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Kurdistan irakien : une victoire à deux vitesses

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L’indépendantisme a triomphé au Kurdistan irakien le 25 septembre, avec une écrasante majorité de « oui » au référendum organisé par Massoud Barzani. Le scrutin, jugé illégal par les capitales voisines (Ankara, Damas et Téhéran) est considéré comme anticonstitutionnel selon Bagdad. Les quatre pays s’inquiètent des conséquences que ce vote pourrait avoir sur leur propre population kurde et réagissent en conséquence.

Les régions administratives de l’Irak

Blocus économique 

C’est une pluie de sanctions qui s’abat sur le territoire autonome. Le gouvernement irakien ne laissera pas le Kurdistan devenir indépendant et il le fait savoir. L’objectif de Bagdad est d’encercler et d’isoler le territoire. De ce fait, l’Irak entend exercer une pression économique sur la région en suspendant toutes les liaisons aériennes commerciales vers ou au départ des deux aéroports internationaux, dont l’un est situé à Erbil, capitale du Kurdistan. Les autorités irakiennes ont également demandé à leur voisin iranien de suspendre les vols en direction du Kurdistan. Dans la continuité, Téhéran a  interdit le transport de produits pétroliers depuis et vers le Kurdistan irakien.

Côté turc, les sanctions n’ont pas encore été appliquées, mais les menaces sont nombreuses. Dans son discours du samedi 30 septembre, Recep Tayyip Erdogan a ainsi promis de « faire payer le prix » au Kurdistan irakien. Le président turc menace de fermer ses frontières et les vannes qui  permettent au Kurdistan d’exporter son pétrole via le territoire turc. 

Des avertissements économiques et des engagements militaires puisque le Parlement turc a d’ores et déjà prolongé le mandat permettant à l’armée d’intervenir en Irak et en Syrie, qui devait expirer le 30 octobre.

Toutefois, la position turque est à nuancer. Si Erdogan s’inquiète de l’effet de contagion que pourrait avoir ce référendum sur sa population kurde, l’objectif de celui-ci n’est pas d’entrer en conflit avec le Kurdistan irakien. Il semble en effet compliqué d’imaginer la fin du partenariat avec le territoire autonome. La raison principale est économique. Les échanges entre Ankara et Erbil représentent effectivement 15 milliards d’euros par an. La seconde est stratégique : Barzani, chef de file du mouvement indépendantiste du Kurdistan irakien, est un allié d’Erdogan dans la lutte contre le PKK. 

S’il est avéré, c’est le blocus pétrolier qui pèsera certainement le plus sur l’économie du Kurdistan, puisque c’est de cette manne que provient la majorité des revenus du territoire. Le Kurdistan irakien exporte 550.00 barils par jour de pétrole, ce qui représente 0,6% du commerce mondial de cette ressource. Ces barils sont exportés via un oléoduc débouchant dans un port turc. La fermeture de cet oléoduc ne fera qu’empirer une situation déjà fragile.

Le Kurdistan irakien dans une impasse

Le territoire autonome traverse une crise majeure et les difficultés économiques pourraient empirer. Le Kurdistan a fait le pari du « tout pétrole », et n’a que très peu développé et investi dans d’autres domaines. C’est le cas par exemple des ressources agraires. Le Kurdistan est obligé d’importer  des denrées alimentaires depuis la Turquie.

La chute des prix du baril de pétrole n’a fait que renforcer le déficit économique du Kurdistan. La région montre de plus en plus de signes de faiblesse pour payer ses fonctionnaires, qui représentent 1,3 millions de personnes.

Ces mesures et l’hypothétique blocus imposé sur le territoire risque d’asphyxier la population et pourrait mener le territoire à une situation de conflit et de déstabilisation interne.

D’autant que l’entité politique kurde repose sur une base fragile, puisque le mandat du gouvernement de Barzani a expiré depuis deux ans. 

L’allié israélien ? 

Il y a pourtant un pays de la région qui soutient cette indépendance. Israël a apporté son soutien diplomatique au Kurdistan irakien, de même qu’un approvisionnement en armes et des conseils au combattants kurdes irakiens. Les relations entre les deux entités politiques remontent à la création d’Israël, lorsque l’État hébreu cherchait à sortir de son isolement et nouer des partenariats stratégiques, notamment avec la Turquie, le shah d’Iran ou encore les chrétiens maronites du Liban.

Israël voit dans la création d’un État indépendant kurde un moyen de faire front face à l’alliance Irak, Iran, Syrie et au développement de l’islam radical. La constitution d’un État démocratique et modéré au Kurdistan irakien servirait de zone tampon pour Israël, dans une région instable et réfractaire à l’Etat israélite.

Le gouvernement israélien pourra-t-il influencer son partenaire américain en faveur d’une reconnaissance du référendum et, in fine, de l’indépendance du territoire ? Rien n’est moins sûr, les États-Unis n’ayant pas reconnu le vote, s’appuyant sur un manque légitimité de celui-ci. Le gouvernement américain s’est dit attaché à un Irak « uni », et encourage ainsi les autorités kurdes à respecter le rôle constitutionnel du gouvernement central. 

Il est aujourd’hui impossible de savoir si ce référendum mènera à l’indépendance du Kurdistan, mais, dans le cas contraire, les négociations pourraient reprendre avec Bagdad afin de renégocier le statut autonome du territoire.

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