Brexit : « La négociation du côté britannique a été bien menée »
Marc Roche est l’auteur de Le Brexit va réussir (Albin Michel, 2018). Chroniqueur à la BBC et à l’hebdomadaire Le Point c’est un «Remainer» repenti bien qu’il reste un Européen convaincu. Alors que l’accord du Brexit vient d’être entériné à Bruxelles et doit être voté à Londres, son analyse apporte une vue d’ensemble sur le processus de sortie de l’Union.
Le fil rouge qui guide votre livre est un parallèle entre la Monarchie et le Royaume-Uni du Brexit, d’où vous vient cette idée?
Marc Roche : En tant qu’auteur de la première biographie en français de la Reine Elizabeth II (Elisabeth II, la dernière reine, Broché, 2007), j’étais persuadé pendant la campagne référendaire qu’elle était une brexiteer, légère mais brexiteer quand même. Sa génération, elle a 90 ans, appartient à ces classes âgées qui ont voté massivement pour le Brexit, le souvenir de l’empire, la souveraineté, l’Angleterre blanche protestante et impériale. Tout cela donne un contour assez pro-Brexit. Les trois socles de son règne sont en faveur du Brexit: l’armée, dont l’avenir est dans l’OTAN et non dans la défense européenne ; l’aristocratie des champs, à laquelle elle appartient, a voté massivement pour sortir de l’UE pour des raisons souverainistes ; et l’Eglise anglicane, dont l’avenir est du côté des pays africains anglophones et pas en Europe. Tous ces éléments indiquent un profil pro-Brexit mais, bien sûr, rien ne peut le confirmer puisqu’elle n’a jamais dit un mot sur ses convictions.
Vous évoquez l’impréparation de l’équipe britannique à l’ouverture des négociations, à quoi était-elle due?
C’est la faute de David Cameron, il a interdit à la haute fonction publique de préparer un scénario de la victoire du Leave parce qu’il paniquait. Autre raison, le ministère des Affaires étrangères, le plus habilité à mener une négociation, a été écarté du processus de décision. Theresa May y avait placé Boris Johnson dont elle se méfiait et qu’elle voulait neutraliser. Ensuite, la Première ministre est très méfiante, elle aime être entourée d’un petit cercle de conseillers, sûrs et dévoués. Donc, la haute fonction publique a été écartée au profit de politiques. Les choses ont changé après la défaite aux élections quand elle a perdu la majorité, elle est revenue à un mode de gouvernement plus classique, le haut fonctionnaire Olly Robbins a mené la négociation et les politiques ont pris les décisions finales.
Ceci dit, je crois que la négociation du côté britannique a été très bien menée, vu les circonstances. A savoir, l’UE était unie, le Royaume-Uni divisé, gouvernement comme opinion publique. Tous les atouts étaient entre les mains de Bruxelles. Pourtant, cet accord est inespéré pour Theresa May, c’est la dernière chance avant le Brexit brutal. Si le Parlement le refuse, le Royaume-Uni va redevenir l’homme malade de l’Europe comme on disait de l’Empire ottoman au XIXe siècle ou comme il l’a été dans les années 70.
Justement quel rapport de force ressort de cet accord?
L’accord est totalement favorable à l’UE mais dans les circonstances que j’ai évoqué, le Royaume-Uni tire son épingle du jeu parce qu’il n’y a pas de frontière dure entre les deux Irlande et que la participation à l’union douanière est temporaire. Chacun y gagne : pour les Brexiters, le Royaume-Uni est en dehors de l’Union européenne et pour les Remainers il reste un lien très fort avec l’UE via l’Union douanière. Le problème est l’arithmétique parlementaire puisque toute l’opposition, Labour, Indépendantistes écossais et gallois, Libéraux Démocrates, Verts sont contre cet accord. S’ajoutent les Unionistes protestants, dont dépend la majorité au Parlement, qui ont dit qu’ils voteraient contre, en raison justement du statut particulier donné à l’Ulster vis-à-vis du reste du Royaume. Il lui reste le parti Conservateur, aussi divisé, dont une cinquantaine de députés ultra euro-sceptiques vont voter contre. Pour l’instant, Theresa May n’a pas les 320 voix nécessaires. Mais, elle pourrait bénéficier de quelques rebelles du Labour. Elle va essayer deux choses pour remporter le vote: d’abord « c’est moi ou le chaos », puisque l’UE ne veut pas renégocier ; et deuxièmement, faire appel aux milieux d’affaires qui annonce un chaos économique en cas de sortie brutale. Ces derniers sont les principaux bailleurs de fond de la droite et peuvent exercer un chantage au financement. Donc, je pense qu’en fin de compte, l’instinct de survie des Conservateurs, plus quelques rebelles travaillistes, vont faire basculer le vote en sa faveur, mais ce sera très serré.
D’ailleurs, on se trompe beaucoup sur la position de Theresa May. Elle n’a pas son pareil pour faire jouer les uns contre les autres au gouvernement, elle n’a pas son pareil pour, au plus bas de la popularité, rebondir. Il y a énormément de sympathie pour elle, tous les sondages montrent qu’une énorme majorité des Britanniques considère que c’est la seule qui peut mener à bien la sortie du Royaume-uni.
Quelles sont les chances pour les 27 de rester unis comme ils l’ont été jusqu’à présent?
L’espoir de Londres c’est que l’unité des 27 va se fissurer. Les ports belges, néerlandais et français veulent absolument protéger le trafic trans-manche, les fabricants d’automobiles allemands veulent garantir leur premier marché qu’est l’Angleterre. Les alliés traditionnels des Britanniques , qui lui ont fait défaut dans la première négociation, Danois, Suédois, Néerlandais, Autrichiens, mais aussi les Grecs sans parler des Européens de l’est, tous ceux là vont commencer à regarder leurs intérêts propres et non plus à réfléchir à l’échelle communautaire. Et donc les Britanniques à mon avis, vont signer un accord beaucoup plus équilibré avec l’UE.
Quelle stratégie les Britanniques vont-ils ensuite adopter?
Ils vont jouer la carte de la concurrence fiscale. Le dumping est déjà à l’ordre du jour puisque l’impôt sur les sociétés est de 17%, ils veulent le diminuer à 15 et l’amener à 12,5 comme en République d’Irlande. Ils vont jouer là-dessus avec deux avantages sur l’Irlande, le prestige de la City et un nombre d’habitants supérieur. Ensuite, la City peut jouer le scénario « Singapour-sur-Tamise », c’est à dire constituer un relais des paradis fiscaux aux portes de l’UE. Officiellement, les Britanniques ne le soutiennent pas, cela ne va pas dans le sens du vote du Brexit. Mais comme toujours, ils vont présenter deux visages à savoir: d’un côté on respecte la réglementation internationale, de l’autre, on continue d’être la blanchisseuse du monde d’argent sale via notamment les pays émergents et Hong Kong.