L’ « amitié russo-turque » existe-t-elle vraiment ?
Jeudi 28 septembre, le président russe, Vladimir Poutine, s’est rendu en Turquie pour un dîner avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, dans le but de concrétiser sa volonté de mener à bien les accords conclus à Astana avec l’Iran sur la création de zones de désescalade en Syrie. La plus importante serait la zone d’Idlib, actuellement sous le contrôle d’Al-Qaïda. En outre, cette région, située au nord-ouest de la Syrie et abritant plus de deux millions de personnes, est également la cible de bombardements russes. D’après le gouvernement turc, si les bombardements russes ne cessent pas rapidement, Idlib serait en passe de devenir une nouvelle Alep et donc d’être à l’origine de nombreux flux de réfugiés. Cela mettrait la Turquie dans une situation complexe puisque Idlib jouxte la province turque du Hatay, là ou se situe la capitale de la Turquie, Ankara, qui héberge déjà plus de 3 millions de réfugiés du conflit syrien.
Les relations entre la Turquie et la Russie oscillent entre entente cordiale et défiance depuis la fin de la Guerre froide. Cette impression est renforcée par le fait que ces deux pays sont dirigés par des hommes forts, n’hésitant pas à recourir à la force en cas de besoin. La Turquie et la Russie partagent beaucoup de particularités et de ressemblances que ce soit au niveau de leurs passés ou bien dans leur positionnement sur la scène régionale contemporaine. Tous deux sont les héritiers d’un vaste empire : celui des sultans ottomans pour la Turquie, celui des tsars pour la Russie. Ce qui peut expliquer leurs rapports ambivalents à l’égard des pays Occidentaux.
Malgré des positions diamétralement opposées, la crise qui sévit actuellement en Syrie a opéré un spectaculaire rapprochement. Celui-ci est, en outre, renforcé par la bonne entente personnelle entre les deux chefs d’État. C’est dans ce contexte que se sont tenues les négociations tripartites entre la Russie, l’Iran et la Turquie à propos de la création de quatre « zones de désescalade » en Syrie, les 14 et 15 septembre à Astana. Dans le cadre de ces dialogues, le chef de la délégation russe, Alexandre Lavrentiev, avait expliqué que 1 500 « observateurs » seraient envoyés par les trois « États garants » à Idlib. A ce propos, Moscou avait ajouté vouloir déployer sa police militaire plutôt que des soldats. A la suite de ces négociations, Moscou et Ankara se sont déjà entendus sur la création d’une zone dite « tampon » qui devrait s’étendre sur 35 kilomètres de long dans la région d’Idlib. Erdogan a confirmé que ses forces armées allaient être déployées en plus de celles déjà présentes au Hatay. La Russie devrait, dans les jours qui arrivent, faire de même.
Toutefois, les deux pays sont en compétition et cela depuis la chute de l’empire soviétique en 1991. Les exemples sont nombreux. Tout d’abord, en Mer Noire, région pour laquelle les deux empires se sont disputés et se disputent encore les eaux. Ensuite, dans le Caucase, où tous deux ont cherché à s’allier à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan.Le chemin des oléoducs pour l’acheminement des hydrocarbures de la Caspienne a également donné lieu à une âpre compétition entre la Turquie, aux côtés des Occidentaux (projet du Bakou-Tbilissi-Ceyhan), et la Russie.
Bien que la Turquie soit membre de l’OTAN, le pays mène conjointement avec la Russie des opérations militaires contre Daech au nord de la Syrie. Leur rapprochement se manifeste également dans le domaine économique. Le cas du tourisme en constitue un exemple : plus de quatre millions de Russes ont visité la Turquie, aussi bien en 2014 qu’en 2015. Dans le secteur de l’agroalimentaire, depuis quelques mois, la Russie a levé l’embargo sur un certain nombre de fruits et légumes turcs. Il n’en reste pas moins que les deux pays continuent à entretenir des divergences sur la situation internationale comme au sujet de la partition de Chypre et du Nagorno-Karabakh. Bien que les intérêts soient différents en Syrie, les deux présidents font preuve d’un pragmatisme stupéfiant et agissent ensemble.