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Burkina Faso, au cœur de la tourmente djihadiste

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Le Burkina Faso est au cœur d’une situation plus précaire que jamais. Entre désintégration politique et délitement sécuritaire sans précédent, le pays subit actuellement de plein fouet la contagion djihadiste, fléau qui n’a eu de cesse de se répandre à partir du Mali depuis 2012. Cette lutte sans merci, opposant l’État central burkinabé à ces mouvements extrémistes semble pourtant s’inscrire dans le temps. Quels sont les facteurs en cause de ce martyr au long cours ?

Blaise Compaoré, après moi le déluge

Une photographie de Blaise Compaoré
Blaise Compaoré, ancien président burkinabé destitué le 30 octobre 2014

L’année 2014 représente un tournant dans l’histoire du Burkina Faso. Blaise Compaoré, alors président du pays proclame, après 27 années au pouvoir, un projet de réforme constitutionnelle qui lui allouerait 15 années supplémentaires à la tête de l’État. La colère du peuple ne tarde alors pas à se faire jour. Le « Beau Blaise » est renversé le 30 octobre 2014, après trois jours de manifestations virulentes. Derrière la victoire de la rue se cache pourtant le spectre de l’incertitude, si ce n’est celui d’une instabilité annoncée.

En parallèle de la magistrature suprême, Blaise Compaoré s’était soigneusement érigé en acteur incontournable dans les négociations ouest-africaines.  Ce fut notamment le cas lors de la crise malienne en 2012-2013, où Compaoré s’était positionné comme premier interlocuteur des communautés Touaregs maliennes, et par extension de certains groupes djihadistes (dont l’Ansar Dine et Iyad Ag-Ghali). Selon certains observateurs, cette situation nourrissait une ambition précise. En effet, Blaise Compaoré, de par la connivence à l’œuvre avec certains mouvements d’inspiration salafiste aurait eu pour seul et unique but une sanctuarisation du Burkina Faso au détriment de la sécurité du Sahel.

Roch Kaboré, l’actuel président du pays, partage cette analyse. Ce dernier a ainsi vivement critiqué son prédécesseur, arguant que « l’ex-président a joué un rôle de médiation au Mali qui fait que, de façon constante, nous avons eu ces collusions avec les forces djihadistes au Mali ». La proximité entre ces groupes djihadistes et Blaise Compaoré, ainsi que le vide laissé par la destitution de ce dernier auront indéniablement fait l’effet d’une porte grande ouverte pour la dissémination et l’installation de l’idéologie salafiste au Burkina Faso.

Le peuple, facteur clé de la pérennisation du djihad au Burkina

L’élément interpellant au sujet du djihad au Burkina Faso concerne sa longévité. Après quatre années et plusieurs opérations militaires à son encontre (G5 Sahel, Opération Sabre), ce dernier s’est maintenu et parfois même sédentarisé. Une notion est en cela centrale pour comprendre cette pérennisation : le peuple. Les citoyens burkinabés sont en effet au cœur de la stratégie djihadiste dans le pays. A l’aide d’un double discours insidieux, comme exposé par Rinaldo Depagne, les groupes salafistes ont ainsi fait des burkinabés et de leur instrumentalisation le socle de leurs ambitions.

Ruth Maclean, journaliste du Guardian livre un compte rendu éclairant de cet état de fait. Lors d’une enquête sur le terrain, cette dernière s’est employée à mettre en lumière le ressenti des habitants de l’est du pays face au djihad. En plus d’une posture coercitive, les groupes djihadistes ont fait de l’adhésion leur meilleure arme. Un habitant de Bartiébougou en témoigne : « Les djihadistes disent qu’ils aiment les gens qui travaillent, qu’ils se battent contre l’État. Tout le monde est d’accord avec eux ».

Dimension sociale et totalitarisme religieux, piliers du double-discours islamiste

Une carte du risque sécuritaire au Burkina Faso
Une carte du Burkina Faso mettant en lumière l’accroissement du risque sécuritaire dans le pays. France Diplomatie, mis à jour le 17 février 2019

La posture salafiste consiste à se positionner en pourvoyeur face aux manquements de l’État. Elle vise en même temps à attiser une haine farouche à son encontre. Ainsi, les djihadistes ont exproprié les étrangers des concessions aurifères et énergétiques locales, rendant l’exploitation aux burkinabés. De surcroît, Ruth Maclean souligne que « les groupes distribuent à la population du maïs, des médicaments […], un salaire mensuel de 600 dollars pour ceux qui travaillent avec eux (trois fois le salaire d’un enseignant) ainsi qu’une prime de 800 dollars pour ceux qui participent aux attaques ».

Cette dimension sociale n’est pourtant que le visage d’apparat d’un totalitarisme qui ne dit pas son nom.  En effet, de nombreuses mesures liberticides sont à l’œuvre au sein des zones contrôlées par les groupes salafistes. De par la charia, ces derniers ont notamment proclamés de nombreux interdits et obligations (tabac, alcool, port du voile intégral, écoute scrupuleuse des sermons) sous peine de punitions arbitraires. Ainsi, des témoins sur place ont rendu compte de nombreuses exécutions sommaires de prostituées mais également d’opposants ou « espions » présumés.

La longévité djihadiste au Burkina Faso se traduit par un discours qui prend racine dans les manquements de l’État central. Eu égard à cela, l’État ne semble pourtant opposer une résistance que le biais de la lutte armée. La situation incite donc à l’inquiétude quant à l’évolution du conflit, et à sa propagation. Seule une politique sociale forte destinée aux burkinabés, en totale rupture avec la stratégie pernicieuse de séduction des groupes djihadistes semble à-même d’augurer un avenir un peu plus radieux pour le pays.

Sources :

AFP – 20 MINUTES, « Burkina Faso : Blaise Compaoré chute après 27 ans de pouvoir ». 20 Minutes, 30 octobre 2014

COURRIER INTERNATIONAL, « Le Burkina Faso dans la tourmente du terrorisme ». Courrier International, 13 mai 2019

DOUCE Sophie, « Au Burkina Faso, la dégradation de la situation sécuritaire gagne du terrain ». Le Monde, 18 février 2019

LE PAYS, « La menace d’une guerre de religions ». Le Pays, 12 mai 2019, repris par Courrier International n°1489 du 16 au 22 mai 2019, p. 19

MACLEAN Ruth, « Burkina Faso. Vivre avec les djihadistes ». The Guardian, 22 avril 2019, repris par Courrier International n°1489 du 16 au 22 mai 2019, p. 16-18.

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Antoine Vandevoorde

Antoine Vandevoorde est analyste en stratégie internationale, titulaire d'un Master 2 Géoéconomie et Intelligence stratégique de l'IRIS et de la Grenoble Ecole de Management depuis 2017. Ses domaines de spécialisation concernent la géopolitique du cyberespace, les relations entreprises - Etats, l'intelligence économique et l'Afrique. Il est rédacteur aux Yeux du Monde depuis mars 2019.

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