Annexer la vallée du Jourdain : une réalité déjà en place
La seconde campagne législative israélienne de cette année est marquée par une surenchère de propositions de droite. Benjamin Netanyahou, Premier ministre sortant et candidat à sa réélection, a brisé le tabou de l’annexion. L’idée d’un État palestinien n’a jamais paru tant illusoire.
La fin du tabou
Benjamin Netanyahou, dit Bibi, a brisé le tabou ce mardi 10 septembre. Face à un auditoire électrisé dans la ville d’Ashdod, régulièrement visée par les roquettes du Hamas, Bibi a lâché une bombe diplomatique. Il promet que sitôt réélu, il mettra en œuvre l’annexion formelle de la vallée du Jourdain et la partie nord de la mer Morte, en Cisjordanie.
Dans tout le spectre politique israélien, du centre à l’extrême droite, la poursuite de la colonisation en Cisjordanie ne fait pas débat. Nombre de candidats ont répété récemment leur volonté d’annexer tout ou partie des colonies de Cisjordanie. Jusqu’à ce 10 septembre, Netanyahou s’était bien gardé de formuler aussi explicitement une telle position. Il a savamment joué d’une attitude de poursuite intense de la colonisation, tout en laissant ses alliés prendre position en faveur de l’annexion. Cette dernière consiste en une violation flagrante du droit international et un mépris ouvert pour toute solution de paix.
Fragilisé politiquement et judiciairement, Netanyahou a fait le choix d’une fuite en avant. Jouant la carte du populisme pour se prémunir d’une probable mise en examen prochaine, le Premier ministre a fait l’aveu de son absence de considération pour les paramètres internationaux agréés pour le règlement du conflit. En réalité, cette annonce n’est que la confirmation d’une politique activement à l’œuvre depuis plusieurs décennies.
L’annexion de fait de la vallée du Jourdain
Sur le terrain, tant les Palestiniens que les chercheurs et juristes constatent l’annexion de fait de la Cisjordanie. En outre, la vallée du Jourdain revêt une importance stratégique majeure pour les gouvernements israéliens. Cette vision reste néanmoins relativisée par les propres services de sécurité israéliens eux-mêmes.
La vallée du Jourdain constitue le verrou est pour Israël, qui vise à contenir les menaces sécuritaires par ce versant. Après une longue guerre contre la Jordanie, Israël souhaite prévenir tout trafic d’armes pouvant alimenter la Cisjordanie. Plus important encore, et malgré son climat aride l’été, cette vallée constitue le véritable poumon économique de la Cisjordanie. Le fleuve qui la traverse permet l’irrigation en continu des cultures (en particulier des dattes). Au nord, les carrières de calcaire offrent d’importantes opportunités économiques. Au sud, la mer Morte constitue une manne financière croissante avec l’expansion du tourisme.
Constituant la majorité la population, les 80 000 habitants palestiniens contrôlent seulement 6% de ce territoire. Les 94% du territoire restant sont sous le contrôle effectif d’Israël avec notamment les zones militaires fermées (56%), réserves naturelles (20%) et colonies (15%). En ce lieu, Israël détourne à son profit la majeure partie des ressources naturelles et économiques. À ce titre, les communautés palestiniennes (citadins et bédouins) font régulièrement l’objet d’expulsions forcées, dénoncées par les ONG et la communauté internationale.
Politique intérieure et claque diplomatique
Alors que son avenir politique et individuel s’assombrit, Netanyahou poursuit sa conquête de la droite dure israélienne. Premier ministre à la longévité politique la plus longue de l’histoire du pays, sa survie est conditionnée à un succès aux élections qui s’annoncent pour le 17 septembre. Le précédent scrutin d’avril s’était soldé par un échec du fait de son incapacité à former une coalition majoritaire.
En outre, la vallée du Jourdain constitue 60% des exportations agricoles de l’État hébreu. Les 9 000 colons de la vallée permettent une exploitation agricole et industrielle de la zone. À l’inverse, les quelques 611 000 colons des zones montagneuses de l’ouest occupent des espaces résidentiels. Au sein de ces dernières, les activités commerciales et industrielles sont peu développées.
Cette volonté de Benjamin Netanyahou constitue ainsi l’affirmation de la priorité des enjeux de politique interne sur la légalité internationale. Cette posture est d’autant renforcée que la déclaration conjointe signée par la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne exprime seulement sa « préoccupation » face à cette annonce. Les Européens évitent ainsi toute condamnation forte de ce qui constitue une claque diplomatique au dialogue engagé depuis plusieurs décennies en faveur de la résolution du conflit.
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