La Russie menace-t-elle l’Occident ? – Jean Sylvestre Mongrenier – Fiche de lecture
Choiseul, 2009, 220 pages
AUTEUR : Jean-Sylvestre Mongrenier.
Jeune chercheur, sa thèse Les enjeux géopolitiques de la défense européenne constitue, selon Yves Lacoste, l’une des meilleures thèses soutenues à l’Institut français de géopolitique. Spécialisé dans les questions de défense européenne, atlantique et occidentale.
OBJET :
A partir d’un titre volontiers accrocheur, J-S Mongrenier explique la Russie actuelle par la Russie passée, que ce soit durant ses périodes de faste ou de crise. Il s’agit donc de décrypter le système-monde vu par la Russie, ses relations avec les (l’) étranger (s), de même que l’étude de son système interne. C’est une analyse également de la rhétorique russe, notamment durant l’ère Poutine.
QUATRIEME DE COUVERTURE :
Si l’on en croit Vladimir Poutine, la fin de l’URSS serait « la plus grande catastrophe géopolitique du XX° siècle ». Les violentes menaces et actes hostiles à l’encontre de nations européennes donnent sens à cette brutale affirmation. Embargos énergétiques à répétition, tentatives de déstabilisation et passage à l’action armée contre la Géorgie empoisonnent les relations russo-européennes. Dans les crises extérieures qui mettent au défi l’Occident, en Iran ou dans d’autres théâtres géopolitiques, la Russie exploite, en vue de ses seuls intérêts, les opportunités stratégiques qu’elle rencontre.
L’Occident perdrait-il donc la « Russie-Eurasie », puissance perturbatrice et encline aux excès aux confins de l’Europe ? A la croisée de l’Orient et de l’Occident, cet Etat-continent est animé par un nouvel autoritarisme et les dirigeants russes entendent reconstituer une sphère de contrôle exclusif dans l’espace post-soviétique. Ils agissent en conséquence. Leurs prétentions s’opposent à l’extension des frontières de la liberté dans l’Ancien Monde et appellent des réponses à la hauteur des enjeux. Quelle posture l’Occident doit-il tenir face à ce pays ? Encore faut-il poser le juste diagnostic géopolitique.
RESUME
Introduction : La Russie, embarras géopolitique et problème de sécurité
Vingt après sa (re) naissance, la Russie est en train de redevenir un problème pour ses voisins. L’exemple en a été donné par le conflit avec la Géorgie en 2008. Elle pratique une politique révisionniste, en ce qui concerne ses frontières, bien éloignées de celles, courantes, en Europe de l’Ouest, ce qui peut faire dire qu’elle s’éloigne de cette dernière. Néanmoins, elle semble toute tournée vers l’Occident, après avoir opéré la « manoeuvre de Gengis Khan » (Castex), c’est-à-dire après avoir assuré ses arrières en Asie. Elle inquiète également car toutes ses dernières menaces (les guerres du gaz par exemple) ont montré que ses dirigeants étaient prêts à tout pour montrer leur puissance politique. La problématique de l’ouvrage est à l’opposé de son titre : la Russie ne basculerait-elle pas, en réalité, vers l’Est ?
I) A la croisée de l’Orient et de l’Occident
Dans toute son histoire, la Russie apparait comme le modèle impérial par excellence, avec des périphéries fortement dépendantes d’un centre ordonnateur. Lorsque De Gaulle parle d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural, il ne fait que signifier l’européanité évidente de la Russie. Mais plus récemment dans son histoire, on ne peut que remarquer également l’asiatisme de certaines régions russes. Cet asiatisme grandit au fur et à mesure des poussées successives russes vers l’Est, comme à la fin du XIX° siècle. Et avec la disparition de l’URSS en 1991, on constate qu’aucun territoire asiatique n’a été perdu, alors qu’à l’Ouest, les marges russes ont été fortement rognées. Néanmoins, on ne peut comparer le dynamisme des régions occidentales avec celui des régions orientales, et ce malgré l’importance des relations économiques que la Russie entretient avec l’Asie-pacifique. Le développement oriental reste trop axé autour de la ligne Khabarvosk-Vladivostok, signe d’une croissance déséquilibrée. Et au niveau diplomatique, les dirigeants n’ont de cesse d’affirmer cet asiatisme russe, alors que souvent, il est question de « partenariat conflictuel » lorsque ceux-ci définissent leur relation avec l’Occident.
Mais s’il est un pays asiatique avec lequel la Russie maintient des relations conflictuelles historiquement, il s’agit bien du Japon. Le tournant des années 1980, au cours desquelles le petit Japon vient à dépasser (économiquement) la grande Russie marque encore les esprits russes et a obligé la Russie à se tourner vers son rival. Enfin, le rôle russe dans la médiation avec Pyongyang n’est pas réellement significatif. Elle tente surtout de ne pas être écartée des principales négociations. Voilà donc pourquoi on peut affirmer que dans ses relations avec l’Asie, la Russie privilégie le statu quo, tout en cherchant à insérer des régions orientales dans la dynamique pacifique. Son orientalisme s’affirme, notamment, à travers « l’OTAN d’Asie » : l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS).
II) « Voie russe » et despotisme oriental
La Russie de Poutine s’est éloignée du concept même de démocratie. Le « système Poutine » est bien devenu un système autoritaire : non-respect des règles constitutionnelles, peu d’opposition, prédominance des clans, etc. Le pouvoir s’assoit sur une rente énergétique énorme ainsi que sur « la manipulation politique des échanges économiques ». L’auteur affirme le pouvoir des siloviki, ces fonctionnaires issus des anciens services de sécurité (KGB/FSB), donnant naissance au concept de « démocratie dirigée » (Sourkov). L’auteur parle plutôt « d’autoritarisme patrimonial ». Le modèle russe apparait donc clairement : un mélange d’une ouverture économique sélective et d’un contrôle politique tous azimuts. Cependant, attribuer cet autoritarisme au seul Poutine s’avère être une erreur historique. L’échec de la libéralisation est dû en réalité au poids massif que joue l’histoire sur les mœurs russes. A ce titre, l’occidentalisation démocratique ne s’est donc pas effectuée.
La violence du régime communiste reste parfois prégnante dans la Russie actuelle. D’ailleurs, Mongrenier affirme que la planification, décidée sous Lénine et Staline, avait été une formidable erreur, mais leur sens de la tactique leur avait permis de se maintenir au pouvoir malgré leurs échecs économiques. Ce pouvoir reposait sur deux illusions : celle d’un planisme qui ne peut jamais être conforme à la réalité économique ; illusion d’une existence de ressources naturelles inépuisables. Mais l’URSS s’était également construite dans une négation de l’Autre (les Etats-Unis), négation qui disparait sous l’ère gorbatchévienne. Avec Eltsine, la démocratisation s’améliore, puisque celui-ci est légitimement élu au suffrage universel. Mais ses trop nombreux échecs (dépression économique, krachs financiers, etc.) ont eu raison de cette transition démocratique. Les élites ont repris le pouvoir et ce qui restait de l’URSS grâce à Poutine. Celui-ci a dû payer les conséquences d’une guerre des régions existante avec Eltsine, puisque les potentats locaux, dès la fin de l’URSS, se sont saisis des richesses régionales (entreprises, hommes, …). Les périphéries ont alors acquis un poids énorme sous Eltsine, poids que Poutine a dû avant tout diminuer. Poutine a réussi à rétablir une autorité véritable de l’Etat central, tout en profitant, au début, de la manne pétrolière. Le clientélisme est malheureusement revenu, et les pratiques politiques se sont fortement durcies. Les spécialistes parlent alors de militarocratie russe. Mais Poutine craint les Révolutions de couleur dans les pays proches, et craint surtout un effet domino qui toucherait la Russie.
III) Volonté de puissance et ressentiment historique
Historiquement, la Russie a toujours été à la recherche du concept de puissance. Cet Etat-continent a toujours voulu se muer en « Etat-monde ». L’apogée de ce concept date des années 1970, quand l’URSS est reconnue comme l’égal ou presque des Etats-Unis, ces derniers craignant d’ailleurs une victoire des Soviétiques sur l’Europe de l’Ouest. Cette période a évidemment été marquée par la tentation de l’isolationnisme américain, après l’affront vietnamien. Mais la mauvaise circulation des idées en URSS, coordonnée avec de grandes contraintes extérieures entrainent la décadence de l’URSS. Pendant les années 1990, de grands spécialistes pensent même que le vidé laissé par l’URSS sera, un jour, comblé par l’Occident. Historiquement, on observe que la recherche de la puissance (derjava en russe) handicape la Russie plus qu’elle ne l’a aidée. Mongrenier affirme même que cette derjava constitue un programme politique pour bon nombre de dirigeants russes.
Cette notion réapparait depuis quelques années, puisque beaucoup considèrent, comme Poutine, que la Russie est une puissance (ré)émergente. Il suffit de voir le nombre d’organisations formelles (OCS) ou informelles (BRIC) pour s’en persuader. Cette réapparition est évidemment due à la forte croissance économique de ce début de siècle, qui va de pair avec un contrôle total du Kremlin sur le système économique. Mais c’est surtout son utilisation politique qui est à noter, puisque Poutine, en rejoignant les BRIC, peut se targuer d’obtenir les mêmes pourcentages de croissance que l’Inde ou la Chine. L’exemple du gaz démontre la puissance politique que peut avoir la Russie sur son environnement proche, si bien que l’on constate que tout soft power russe apparait inexistant, puisque la Russie n’est toujours pas apaisée vis-à-vis de son passé. Elle a bien plus souffert de la crise de 2008 que les autres membres du BRIC, dont la faute est rejetée sur bon nombre d’oligarques. Elle se prend finalement pour une puissance qu’elle n’est pas réellement, car comme le dit G. Sokoloff, la Russie est une « puissance pauvre ».
IV) Heartland et néo-asiatisme
La Russie actuelle reste toujours marquée par les idées de Pierre le Grand, selon lequel la Russie devait être l’empire dominant l’Europe. Mais aujourd’hui, force est de constater que la Russie s’est éloignée de cet idéal, et que beaucoup d’espoirs investis dans la Russie, notamment dans des stratégies d’alliances nouées avec d’autres grands pays, sont démentis par la réalité. On revient donc à la question initiale : la Russie n’est-elle pas en réalité asiatique ? Lors de son extension vers l’Est à la fin du XIX° siècle, on la voyait comme un pays asiatique doté « d’une extension européenne menaçante ». A cette époque, certains penseurs la voient en retard vis-à-vis de l’Occident, d’autres pensent qu’elle suit en réalité sa propre trajectoire.
Avec la fin du communisme, on pense très rapidement que la Russie peut s’intégrer à l’Europe, sous la forme d’une périphérie de celle-ci. Mais ce n’est pas la vision des dirigeants russes, réfutant la thèse d’un grand Occident s’étendant jusqu’à Vladivostok. La Russie s’inspire donc du concept d’heartland de Mac Kinder, qui désigne la « masse terrestre eurasiatique ». Selon lui, le heartland est le « pivot géographique de l’histoire ». On comprend qu’à l’élaboration de cette thèse, entre la fin du XIX° et le début du XX° siècle, les puissances européennes puissent s’inquiéter du poids de la Russie, celle-ci dominant alors le heartland dessiné par MacKinder. Cette thèse est néanmoins réfutée, trop manichéenne, s’inspirant uniquement du dualisme Terre-Mer. Une vraie grande puissance serait capable de se projeter par-delà les mers pour imposer son joug. Or, la Russie n’en a jamais été capable.
La Russie évolue donc au XX° siècle vers un eurasisme plus flagrant, et apparait à l’époque comme le modèle parfait de synthèse occidentalo-orientale. La mission russe est alors d’unifier la partie asiatique du heartland, avant de dominer le monde entier.
V) Incertitudes et faux-semblants des partenariats russo-occidentaux
Les accords Occident-Russie ont rarement tenu leurs promesses. Trop souvent, de nombreuses questions qui fâchent (récemment la défense antimissile) ne sont pas traitées. Pour l’auteur, ces oppositions sont « irréductibles à des facteurs individuels ». Pourtant, dès la fin de l’URSS, Boris Eltsine cherche un partenariat stratégique avec les Etats-Unis, avec l’idée implicite de perpétuer le range de superpuissance qu’a pourtant perdu la Russie. L’entrée de la Russie au G7 en est un aboutissement. Mais peu à peu la Russie se tourne vers les autres puissances émergentes pour contrebalancer les Etats-Unis. Le début du mandat Poutine marque définitivement cette rupture, malgré un certain rapprochement après le 11 septembre (le combat contre l’islamisme est déjà mené par la Russie en Tchétchénie). Cependant, bizarrement, ce sont bien les Etats-Unis qui font l’effort de se rapprocher ensuite de la Russie, avant tout pour équilibrer leurs importations d’hydrocarbures, trop centrées sur le Moyen-Orient. Dans le même temps, il semble que la Russie ait abandonné un peu son projet de puissance, en voyant les Révolutions de couleur se propager et le rapprochement Europe Etats-Unis se perpétuer. Elle cherche donc désormais à garder ses positions sur son environnement proche.
Avec l’UE, la relation a connu des moments difficiles à partir de l’intégration d’ex PECO dans l’UE dès 2004. Certes, de nombreux rapports commerciaux sont entretenus, par exemple sur l’énergie. Mais l’absence de valeurs communes ne permet pas pour l’instant de parler d’axe européo-russe. La Russie émet toujours un frein à « importer » la démocratie européenne, et tout simplement la Russie se pense comme trop grande pour être intégrée dans l’UE. Son principal outil d’influence reste donc bien ses hydrocarbures.
VI) Des missiles aux pipelines : l’ombre portée de la Russie sur l’Europe
La force armée semble être toujours l’un des moyens d’expression de la puissance russe comme elle l’a montré lors du conflit avec la Géorgie en 2008. Mais elle reste une puissance largement amputée, si bien que son influence passe plus par des pressions diplomatiques ou des infiltrations ses pays adverses que de réelles actions (impossibles, compte tenu de la vétusté du matériel !). Cependant, selon Isabelle Facoin, spécialiste de la région, l’action en Géorgie a montré que « la leçon aura été retenue dans la région et c’est là l’essentiel pour Moscou ». Néanmoins, on peut noter le redressement opéré par Poutine, à coups de dépenses étatiques, que reflète la part des dépenses militaires dans le PIB (3%). Elle n’est donc pas une menace globale, mais bien une puissance à respecter. Elle considère toujours l’OTAN comme un ennemi (à réactualiser avec la rencontre de décembre 2010), et se méfie de son empreinte sur les ex-PECO. Son doux rêve serait de voir un retrait américain d’Europe.
L’auteur constate également des asymétries énergétiques entre la Russie et l’Europe. Elle est le premier producteur mondial de gaz, deuxième pour le pétrole, mais ses gisements se trouvent très loin vers l’Est, en Sibérie (Bakou III). La consommation européenne de pétrole provient pour un quart de Russie, part qui pourrait augmenter au fur et à mesure de l’accroissement de cette dépendance. Et on ne pourrait guère oublier la bataille des conduites (enjeu du conflit de 2008), nécessaire au désenclavement de l’Asie Centrale (BTC, par exemple) mais contraire aux volontés russes. Pour l’instant, l’Ukraine et la Biélorussie sont traversées par les gazoducs venant de Russie. La Russie se tourne désormais vers des liaisons directes avec l’Europe de l’Ouest, fussent-elles sous-marines. Elle sait pertinemment qu’elle dispose d’un atout majeur de coercition, voire de puissance. Elle se pose ainsi en faveur d’un « OTAN du gaz » avec deux autres grands producteurs : le Qatar et l’Iran. L’auteur conclut en affirmant que tout porte à croire que de nouveaux conflits énergétiques avec la Russie sont fort possibles.
VII) La relation Moscou-Pékin et la quête d’appuis asiatiques
La Russie entend donc bien en réalité mener une alliance triangulaire avec la Chine et l’Inde, alliance qui apparait aujourd’hui irréelle, tant l’axe sino-indien apparait plutôt source de tensions et non pas d’échanges. La Russie use donc bien de l’Inde comme contrepoids à la croissance chinoise, à l’instar d’autres puissances occidentales. Durant les vingt dernières années, la Russie a cherché l’appui constant de la Chine, notamment dans le but de contrer la puissance américaine (délimitation frontalière réglée, contrats énergétiques, etc.). La Chine tend néanmoins ses derniers temps à vouloir développer elle-même son propre armement, sans l’importer de Russie, quitte à froisser l’ancien « grand frère ». La Chine utilise également à bon escient les hydrocarbures russes, pour éviter une trop forte dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient. L’auteur précise que leurs relations ne sont pas dénuées d’arrière-pensées, et une méfiance réciproque est bien installée. C’est en cela que l’OCS rapproche les deux pays, dans le seul but de créer un contrepoids à l’OTAN occidental. Mais l’OCS n’est pas une alliance militaire, et en réalité il semble bien que l’instance permette à leurs membres de se contrôler mutuellement, sans véritable action commune de leur part. Leurs voisins n’ont pour seule volonté que de rejoindre le mouvement, permettant ainsi leur désenclavement.
VIII) Le pacte Moscou-Téhéran
Alors qu’on pensait le rapprochement entre la Russie et Israël définitif, la décision russe de soutenir certains pays hostiles à Israël comme la Syrie ou l’Iran a gelé les relations entre les deux pays. La politique russe est devenue sous Poutine plus arabo-musulmane, comme lors de certaines phases de l’histoire soviétique. L’engagement aux côtés du Hamas, et le soutien direct au régime syrien d’El-Assad en sont des exemples.
Mais, alors même que l’Iran devient de plus en plus marginalisé par l’Occident, la Russie s’en rapproche à chaque fois d’une manière différente. Les Russes font peu de cas du danger nucléaire iranien, tentant à chaque fois de réduire les sanctions prises par l’ONU. Du côté occidental, on pense que la Russie n’opère que par marchandage, tentant à tout prix de faire « monter les enchères ». C’est bien du côté énergétique que l’on doit comprendre cette alliance, puisque les deux représentent le quart des réserves mondiales de pétrole. Une « organisation commune gazière » est également possible. Et évidemment l’Iran permettrait à la Russie de s’ouvrir l’accès aux mers du Sud, objectif toujours recherché par les Soviétiques puis les Russes depuis un siècle. Mais de là à parler d’axe Moscou-Téhéran…
IX) « Etranger proche » et « étranger lointain »
La Russie ne se contente pas du seul partenariat avec l’Iran. Mais son champ d’action s’amenuise peu à peu, au fur et à mesure de la montée en puissance de la Chine, qui pourrait, selon l’auteur, grignoter l’Extrême-Orient russe, si bien que « la pertinence des prétentions russes se limite à l’espace postsoviétique ». La CEI est un espace viable, complètement organisé par la Russie, dont tous les pays membres dépendent fortement. Mais le projet d’une « Union eurasiatique », voulue par le Kazakhstan en 1994, avec une monnaie unique, s’avère impensable aujourd’hui. La seule véritable alliance entre ces pays est constituée par l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) depuis 2001. L’OTSC a été depuis fortement éclipsée par l’OCS, rendant sa visibilité quasi nulle. Son rapprochement avec l’OTAN la rendrait peut-être plus efficace.
Dans la CEI, les mouvements centrifuges sont très prégnants, chaque pays membre cherchant à affirmer une certaine indépendance. L’exemple est donné par l’Ukraine, dont les affrontements avec la Russie ne sont pas uniquement énergétiques. L’Azerbaïdjan, quant à lui, se veut à la fois membre de la CEI et ouvert aux propositions américaines, dans un mélange de realpolitik moderne. La Russie se méfie de plus en plus du GUUAM, alliant divers pays de l’Eurasie (Géorgie, Ukraine, Ouzbékistan, Azerbaïdjan et Moldavie), alternative possible à la CEI.
ANALYSE :
La Russie menace-t-elle l’Occident ? constitue une référence majeure pour étudier la Russie actuelle, puisque tous les aspects de la puissance russe (et même au-delà) sont abordés. Dommage, peut-être, que le titre soit trop aguicheur, et très peu développé dans les chapitres du livre. La mise en perspective historique, continue tout au long de l’ouvrage, aide très largement à la compréhension, et est même parfois un peut trop précise.
Tout ce qui concerne la Russie (d’un point de vue géopolitique) est passé en revue, étudié, critiqué. Les vingt dernières années constituent clairement le cœur de l’ouvrage, et montrent que la Russie est perpétuellement en quête d’un lustre passé, mais qui semble aujourd’hui réellement inatteignable pour ce pays qui semble s’enfermer sur lui-même et qui est dépassé, année après année, par des pays sur lesquels elle avait une certaine influence autrefois (Chine, Inde, Europe de l’Est). Et sa description du « système Poutine », aussi étayée soit-elle, fait froid dans le dos.
Quelle conclusion tire J-S Mongrenier ? Difficile à dire. La Russie est à tout à la fois européenne, asiatique, eurasiatique, tout à la fois intégrée dans de multiples relations et organisations, qui la rendent très difficile à lire. Disons qu’elle n’est pas une menace pour l’Occident (l’a-t-elle déjà été ?), mais, en contrepartie, l’Occident ne doit pas la nier, doit toujours s’en méfier, au risque, peut-être, d’avoir à le regretter.