Quels pays considérer comme « émergents » ?
Terme apparu dans les années 1980, mais véritablement usité au tournant du 21ème siècle, la notion d’émergence est aujourd’hui employée, détournée à l’envi par les médias et reste la plupart du temps mal ou vaguement définie. Parce qu’il est possible de considérer l’émergence sous beaucoup d’angles différents, et parce que le concept même d’émergence est sujet à certaines critiques, le cercle des pays émergents est en constante mutation. Quels pays peut-on alors classer dans les émergents ?
Il serait trop simpliste de restreindre la communauté des émergents à une seule et unique catégorie, tant cette dénomination « émergente » peut prêter à confusions et amalgames. Et il serait certes naïf de prétendre dresser une liste exhaustive des émergents, mais l’on peut toutefois leur trouver plusieurs caractéristiques semblables qui permettent de mieux les cerner :
– Premièrement, les pays émergents bouleversent l’échiquier politique mondial. Si leur influence dans les relations internationales s’est vue jugée négligeable par les occidentaux jusque dans les années 1990, force est de constater qu’on ne peut désormais faire fi de ces pays. La présence de la Chine en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, et les pressions exercées par le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, voire du Mexique, de l’Egypte ou du Nigéria pour obtenir ce poste permanent montrent une prise d’importance de tous ces pays sur le plan international. Surtout, l’obsolescence devenue évidente du G8, et son remplacement par un G20 depuis 2008, attestent d’un « grand basculement » (le terme est emprunté à Sylvia Delannoy).
– En second lieu, certains pays, même s’ils n’aspirent pas à participer au basculement du monde d’un point de vue idéologique, ont tout de même une influence au regard de leur développement économique sur ces trente dernières années. Les CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie, Afrique du Sud), l’Argentine ou le Chili sont de ceux-là. Ils n’ont pas ou peu vocation à exercer un leadership international ou même régional, mais leur développement économique est à la fois rapide et solide (leur taux de croissance dépassant souvent les 5% par an).
– Enfin, d’autres pays font parfois l’objet de classifications parmi les émergents, en fonction des critères pris en compte. De par leur force nucléaire dissuasive et leur positionnement géopolitique, l’Iran et le Pakistan peuvent être considérés comme émergents, de même que les PECO (Pays de l’Europe Centrale et Orientale), la Côte d’Ivoire ou le Pérou pour leurs résultats économiques, mêmes si ces derniers sont encore trop fragiles pour bouleverser l’économie mondiale.
Quid de la Russie ?
La Russie est en position ambigüe. La persistance de fractures sociales colossales au sein de la population (les 100 personnes les plus riches détiennent 33% des richesses du pays !) ainsi que la volonté délibérée de conserver une large part à l’économie de rente empêchent une classification de la Fédération russe parmi les pays développés. Cette appartenance au cercle des émergents (au sein des BRICS) a d’ailleurs été revendiquée par les russes jusqu’à la fin des années 2000 pour sortir d’un carcan post-URSS très néfaste pour son image auprès des Occidentaux. Néanmoins, à travers les évènements de l’actualité récente (la guerre en Syrie, l’affaire Snowden, les Jeux Olympiques de Sotchi), c’est toute une idée de la Russie qui est mise à mal : Vladimir Poutine désire-t-il prendre cette fois de la distance avec le club des émergents pour rejoindre une position géopolitique beaucoup plus affirmée, rappelant peu ou prou l’ère soviétique ?
En définitive, le nombre de pays émergents aujourd’hui est bien difficilement mesurable. L’émergence ne peut se résumer à la somme de conditions par lesquelles un état parvient à se hisser ou non sur les rails du développement. Elle est plus simplement l’expression de la volonté de participer, d’une manière ou d’une autre, à l’élaboration d’un nouvel ordre mondial.