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Le triomphe de la cupidité – Joseph E. Stiglitz – Fiche de lecture

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413RD-CVOHLPrésentation de l’ouvrage :

Joseph Stiglitz nait en 1943 dans la ville américaine de Gary (Indiana). Après avoir obtenu son doctorat du Massachussetts Insitute of Technology à seulement 24 ans et une bourse de Cambridge, il devient professeur à l’université de Yale. Il a enseigné également au MIT, à Stanford, Oxford, Princeton et actuellement à Columbia. Il fut conseiller économique en chef de B. Clinton (1995-1997) et économiste en chef à la Banque Mondiale (1997-2000). Il fut également conseiller lors de la campagne de B. Obama. Il obtient le prix Nobel d’économie1 en 2001. J. Stiglitz fait partie du courant des nouveaux keynésiens ; ses travaux sur l’économie du développement, notamment à l’université de Nairobi lui fond toucher du doigt les problèmes d’imperfection et d’incertitude des marchés. Il se veut critique envers les dérives de la finance et les politiques des institutions économiques mondiales ; ce qui l’amène à démissionner de la BM. Le triomphe de la cupidité est un essai critique, publié pour la première fois en 2010, deux ans après le début de la crise des subprimes. L’auteur y étudie les causes de la crise, les réponses données et fournit à l’issu de l’ouvrage un ensemble de leçons à suivre pour éviter toutes catastrophes similaires. L’ouvrage, composé de 513 pages, est divisé en 10 chapitres. Deux parties majeures apparaissent ; ce qu’il s’est passé et ce qu’il aurait fallu faire.

La première partie de l’ouvrage regroupant les chapitres 1 à 5 traite des mécanismes qui engendrèrent la crise économique de 2008, de ses conséquences et des politiques mises en place pour y faire face. Dans le premier chapitre, après avoir brièvement évoqué les crises antérieures, J. Stiglitz tente de répondre à la question « comment tout cela est il arrivé ? » (p43). Il survole les évènements, sur lesquels il revient tout au long de l’ouvrage, dresse une première liste d’acteurs et de mécanismes responsables de la crise. Suite à l’explosion de la bulle informatique en 2001, les USA ont subis une courte récession palliée par un programme massif de baisses d’impôts et des taux d’intérêts ce qui contribua à la mise en place d’une bulle immobilière qui stimula la croissance et permit de faire face à la multiplication par quatre des prix du baril après l’invasion de l’Irak en 2003. La mise en place de prêts hypothécaires, que l’auteur aborde en détail au chapitre 4, combiné à l’explosion de la bulle immobilière engendra une crise majeure au moment où l’état américain promouvait l’accession à la propriété. Les acteurs de la crise sont, d’après l’auteur, les théoriciens prônant la dérèglementation et donc la non intervention de l’état, les autorités de contrôle comme la Réserve Fédérale qui ne sont pas intervenue dès les premiers signes, les financiers2. Dans le deuxième chapitre, l’auteur expose les effets de la crise et dénonce sa gestion par les administrations Bush et Obama. Le troisième chapitre est l’occasion pour l’auteur d’exposer son « plan de stimulation » (p130) prônant par exemple l’investissement massif de l’état qui certes accroitra sa dette mais permettra une relance de la production et de l’emploi tout en assurant une croissance à long terme. J. Stiglitz y déplore que la stimulation d’Obama ne fût pas assez poussée et défend cette politique keynésienne. Le quatrième chapitre est entièrement consacré à l’étude des prêts hypothécaires, les fameux « subprimes » qui, par le biais de la titrisation se transformèrent en CDO3 ou junk bonds frappant dans une deuxième phase de la crise les investisseurs institutionnels et permettant aux banques d’expurger leur bilans de ces actifs dits « pourris ». Le chapitre 5 dresse un portrait critique des institutions et du mode de fonctionnement de l’économie américaine.

Les chapitres 6 à 10 ouvrent une démarche prospective dans laquelle J. Stiglitz détaille les différentes réponses à la crise qui auraient été les plus efficaces. Il soulève les problèmes d’une réglementation inexistante et d’incitations perverses faites aux financiers comme « la rémunération au résultat » (p283). Il y plaide pour une meilleure transparence et une moralisation de la finance avec une articulation du chapitre autour de nombreux « que faire ? » permettant à l’auteur d’exposer sa vision.

Les chapitres 7, 9 et 10 présentent un plaidoyer de l’auteur en faveur d’une nouvelle économie prenant en compte l’écart entre l’offre et la demande mondiale, la modification de l’avantage comparatif des États-Unis (et d’autres pays développés) face aux nouvelles puissances, les défis environnementaux mais aussi les questions d’inégalités. L’auteur y argue également en faveur d’un rôle plus important de l’état et rappelle que l’économie doit être le moyen d’accomplir les aspirations humaines en prenant en compte loisirs, bien être du travailleur mais aussi respect de l’environnement. Enfin, le chapitre 8 met en lumière une perte de confiance dans le système capitaliste américain. Il y appelle principalement à une réforme des institutions mondiales encore réticentes, comme dans le cas des G8, G20 ou du FMI, à aborder les questions de réglementation du libéralisme, des banques too big to fail.

J. Stiglitz écrit dans un contexte particulier ; il n’en est pas à son premier ouvrage remettant en cause le système financier (cf. La grande désillusion en 2001 ou Quand le capitalisme perd la tête en 2003) mais cette fois la crise est d’une ampleur inégalée. Lorsqu’il commence la rédaction de l’ouvrage B. Obama vient d’être élu. L’espoir de voir corriger les défauts d’un capitalisme déréglementé encouragé par les conservateurs (p54) est alors ardent. L’auteur et Escoto Brockmann, alors président de l’Assemblée Générale de l’ONU, mettent en place un sommet de crise pour aborder de manière globale la crise financière, la défaillance des institutions4 ; il y alors une prise de conscience mais elle est restreinte du fait de l’opacité entretenue depuis longtemps par le système financier. Peu de temps avant, la crise des subprimes intervint dans un contexte d’explosion d’une bulle immobilière. Suite à la baisse des taux de rendement des obligations émises par la Réserve Fédérale, les investisseurs se sont tournés vers des prêts hypothécaires à forts rendements (les CDO). Puis, assurés par exemple par le système des CDS, ils mirent en place des prêts plus risqués (les subprimes) afin de trouver de nouveaux propriétaires potentiels d’actifs immobiliers (ce qui sous entend ; pas de regard sur les revenues, pas d’acomptes, pas de documents à fournir). Lors de l’éclatement de la bulle immobilière de nombreuses familles furent dans l’incapacité de rembourser leur prêt adossé à une valeur surestimée de leur propriété. Les organismes de crédits saisirent alors des biens immobiliers de plus en plus nombreux ; ce qui fut chuter les prix. Pendant ce temps les emprunteurs prime remboursaient un prêt qui ne correspondait plus au prix, en chute, de leur bien. Le défaut de payement se généralisant de nombreux organismes financiers firent faillite. Or, et c’est ce que l’auteur dénonce, l’état vint au secours de banques too big to fail, ce qui exacerba la crise des dettes publiques puisque les banques ne mirent pas en place des mécanismes de relance. Dans Le triomphe de la cupidité, J. Stiglitz frappé par les conséquences sur la population, s’adresse directement aux citoyens (en témoigne la grande « vulgarisation » des enjeux économiques), aux systèmes financiers5 mais également aux générations futures6 pour prévenir les crises.

 Les thématiques abordées :

Les intentions de l’auteur sont claires ; il s’agit de dénoncer le système financier ultra libéral7. Ses positions sont déjà fortes lorsqu’il rédige Le triomphe de la cupidité comme en témoigne Le rapport Stiglitz, largement rejeté par les pays industrialisés, qui précéda le sommet de l’ONU sur la crise. De même, vu ses travaux sur l’asymétrie de l’information, qui lui valurent le prix de la banque de Suède en mémoire d’A. Nobel ou son engagement dans le mouvement des nouveaux keynésiens (p11) l’ouvrage s’oriente vers une critique du modèle économique américain et mondial. Ainsi, lorsque l’auteur fixe comme objectif à son ouvrage de répondre aux questions « Comment la plus grande économie du monde a t’elle coulée à pic ? Quelles politiques et quels évènements ont déclenché l’effondrement de 2008 ? », le lecteur peut s’attendre à une remise en cause du modèle économique libéral américain.

Les idées fortes de l’ouvrage et les faits présentés se confondent. À partir des faits critiqués l’auteur propose des solutions. Contre le manque de régulation et pour remédier aux conséquences de la crise il requiert un refinancement des banques sous contrôle. Il critique le refinancement des banques too big to fail par l’argent du contribuable8 qui ne fut pas suivi d’un contrôle des retours sur les mécanismes de croissance9 et requiert de l’état, qui bénéficie d’un taux d’emprunt faible, une aide aux familles victimes de la crise immobilière10. L’auteur dénonce le « deux poids deux mesures » mis en place par « l’aléa moral » ; des professionnels des marchés financiers s’opposent au renflouement des propriétaires défaillants ou des banques en Indonésie ou Thaïlande11 (p64) en invoquant un risque de mauvaises incitations mais demandent un refinancement des banques américaines. Influencé par ses travaux sur l’information, Il dénonce également le rôle joué, aux frontières du délit d’initié, par les agences de notation auprès des CDO toxiques par exemple. Il reproche également le déficit moral dans le secteur financier qui peut s’illustrer par les facilités d’accès extrêmes aux prêts subprimes. Enfin, d’une manière plus générale, l’auteur critique l’enseignement de la science économique et réclame des politiques d’investissements à long terme dans les secteurs porteurs, garants selon la doctrine keynésienne, de multiplicateurs élevés.

• « La seule surprise de la crise économique de 2008, c’est qu’elle ait tant surpris »12 p40

• « Les caractères du mot chinois qui veut dire crise signifient ‘’danger’’ et ‘’bonne occasion’’. Nous avons vu le danger. Saisirons nous l’occasion de retrouver notre équilibre entre le marché et l’état, entre l’individuel et le collectif, entre l’homme et la nature, entre les moyens et les fins ? » p516

Analyse critique :

Du fait de la notoriété que lui confère son titre de prix Nobel, la remise en cause des politiques d’austérité et de la dérégulation semble apparaitre avec J. Stiglitz. Pourtant de nombreux auteurs traitaient déjà de ces enjeux. L’ouvrage polémique de Naomi Klein, La stratégie du choc (2007), porte sur la critique des politiques du FMI et de « l’École de Chicago ». À l’inverse de la tendance démocrate de l’auteur, dans American Theocraty (2006) et Bad Money (2008), le républicain Kevin Phillips prédisait déjà la financiarisation extrême de l’économie américaine. Dans son livre Pourquoi les crises reviennent toujours ? (2009), Paul Krugman, également prix Nobel d’économie en 2008, dresse les mêmes constats et préconise au même titre que J. Stiglitz une inflation mondiale massive pour sortir de la crise et éviter le phénomène de trappe à liquidité. Ce qui peut s’illustrer par sa proposition, en janvier 2013, de créer une pièce de 1000 milliards $ pour sortir de la dette aux USA. Enfin, Le casse du siècle (2010) de Michael Lewis montre que nombreux furent les financiers à avoir anticipé la crise dès 2005 et qu’ils en profitèrent pour amasser des fortunes, rejoignant l’analyse de J. Stiglitz sur le déficit moral.

Certaines critiques peuvent être émises à l’encontre de l’ouvrage de J. Stiglitz. Dans un premier temps, les répétitions sont multiples ; il existe certes une interconnexion des sujets mais éviter de nombreuses répétitions aurait permis de rendre le livre encore plus accessible. Deuxièmement, il semble paradoxal de faire un tel étalage de carnet d’adresse dans les remerciements traduisant une forte intégration dans les milieux financiers et de se placer à la page 67 parmi les rares économistes ayant eut la clairvoyance de prévoir la crise. Troisièmement, et plus en détail, dans le cas des subprimes il évacue très vite le CRA13 et la volonté d’alors de l’état d’offrir un accès massif à la propriété pour prêter aux banques l’entière responsabilité de la non prise en compte des risques de défaut sur les prêts hypothécaires. L’auteur omet également de mentionner les aspects relatifs à la crise de la dette dans le cas d’une politique monétaire expansionniste. Avait il, de ce fait, prévu la crise de la dette qui frappa les états européens dès 2010 ou les phénomènes de shutdown aux USA ? De même, l’auteur, prône une inflation mais ne s’attaque pas aux mécanismes de monétisation de la dette mis en place en Europe qui veulent justement lutter contre l’inflation14. Enfin, la proposition d’une monnaie mondiale de réserve semble complexe à appliquer du fait d’un déficit de gouvernance et l’idée d’une répartition des richesses optimisée est encore loin d’être une proposition concrète et potentiellement applicable.

Depuis la parution de l’ouvrage le contexte a changé. De nombreux conseils émis par l’auteur furent suivis ; l’incitation de l’état dans des marchés porteurs à long terme fut entendue par le gouvernement Obama via les conséquences économiques de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnelles. Également un projet de taxation sur le modèle de la « taxe Tobin » est en cours d’application à l’échelle européenne. Enfin, la politique monétaire expansive prônée par J. Stiglitz pour éponger la dette par l’inflation fut appliquée lorsque B. Bernanke mis en place une politique de détente quantitative au sein de la Réserve Fédérale. Globalement, l’oeuvre, en paraissant en plein contexte de crise, fut bien accueilli et permit au plus grand nombre d’appréhender les enjeux complexes de la régulation de la finance.

1 Il s’agit d’une formule d’usage ; en réalité il s’agit du Prix de la banque de Suède en mémoire d’A. Nobel, le prix Nobel d’économie n’existe pas.

2 Responsables, ils mirent en place des systèmes comme la titrisation des prêts à risque qui propagea les effets de la crise américaine ou encore les CDS (crédit default swap) qui obligèrent l’état américain à renflouer l’assureur AIG.

3 Il s’agit d’obligations adossées à des actifs.

4 Conférence de presse sur la table ronde de l’assemblée générale sur la crise financière le 30 octobre 2008.

5 Voir préface pages 29-30.

6 La dernière ligne de l’ouvrage s’adresse directement aux générations futures « le danger réel, aujourd’hui, est de ne pas les saisir ».

7 En témoigne les références à l’Argentine de « l’École de Chicago » et des adeptes de Milton Friedman page 26.

8 Par le biais du « plan Paulson » ou Trouble Asset Relief Program.

9 J. Stiglitz requiert également une utilisation du chapitre 11 du Code des Faillites pour les banques, prônant de ce fait une tutelle de l’état sur les banques mises en faillite et une session des actifs restants de la banque aux créanciers en guise de compensation.

10 Sur ce point il juge la proposition de lutte contre les saisies par la baisse des mensualités, faite par B. Obama, insuffisante.

11 Ce à quoi il répond en demandant la création d’une monnaie de réserve mondiale.

12 Il est intéressant de voir que J. Stiglitz déclarait en 2002 qu’une faillite de Fannie Mae ou Freddie Mac était négligeable…

13 Community Reinvestment Act de 1977 visant un offrir un accès égale au crédit et donc à la propriété.

14 Par le biais de la loi Pompidou de 1973 en France et de l’art 123 du Traité de Lisbonne de 2008 à l’échelle européenne qui obligent les états à se financer non plus à taux faible auprès des banques centrales mais auprès des marchés financiers pour éviter le phénomène de mise en marche de «la planche à billets».

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