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Turquie : printemps ou mai 68 ?

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Recep Erdogan a réussi un tour de force : déclencher un mouvement conséquent de protestation violente dans un pays qui connaît 8.5% de croissance. Les manifestants sont jeunes, déterminés et leurs revendications portent sur des sujets politiques et sociaux. La protestation ayant lieu sur une place, la place Taksim au centre d’Istanbul, la comparaison est aisée entre ce qui se passe actuellement en Turquie et les événements du printemps arabe. Mais assiste-t-on réellement aux mêmes événements ?

Les manifestants se sont d’abord opposés au projet d’urbanisation de l’espace vert Gezi, rare jardin de la métropole. Le projet consiste simplement à raser les arbres et à construire la réplique d’anciennes casernes militaires de l’empire ottoman  abritant un centre culturel, un musée et un centre commercial. Le hic c’est que personne n’a été consulté. Or en prévision des élections présidentielles de 2014, Recep Erdogan multiplie les projets d’envergure afin d’asseoir son image d’homme d’Etat alors que les sondages lui sont déjà très favorables. Il a donc aussi prévu « la plus grande mosquée du monde » sur la colline Camlica, dominant la ville, mais aussi un troisième pont enjambant le Bosphore, dont il a inauguré le chantier le 29 mai dernier, et enfin un « projet fou » : celui de creuser un canal appelé « Kanal Istanbul » parallèle au Bosphore de 150 mètres de larges pour 50 km de long d’ici 2023 afin de célébrer les 100 ans de la République.  Cette voie reliant le relierait la mer de Marmara à la mer Noire et devrait permettre de désengorger le trafic maritime sur le détroit.

Ces projets lancés tous azimuts sont lourd de conséquences pour l’environnement car le canal a de bonnes chances d’entraîner la pollution de l’eau douce des lacs nord-ouest d’Istanbul qui alimentent la ville. L’absence de consultation, les liens étroits entre le parti conservateur au pouvoir, l’AKP, et les promoteurs immobiliers responsables des travaux, l’interdiction de certains titres de presses et l’emprisonnement de journalistes (la Turquie en détient le record du nombre), tout cela mène une portion croissante des stambouliotes à dénoncer des dérives autoritaires. Car les manifestations contre le projet de Gezi ont rapidement cristallisé l’opposition au régime, qu’elle soit sociale, politique ou encore sur les questions de religion. C’est par sa diversité que le mouvement est caractérisé : opposants aux projets, opposants politiques, athées, arméniens, homosexuels, anarchistes…tout cela dans un contexte de prospérité économique éclatante.

A la différence d’une révolution, les protestations actuelles révèlent plus l’énervement de la moitié du pays qui n’a pas voté pour l’AKP et qui est fatigué de sa mainmise culturelle et politique persistante depuis 10 ans.

Ces derniers temps, Erdogan a peut-être eu trop confiance dans sa popularité et a continué d’accentuer la partie religieuse de son programme en restreignant notamment la consommation et la vente d’alcool. Il a peut être mis le feu aux poudres en annonçant sa ferme intention d’augmenter les pouvoirs du président s’il est élu en 2014, faisant craindre des dérives autoritaires.

Sa confiance aveugle l’a peut être amené à perdre le lien avec son aile libérale et dans ce cas les manifestations sont un signal qu’il serait bien peu judicieux d’ignorer.

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