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Barkhane : l’opération à plusieurs inconnues (1/3)

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Alors que la nation française pleure la mort de quatorze soldats en l’espace d’un mois, l’équation de l’opération Barkhane possède encore de très nombreuses inconnues. Il est donc très difficile de déterminer l’issu d’une intervention qui va se prolonger encore de nombreuses années.

L’opération Barkhane s’étend sur cinq pays sahéliens, la Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et le Burkina Faso. Cette étendue grande comme l’Europe est très difficile à contrôler pour la force de 4500 militaires français. Bien que l’opération soit bénéfique au soutien des forces locales, l’intervention militaire française fait face à de nombreuses problématiques.

Un sentiment anti-français, une blessure de l’Histoire

NH90 Barkhane
Le NH90 Caïman, hélicoptère des armées françaises, nécessaire pour couvrir une territoire grand comme l’Europe

Le premier écueil, très présent sur les réseaux sociaux, décrit un sentiment anti-français extrêmement marqué dans la zone. La force militaire Barkhane est, en effet, présente sur le théâtre depuis presque six ans dans la région. Cette force, armée de libération à l’origine, est ainsi de plus en plus perçue comme une armée d’occupation. Malheureusement, les faits d’attaques de plus en plus violentes, indiquent que cela va perdurer. A cela s’ajoute un certain nombre de rumeurs concernant le « pillage » des ressources naturelles des différents pays. Comme l’uranium au Niger, le pétrole au nord Mali (Azawad) ou l’or sud-malien.

Ces rumeurs, non prouvées, et démenties dans de nombreux articles ne les empêchent cependant pas de se propager et de s’ancrer. Le président Emmanuel Macron ne s’y trompe pas lorsqu’il accuse certains responsables politiques de souffler sur les braises et d’attiser ainsi un sentiment anti-français dans un objectif de politique intérieure.

Une activité djihadiste géographiquement éclatée, portant de rudes coups aux forces locales

Comme susmentionné, une multiplication d’attaques djihadistes contre les forces locales, sur une zone géographique de la taille de l’Europe rend la situation difficile. Les groupes djihadistes comprennent de petites katiba (brigades de combat) autonomes et très opérationnelles, ce qui rend leur recherche complexe. De plus, ces unités changent d’allégeance régulièrement, empêchant une cartographie précise des parties-prenantes. Un changement d’épicentre de la crise s’opère du Mali au Burkina Faso. Le Quai d’Orsay déconseille donc fortement aux Français de ce rendre dans la région.

Les djihadistes ont simplement bougé et ont pu profiter des mêmes problématiques au Burkina, trouvant un terreau fertile à de nouveaux recrutements ou soutiens. Difficile à combattre pour la force française de 4500 hommes. Le front s’étire donc largement, les attaques s’éloignent également les unes des autres. De plus, s’attaquer aux forces locales a plusieurs avantages. Cela empêche les retours régaliens dans les zones grises. Les unités locales sont bien souvent peu entraînées et mal équipées, donc les coups portés font mal. Le matériel militaire que celles-ci possèdent sert comme butin de guerre. Enfin, les pertes locales se ressentent fortement auprès des populations. Cela éclipse les efforts de Barkhane et donne une impression d’inaction française, renforçant de facto un sentiment anti-français.

Les milices, groupes armés aux agendas politiques disparates

De plus, aucun commandement centralisé ne permet de rendre les forces régionales interopérables. Enfin, la « miliciarisation », méthode très répandues pour obtenir des supplétifs aux pouvoir centraux, encourage de fait le jeu d’agendas propres et partisans qui ne suivent pas la politique gouvernementale dans des zones où le pouvoir régalien est absent ou fortement contesté. Il s’avère que pour l’opération Barkhane certaines milices pro-gouvernementales sont encore en activité. Celles-ci suivent leur propre agenda économique, politique. Que ce soit des trafics en tout genre, des revendications foncières, ces milices peuvent ainsi agir en toute impunité, en partie financées par l’Etat malien pour lutter contre l’épouvantail des Groupes Armés Terroristes (GAT).

Des Etats, presque faillis, qui ne jouent pas leur rôle

Les Etats concernés par l’opération Barkhane jouent difficilement leur rôle régalien sur l’ensemble du territoire. Cela engendre des zones grises de trafics mais également des zones refuges pour les GAT. Nous pouvons citer des régions comme la boucle du Niger ou la zone des trois frontières (Mali, Niger et Burkina Faso). Concernant le Mali, ancien épicentre de la crise, le président actuel ne s’est rendu dans le Nord qu’un nombre de fois limité, suscitant l’ire des populations locales. Celles-ci se sentent donc délaissées par le pouvoir central et se tournent vers d’autres moyens d’obtenir une amélioration de leurs conditions de vie.

Des conflits ethniques hérités de la colonisation

L’opération Barkhane se déroule sur des territoires dont les Etats sont d’anciennes colonies. Cet aspect colonial, géopolitiquement absolument nécessaire pour la prise en compte de ce problème, a engendré un tracé de frontières sans pour autant considérer les revendications ethniques et culturelles des populations y habitant. Le Mali, dont le territoire est compris dans le spectre de l’intervention Barkhane en est un très bon exemple. Le nord du pays comprend majoritairement des touaregs et de culture nomade alors que le sud est comprend plus une population noir-africaine sédentaire.

Ainsi, des ethnies sont actuellement, bien malheureusement, en pleine lumière. Les peuls, peuple d’éleveurs, les dozos, peuple de chasseurs et les dogons, peuples d’agriculteurs s’affrontent. Des milices d’autodéfenses sont constituées par chaque ethnie. Des chasseurs dozos auraient ainsi tué 37 peuls le 1erjanvier 2019. Ces tensions ethniques sont très astucieusement utilisées par les djihadistes afin de discréditer un Etat presque absent des territoires de l’Azawad. Ainsi, Amadou Koufa, prêcheur peul et chef de la katiba Macina, encourage les peuls à rejoindre son mouvement. C’est précisément un élément de discorde entre dozos, dogons et peuls. Ces derniers sont accusés par les deux premiers de soutenir les djihadistes dans la zone. Toutes ces tensions amènent donc à la constitution d’agendas communautaires particuliers.

Ces problématiques freinent donc une intervention française qui ne peut se substituer aux différents Etats. La France sert ainsi d’épouvantail pour justifier une gouvernance à plusieurs vitesses dans la région. Entre misère sociale, sentiment de revanche de communautés délaissées par les pouvoirs centraux et absence de moyens ou de volonté de la part des gouvernements, le cocktail reste explosif.

Sources

-« Le Burkina Faso entièrement déconseillé aux voyageurs, selon le Quai d’Orsay, Le Monde Afrique, 20 Novembre 2019, (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/11/20/le-burkina-faso-entierement-deconseille-aux-voyageurs-selon-le-quai-d-orsay_6019831_3212.html)

-« Sahel : avec sa convocation, Macron nourrit le sentiment anti-Français », Libération, 5 Décembre 2019, (https://www.liberation.fr/planete/2019/12/05/sahel-avec-sa-convocation-macron-nourrit-le-sentiment-anti-francais_1767546)

-« Au Mali, le difficile désarmement des milices », Le Monde Afrique, 10 Avril 2019, (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/04/10/au-mali-le-difficile-desarmement-des-milices_5448506_3212.html)

-« Le général Lecointre s’insurge contre les allégations liant Brkhane aux richesses minières des pays du Sahel », OPEX360.com, 29 Novembre 2019, (http://www.opex360.com/2019/11/29/le-general-lecointre-sinsurge-contre-les-allegations-liant-barkhane-aux-richesses-minieres-des-pays-du-sahel/)

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Harold MICHOUD

Harold Michoud est étudiant de Grenoble Ecole de Management et effectue une poursuite d'étude en géopolitique au sein de l'IRIS SUP'.

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