Quelle opposition politique en Russie ?
La victoire de Vladimir Poutine à l’élection présidentielle du 18 mars semble être inéluctable. Pourtant, l’élection de 2018 se déroule dans un contexte politique complexe marqué par une grave crise économique et la détérioration des conditions de vie en Russie, ainsi que par une certaine isolation politique du pays sur la scène internationale. Par conséquent, une partie de la société civile russe a tendance à remettre en cause l’efficacité de la gouvernance de Vladimir Poutine. Elle cherche ainsi des alternatives auprès de l’opposition politique, davantage mise en lumière à la veille de l’élection.
Une partie gagnée d’avance pour Vladimir Poutine ?
Aujourd’hui, l’opposition politique dispose, relativement, de peu de soutien auprès de la population russe. L’une des raisons principales provient de l’idée largement répandue qui prône la stabilité de l’État et redoute les révolutions de couleurs. Le souvenir des années 1990, marquées par la prolifération de la criminalité et de la pauvreté, ainsi que par une crise constitutionnelle grave, reste vif dans la mémoire collective. Cette expérience douloureuse a eu pour conséquence d’enraciner profondément le sentiment d’insécurité dans la société russe. L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine a permis, aux yeux de son électorat, de résoudre de nombreux problèmes économiques, ainsi que de « relever la Russie de sa position à genoux »[1]. La croissance économique exceptionnelle de 2007 a davantage affirmé le succès de sa présidence.
Le réveil de la société civile russe
Pourtant, à partir de 2008, le climat politique et les dynamiques sociales changent de façon significative. Le réveil de la société civile russe a eu lieu en 2011 suite aux élections législatives. L’indignation sociale, provoquée par de nombreux cas de fraude électorale et de bourrage des urnes enregistrés par les observateurs indépendants, a provoqué des manifestations de masse à Moscou et dans d’autres villes de Russie. Les figures éminentes de l’opposition politique russe y ont également participé, notamment Boris Nemtsov (« Le parti de la liberté du peuple »)[2], Alexeï Navalny (« Le parti du progrès ») et Sergey Oudaltsov (« Le front gauche »). La veille de l’inauguration de Vladimir Poutine pour son troisième mandat présidentiel, le 6 mai 2012, a eu lieu l’une des manifestions les plus remarquables connue sous le nom de « marche des millions ». Elle a ressemblé entre 15 000 (d’après le Ministère de l’intérieur) et 100 000 personnes (selon les organisateurs). Les autorités russes n’ont pas tardé à prendre des mesures répressives afin de contenir les forces d’opposition politique, ce qui a provoqué un certain déclin de leur activité pour une courte période. Le mouvement d’opposition est en effet revenu sur le devant de la scène politique en 2014 suite au conflit russo-ukranien et ses conséquences politiques et économiques.
Où en est l’opposition russe à la veille de l’élection présidentielle ?
Bien qu’il y ait sept candidats sur le bulletin électoral (hormis le président sortant), tous ne s’opposent pas à Vladimir Poutine.
Aujourd’hui, d’après Alexandre Kolesnikov [3] « la figure “de vitrine“ clef de l’opposition » est Alexeï Navalny. Fondateur du FBK (Fond de la lutte contre la corruption), son équipe et lui ont mené plusieurs investigations en matière de corruption visant des hommes politiques importants. Son documentaire sur Dmitry Medmedev (actuel Premier ministre) [4] a eu une résonance significative dans la société russe et a provoqué des manifestations dans une dizaine de villes le 26 mars 2017. Pourtant, l’électorat d’Alexeï Navalny reste peu nombreux et est composé principalement par des jeunes, tandis que la classe moyenne a tendance à se méfier de lui. Finalement, Alexeï Navalny a été écarté de l’élection présidentielle par la décision du Comité national électoral au prétexte d’une condamnation antérieure (affaire Kirovles), bien qu’elle aille à l’encontre de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Sa stature de principal candidat d’opposition, de même qu’une partie de son programme électoral ont été reprises par une candidate inattendue, avec laquelle Alexeï Navalny avait refusé de faire une coalition. Fille de l’ancien maire de Saint-Petersbourg, également ancien mentor politique de Vladimir Poutine, Ksenia Sobtchak est une personne « très connue, mais pas très populaire » [5]. Ksenia Sobtchak, avant de devenir journaliste, avait gagné une réputation de « Paris Hilton russe » et aujourd’hui elle est encore souvent associée à cette image. Hormis cela, son programme en faveur des minorités sexuelles et condamnant l’annexion de la Crimée et la politique de l’église orthodoxe trouve peu de soutien chez l’opinion publique russe. Consciente de l’improbabilité de sa victoire, Ksenya Sobtchak propose sa candidature comme une alternative à la case de vote blanc (dénommé « contre tous » en Russie) qui a été supprimée en 2006, contrairement à Alexeï Navalny qui appelle ses partisans à boycotter l’élection.
Bien que l’opposition politique russe à la veille de l’élection présidentielle soit toujours désorganisée et même divisée, le vote du 18 mars reste extrêmement important. La question qui se pose est non pas de savoir qui va remporter la victoire, mais de savoir combien de citoyens russes ont une vision alternative quant à l’avenir de leur pays.
[1] Alors qu’employée initialement par Boris Eltsine lors de son discours inaugural en 1991, cette expression est associée principalement à la politique de Vladimir Poutine.
[2] Figure majeure de l’opposition politique en Russie, Boris Nemtsov a été assassiné en février 2015.
[3] Chef du programme de la politique intérieure du Centre Carnégie de Moscou.
[4] « On vam ne Dimon » (Il n’est pas Dimon pour vous), le 2 mars 2017, https://www.youtube.com/watch?v=qrwlk7_GF9g
[5] « Vosem’ candidatov v presidenty Rossii. Kto eti ludi – korotko » (Huit candidats à l’élection présidentielle en Russie. Qui sont-ils – brièvement), BBC Service russe, le 6 février 2018