Pourquoi l’Espagne gagne-t-elle tout ? Le sport comme arme géopolitique
A la manière de la devise comtienne « Ordem e progresso » sur le drapeau brésilien, la devise olympique « Citius, Altius, Fortius » pourrait figurer sur le drapeau espagnol tant la domination sportive des émules de Juan Carlos est pesante depuis bientôt 6 ans. La finale de l’Euro de football l’a une nouvelle fois démontré hier soir : l’Espagne brille sur le football et les athlètes castillans écrasent leur adversaire par la fluidité de leur jeu, leur vivacité, la précision de leurs transmissions de balles. Tous les sports médiatiques ont été conquis par la même hispanomania : le tennis derrière un Nadal fragile (comme en atteste sa récente défaite à Wimbledon au deuxième tour) mais un Nadal titanesque lorsqu’il est au meilleur de sa forme ; l’équipe de basket, de handball, la F1 d’Alonso, le cyclisme de quelques champions d’abord redoutés puis douteux comme Contador, …
De ce majestueux tableau doré de médaille sourd une interrogation inquiétante : d’où vient cette réussite ? Les plus cyniques argueront que certains bols de jus d’orange contiennent plus de vitamines que d’autres. D’aucuns verront dans ce triomphe du sport la réussite d’une politique volontariste. Ils auront raison car depuis 1978, le sport incarne l’ingrédient principal de la cuisine gouvernementale pour unifier le pays détricoté par 40 ans de dictature franquiste, montant les particularismes locaux pour éviter l’unité des républicains. Depuis, les gouvernements utilisent le sport comme axe de communication. La liste des sports dans lesquels l’Espagne brille est révélatrice : les sports les plus médiatiques, les plus fédérateurs.
Les investissements se multiplient et l’Espagne s’impose organisatrice de grandes compétitions sportives : la coupe du monde de football en 1982 à Séville, les JO à Barcelone en 1992. Cet événement olympique a profondément changé l’Histoire du pays espagnol. Les investissements de plusieurs milliards d’euros en centres de formation et infrastructures ont une redoutable efficacité. Plusieurs spécialistes vantent les vertus de ce système déconcentré, avec une INEF dans chaque région contre une seule INSEP en France (jacobinisme quand tu nous tiens). Mais là n’est pas le plus important : le peuple espagnol communie et met de côté ses divisions intrinsèques entre régionalistes catalans, basques, galiciens, andalous, …
L’Espagne utilise le sport également comme tremplin international. Ses difficultés économiques, son modèle en berne, sa fragilité politique ont atteint le peu de prestige mondial qu’il lui restait. Le sport entretient son soft power, sa capacité d’influencer d’autres acteurs sans force ni menace. Le prestige que ses victoires sportives lui procurent affirme sa puissance historique en Amérique Latine. Les sommets ibéro-américains lui offrent une place de choix pour présider à la destinée d’un continent émergent. La langue espagnole se renforce et pose des problèmes de stabilité intérieure aux USA où la minorité hispanique atteint sa majorité et bombe le torse au fil des résultats victorieux de son lointain aïeul. Le sport devient une arme géopolitique et l’Espagne, au faîte de sa gloire sportive, use de ce stratagème pour résoudre ses problèmes intérieurs et extérieurs.