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La relation entre la Russie et la Turquie dans le Karabakh : coopération ou rivalité ?

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Aujourd’hui présents sur plusieurs fronts, en particulier au Moyen-Orient et en Méditerranée orientale, la Turquie et la Russie tantôt soutiennent des partis idéologiquement opposés, tantôt s’affrontent pour des intérêts communs. Cette confrontation quasi-systématique mène à envisager une concurrence entre les deux pays. En même temps, sur plusieurs plans, militaire mais aussi énergétique ou touristique, ils ont pu s’associer en mettant de côté les antagonismes. Qu’en est-il dans le conflit du Haut-Karabakh ? 

Russie Turquie
Opération de surveillance et de maintien de la paix mise en place par la Russie, depuis le cessez-le-feu du 10 novembre 2020.

Dans la presse, les interprétations se contredisent. Certains indiquent que la Russie est « le véritable gagnant[1] » du Haut-Karabakh, d’autres évoquent la « grande victoire[2] » de la Turquie. Cela fait apparaître que l’un comme l’autre est parvenu à achever ses objectifs. Tous deux obtiennent effectivement un gain dans la résolution du conflit. Cependant il est aussi possible de ne pas le voir comme une guerre ouverte entre la Russie et la Turquie, mais plutôt comme une occasion de coopération.

Plusieurs éléments nuancent cette opposition. Tout d’abord, le fait que l’opposition idéologique – qu’elle repose sur une argumentation religieuse, ethnique ou historique – est le plus souvent efficiente du point de vue de la mobilisation individuelle et nationale. Cependant elle reste décalée au niveau des intérêts réels des alliances interétatiques. Ensuite, la relation actuelle entre la Turquie et l’Arménie rend difficilement possible des opérations de surveillance turques dans la région. Il n’est donc pas surprenant que la Russie ait eu une telle importance, contrairement à la Turquie.

Une rivalité diplomatique et énergétique ?

Plusieurs éléments ont fait supposer, au début du conflit du Haut-Karabakh, que celui-ci engendrerait une guerre entre la Turquie et la Russie. Tout d’abord, la position stratégique de la région pour les oléoducs et gazoducs connectés au « marché mondial[3] ». Ensuite, le fait que la Turquie intervienne sur un ancien territoire soviétique[4]. Ces facteurs, parmi d’autres, pourraient être des déclencheurs de conflit pour les deux pays. Penser une rivalité entre la Russie et la Turquie est aussi une hypothèse qui arrange l’OTAN. La Turquie a en effet joué pour lui le rôle d’un contrepoids régional à l’issue de la Guerre Froide[5].

Aujourd’hui, la balance géopolitique a changé. Mais il est probable que l’Ouest voit toujours la Turquie comme un rempart à une expansion russe. Certains voient d’un œil inquiet la possibilité, au contraire, d’une alliance russo-turque. D’autres ont évoqué la théorie selon laquelle l’objectif de la Turquie était d’aider la Russie à s’implanter dans le Caucase, sous-entendant qu’il s’agissait d’un travail commun avec la Russie et l’Iran pour contrer l’influence des Etats-Unis[6].

Si les deux États se sont stabilisés sur le plan énergétique, une rivalité est encore sensible sur le plan diplomatique. La manœuvre de la Russie dans le Caucase est qualifiée quelquefois de « politique de désencerclement ». Celle-ci est destinée à « alléger la pression que ressent certainement la Turquie en raison de l’accroissement de l’empreinte militaire russe dans son voisinage immédiat, en mer Noire, dans le Caucase et au Levant[7]. ».

Le conflit du Haut-Karabakh, une nouvelle occasion de coopération militaire

Actuellement, la Russie fournit plus de 70% du gaz importé par la Turquie[8]. Les groupes nationalistes turcs ont encouragé ce rapprochement avec des acteurs septentrionaux et orientaux[9]. Cela se comprend en lien avec un écartement des intérêts de l’Union Européenne et de l’OTAN. Le Caucase, du fait de son potentiel énergétique, est devenu un enjeu de coopération majeur entre ces deux pays. Ce qui leur a permis de se rapprocher sur des dossiers sur lesquels leurs positions étaient initialement divergentes.[10]

Sur le plan militaire, la Turquie et la Russie coopèrent dans le Caucase depuis l’établissement du cessez-le-feu. Mevlut Çavuşoğlu, le ministre des affaires étrangères turc, a déclaré le 29 décembre 2020 après un entretien avec son homologue Sergey Lavrov, que « en tant que les deux pays majeurs dans la région, notre coopération produit des résultat tangibles. […] Ici, notre objectif est d’installer une paix et une stabilité durables.[11] » L’image que la Turquie cherche à présenter est celle de deux Etats capables de gérer conjointement les conflits régionaux. Du côté russe, le ministre des affaires étrangères a déclaré le 11 juin que « l’implication de la Turquie dans la surveillance du cessez-le-feu est un facteur de stabilisation pour le Caucase[12] ».

Ainsi le conflit du Haut-Karabakh est une occasion de questionner la relation ambigüe entre ces deux acteurs. Une interprétation univoque est impossible, et ce sujet demanderait une mise en perspective avec les autres opérations militaires de la Turquie et la Russie. Cependant, le cas du Karabakh a manifesté la possibilité d’une entente diplomatique et militaire entre ces deux pays. L’un comme l’autre cherche, depuis la signature du traité de cessez-le-feu, à afficher internationalement le succès de leur coopération.

 

Bibliographie

[1] STEINMANN Luca, Reset DOC, « Four Months Later, Russia Is the Real Winner in Nagorno Karabakh ». 4/03/2021, consulté le 24/05/2021. https://www.resetdoc.org/story/four-months-later-russia-real-winner-nagorno-karabakh/

[2] OSWALD Philippe, La Sélection du Jour (n°1116), «Victoire turque au Haut-Karabakh ». Consulté le 7 septembre 2021. https://www.laselectiondujour.com/victoire-turque-au-haut-karabakh-n1116/.

[3] STEINMANN Luca, Reset DOC, « Four Months Later, Russia Is the Real Winner in Nagorno Karabakh ». Ibidem.

[4] Ce qui n’est finalement pas arrivé puisqu’officiellement la Turquie n’est pas intervenue militairement dans la guerre. Cependant il est aujourd’hui certain que celle-ci a envoyé des mercenaires originaires de Syrie en première ligne dans le conflit, bien que cette information ait été en premier lieu démentie par les gouvernements turcs et azerbaïdjanais.

[5] WINROW Gareth, Turkey, Russia and the Caucasus: common and diverging interests, Chatham House, Novembre 2019. P°4.

[6] FRANTZMAN Seth J., The Jerusalem Post, « Turkey’s Goal in Caucasus Was to Increase Russia’s Role – Analysis », 03/01/2021, consulté le 25/04/2021.

[7] DELANOE Igor, Le Monde Diplomatique, « Bras de fer russo-turc dans le Caucase », décembre 2020, p°7.

[8] HILL Fiona, TASPINAR Omer, KASTOUEVA-JEAN Tatiana, « La Russie et la Turquie au Caucase : se rapprocher pour préserver le statu quo ? », Politique étrangère, vol. hors-série, no. 5, 2007, pp. 153-166.

[9] Ibidem.

[10] HILL Fiona, TASPINAR Omer, KASTOUEVA-JEAN Tatiana, « La Russie et la Turquie au Caucase : se rapprocher pour préserver le statu quo ? », Politique étrangère, Ibidem.

[11] “As the two major countries in the region, our cooperation is producing tangible results. A ceasefire was established on Karabakh. The Russian peacekeeping mission is on the ground. Our joint observation center is also being established. Here, our aim is lasting peace and stability”

Hurriyet Daily News, “Turkey, Russia continue cooperation on South Caucasus”, 29/12/2020, consulté le 11/06/2021.

[12] “Turkey’s involvement in the process of monitoring the ceasefire in Karabakh is a stabilizing factor” Source : https://caucasus.liveuamap.com/ , 11/06/2021, consulté le 11/06/2021.

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Marie LEPAGE

est étudiante en Master de Géopolitique à Paris 8. Elle s'intéresse en particulier au Moyen-Orient, à la politique étrangère de la Turquie et aux problématiques sociales soulevées par les conflits géopolitiques régionaux.

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