La Pervitin, catalyseur du Blitzkrieg ? (2/2)
La Pervitin, on l’a vu, a été développée en Allemagne dans l’entre deux guerres. Elle est le point névralgique de la Guerre Eclair ou Blitzkrieg, et explique le comportement particulier des soldats allemands lors de ce combat. De plus, si le Blitzkrieg est un archétype de son usage par le Troisième Reich, son utilisation a largement dépassé ce combat.
Du délire chaotique…
Les prémices de l’offensive du Blitzkrieg échouent lamentablement. Le passage trop restreint des Ardennes se trouve obstrué par l’armée, ralentissant considérablement sa progression. Les tanks sont bloqués par les chariots de l’infanterie à l’origine “du plus gros embouteillage de l’histoire européenne” (1). 41 140 véhicules dont 1 222 chars, entassés sur deux cent cinquante kilomètres. Les doutes de l’infanterie quant à l’efficacité des tanks participent amplement à cette obstruction. A l’avantage du Reich, les Français n’ont toutefois pas saisi la manœuvre en cours, ce qui laisse le temps pour fluidifier la circulation. Lors de guerres ultérieures, la réussite inattendue de l’opération aura pour conséquence notable que les chars de combats seront au cœur des techniques belligérantes.
Les soldats ne dorment pas de plusieurs jours : dopamine et noradrénaline leur permettent de poursuivre sans fatigue. Un enthousiasme surprenant les domine et les élance dans une course effrénée. Un combattant décrit cet état de la manière suivante : “nous nous trouvions dans une sorte d’extase, un état d’exception. (…) Epuisés et survoltés.” En outre, ils n’ont pas non plus besoin de manger les premiers jours. En substance, la Pervitin intensifie l’apothéose qu’est la guerre pour le combattant. Il « est façonné par la guerre et exhaussé par elle à une existence incandescente qui le consume et qui fait de lui un démiurge ébloui » (2). Sous Pervitin, « la guerre séduit » plus facilement « qu’elle n’épouvante » car elle exalte le sentiment d’un « paroxysme de l’existence » (2).
… à l’écrasante victoire
Le premier affrontement a lieu à Martelange, à la frontière. Les défenseurs belges bénéficient d’une grande pente dégagée. L’offensive frontale, seule option possible, semble trop périlleuse pour être entreprise. Les Allemands la tentent pourtant sans sourciller, avec une ferveur inattendue. La surprise fait fuir la défense belge et les Allemands ne tardent pas à atteindre et prendre Sedan. « Bombe après bombe, la méthamphétamine enflamme les cerveaux, largue des neurotransmetteurs qui crépitent entre les synapses, crèvent le ciel cérébral et déversent leur cargaison explosive : les voies neuronales tressaillent, les espaces synaptiques commencent à scintiller, tout n’est que bourdonnement et vrombissement. » (1) La défaite française à Sedan est surtout psychologique. La Pervitin réduisait à néant le doute des Allemands. A l’inverse, la confiance française s’est étiolée face à l’ardeur frénétique adverse. Ainsi c’est « sa démesure » qui à la fin, rend la combativité allemande « indiscutable » (2).
Les ordres sont peu élaborés ; l’utilisation de la Pervitin semble être la méthode principale. Peter Steinkamp, historien de la médecine affirmera d’ailleurs que « le Blitzkrieg a été mené grâce à la méthamphétamine, pour ne pas dire qu’il était fondé sur l’usage de la méthamphétamine ». Ainsi, les soldats « sortent du temps et de la règle » (2).
L’appareil nazi aux prises de la Pervitin
Cette guerre éclair s’avère réussie même si, dans la dernière phase, Hitler, qui souhaitait affirmer sa domination sur les généraux, eux-mêmes pris dans l’extase de la vitesse, freine de manière peu judicieuse l’impulsion de ses troupes.
Si la pertinence de la relation d’Hitler aux généraux interroge, c’est encore plus le cas de celle qu’il entretient avec les psychotropes. Il proclame le « devoir de santé » dès son arrivée au pouvoir en 1933. Afin d’incarner cet idéal, il se présente comme végétarien, non-fumeur et ne buvant pas. Pourtant, les carnets du Docteur Morell, dont Hitler est le « Patient A », font saillir la pratique récurrente d’injections dopantes sur le Führer même.
En somme, jusqu’alors les effets secondaires négatifs de la Pervitin sont totalement éludés. Or, elle suscite notamment des dépressions, des pertes de réflexes primaires, des épisodes psychotiques, des maladies de peau et de l’agressivité. On estime qu’elle serait, de plus, à l’origine de beaucoup de morts par arrêts cardiaques dans l’armée à cette période.
En définitive, si l’usage de substances dopantes ne justifie nullement les actes et valeurs du nazisme, il participe de l’explication de leurs manifestations. De fait, comme l’affirmait Joseph de Maistre, « il ne s’agit pas d’explique la possibilité mais la facilité de la guerre. »
Sources
(1) L’extase totale (septembre 2016) – Norman Olher – Edition La découverte (septembre 2016)
(2) Bellone ou la pente de la guerre (1963) – Roger Caillois – Edition Flammarion (2012)