L’Irak opte pour le renouveau
Samedi 12 mai, 24,5 millions d’Irakiens étaient appelés à voter pour renouveler les 329 sièges du Parlement, qui sera chargé de désigner le futur premier ministre. A l’issue d’un scrutin à faible participation, les partis antisystèmes sont arrivés en tête. Alors qu’aucune coalition n’a pu remporter la majorité, dû à la multiplicité des listes, les négociations pour former un gouvernement de coalition s’annoncent complexes. La priorité du nouveau gouvernement sera la reconstruction du pays, après des années de guerres, de sanctions et d’occupation étrangère depuis la chute de Saddam Hussein en 2003.
Sécurité renforcée et faible participation
Ces premières élections depuis la victoire militaire sur les djihadistes de l’État islamique (EI) étaient placées sous haute sécurité : les frontières irakiennes ont été fermées et les lignes aériennes suspendues durant 24 heures afin d’éviter toute ingérence extérieure. Un couvre-feu a également été décrété dans la capitale, ainsi que dans les grandes villes du pays, en réaction aux menaces de l’EI de perpétrer des attaques lors du scrutin. Le vote s’est cependant déroulé sans incident majeur, preuve de l’affaiblissement de l’EI. Les élections restent marquées par une faible participation, que beaucoup justifie par le manque de confiance dans les élites politiques du pays, et donc par le boycott du scrutin. Seulement 44,52% des votants se sont prononcés, soit la participation la plus basse depuis la chute de Saddam Hussein. La région autonome du Kurdistan se démarque cependant avec un taux environnant les 50%[1].
Volonté d’endiguer la corruption et le confessionnalisme
Le Premier ministre sortant, Haïder Al-Abadi, qui brigue un second mandat à la tête d’une coalition multiconfessionnelle, était donné favori. Sa liste était la seule à se présenter dans les 18 provinces du pays, avec des candidats sunnites, chiites, kurdes, chrétiens et yazidis. Il a inscrit à son bilan la victoire militaire contre l’EI et le maintien de l’unité territoriale du pays après le référendum d’autodétermination kurde. Pour ces raisons, et d’autres propres à chaque puissance, il serait selon Adel Bakawan, soutenu par l’Europe, les États-Unis, la Turquie, ainsi que l’Iran et l’Arabie saoudite[2]. Haider al-Abadi, qui joue sur l’apaisement des tensions, serait en effet le candidat le plus à même d’apporter la stabilité dans le pays.
Contre toute attente, la liste du Premier ministre sortant n’arrive qu’en troisième position. En effet, malgré ses victoires saluées par la communauté internationale, il n’en reste pas moins que l’intérêt public a été largement négligé sous son mandat, caractérisé par les difficultés économiques. Il est également critiqué pour la persistance de la corruption au sein de l’appareil d’État. Ces arguments sont repris par une partie importante de la population, aussi bien chiite que sunnite, et parmi les minorités. Le sectarisme est aussi de plus en plus dénoncé, ce qui explique que la quasi-totalité des partis appellent à l’unité de l’Irak et à la lutte contre la corruption.
Les partis antisystèmes en tête mais divisés
En cela, le scrutin du 12 mai représente un tournant : des alliances hétéroclites ont été constituées, dépassant les clivages traditionnels des divergences confessionnelles et régionales. Notons cependant que si les partis chiites ne se présentent pas sur une liste commune c’est qu’il s’agit surtout d’une lutte pour le pouvoir entre les élites de la communauté. La minorité sunnite d’Irak, qui représente environ 40% de la population, est elle aussi divisée entre plusieurs listes, dont aucune ne figure sur le podium.
L’alliance du leader nationaliste Moqtada Al-Sadr, chiite, et des communistes, arrive en tête dans six provinces sur 18, avec un programme portant sur la lutte contre la corruption. Le chef de l’armée du Mahdi et sa milice avaient combattu l’invasion américaine avec virulence, ce qui en fait l’un des principaux ennemis de Washington, même s’il a par la suite combattu aux côtés des États-Unis contre l’EI. Moqtada al-Sadr prône un Irak laïc et souhaite que le pays soit régionalement neutre, et non-aligné sur la scène internationale. Il est l’un des rares dirigeants chiites irakiens à avoir pris ses distances avec Téhéran, et s’est également rapproché de Riyad[3].
C’est justement ce qui l’oppose au Hachd al-Chaabi[4] dirigé Hadi al-Ameri, arrivé en deuxième position. Al-Ameri entretient en effet une relation ancienne et solide avec l’Iran, où il a fondé la brigade Badr et avec qui il a combattu l’Irak de S. Hussein lors de la guerre de 1980-1988. Bien qu’affichant une rhétorique fortement anti-américaine par le passé, il est en lien avec des diplomates américains en poste à Bagdad. Un contentieux historique oppose également al-Sadr à l’ancien Premier ministre al–Maliki[5] relégué à l’arrière-plan lors du dépouillement.
Un futur incertain
Moqtada al-Sadr a ainsi exclu de s’allier à ces deux concurrents, et a proposé une coalition avec la liste d’al-Abadi et une liste arabe sunnite, dirigée par un chiite laïc, Ayad Alaoui. Quel que soit le résultat des négociations, ces élections prouvent le recul du confessionnalisme dans le pays et montrent le désir irakien de s’émanciper de l’influence étrangère. Dans un climat de tensions régionales exacerbées entre Téhéran et Riyad, l’Irak pourrait ainsi représenter une opportunité de coexistence entre ses deux voisins belliqueux[6].
[1] Les premières élections législatives marquées par l’abstention, AFP, 14.05.2018
[2] En Irak, les électeurs peuvent-ils gagner la guerre contre l’ingérence ?, France Culture, 14.05.2018
[3] Un populiste et un chef de guerre, outsiders des législatives en Irak, AFP, le 14.05.2018
[4] Force paramilitaire formée en 2014 pour combattre l’EI, cruciale lors de la victoire
[5] Beth K. Dougherty, Edmund A. Ghareeb, Historical Dictionary of Iraq, Second Edition, Scarecrow Press, 2013 812p, p526
[6] Elizabeth Dickinson, Iraq’s Pre-election Optimism Includes a New Partnership with Saudi Arabia, International Crisis Group, 09.05.2018