à une lutte pour empêcher l’Iran d’accéder à l’arme nucléaire jusqu’à l’accord passé – non sans difficulté – en 2015.

L’auteur accorde peu d’importance au changement de régime qui a directement conditionné le changement d’attitude de ses anciens partenaires. En effet, le passage du partenariat amical à la méfiance accrue date précisément de l’arrivée au pouvoir de la révolution islamique, Yves Bonnet en convient. Bien que les États-Unis aient cessé de soutenir le Shah au dernier moment pour supporter dans un premier temps l’Ayatollah Khomeini, l’accord secret passé entre les deux parties est immédiatement violé par le Guide. Ce dernier, une fois le pouvoir, acquis refuse de le partager et n’attend qu’une petite année pour évincer son Premier ministre, dont la présence était condition sine qua none du soutien américain. Alors, on peut considérer comme compréhensible voire normal le changement d’attitude, particulièrement du point de vue des États-Unis, suite à cette trahison. De plus, si l’attitude américaine peut être qualifiée d’hypocrite, que dire de l’attitude du premier Guide de la République islamique ? N’est-ce pas hypocrite que de conclure un marché et de profiter du soutien d’un État que l’on considère dores et déjà comme ennemi et que l’on compte trahir à la première occasion. Une autre preuve de cette hypocrisie réside dans la livraison d’armes de la part des États-Unis à l’Iran au cours de la guerre contre l’Irak, violant ainsi l’embargo sur les armes mis en place à la suite de la prise d’otage à l’ambassade. Là encore, la transaction nécessite le consentement des deux parties. Si l’oncle Sam a cherché à assurer la victoire ou du moins, à empêcher la défaite de son meilleur ennemi, l’Iran, lui, a bel et bien acheté ces armes en connaissant pertinemment leur origine. Si c’est une position hypocrite pour les États-Unis, il en va de même pour l’Iran.

Le dernier chapitre est consacré à l’analyse prospective de la crise. L’auteur fait la part belle à l’affrontement militaire, le qualifiant de « guerre nucléaire préventive » et qui entraînera selon lui une guerre totale dans la région. Il ne consacre que quelques lignes à la solution pacifique. Comme on le sait aujourd’hui, les différentes parties sont parvenues à un accord diplomatique et la confrontation armée avec l’Iran n’a jamais eu lieu. Il faut accorder à l’auteur qu’il était difficile d’imaginer que des négociations aboutiraient un jour, durant la période de rédaction de l’ouvrage (2008). Néanmoins, Yves Bonnet surestime largement les intentions belliqueuses américaines. Son analyse est plutôt juste, en revanche, concernant les Israéliens qui ont tout fait jusqu’au dernier moment pour saboter l’accord. Mais une réelle intention de règlement pacifique du conflit est apparue dans les rangs américains, que l’auteur était loin de soupçonner.

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Jordi LAFON

Journaliste indépendant et analyste géopolitique, diplômé d'un double master géoéconomie (IRIS) et affaires européennes (Paris 8), membre du Groupe d'Etudes Géopolitique. Spécialiste du Brexit et des questions européennes.

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