ActualitésAsie du Nord-EstAsie et OcéanieJapon

Tokyo 2020 : l’héritage olympique brisé de Shinzo Abe [2/3]

Shares

Au-delà du simple enjeu sportif, la modification calendaire des Jeux Olympiques et Paralympiques aura un impact majeur sur les secteurs économiques et politiques. Ce second volet traitera du rêve olympique brisé de Shinzo Abe. Le report des Jeux déborde dans la sphère politique et complique les plans politiques de Shinzo Abe et de son parti politique.

Lors de la cérémonie de clôture des Jeux de Rio en 2016, Shinzo Abe, déguisé en Super Mario, touchait du doigt son rêve olympique. Crédits : CBS News.

Tokyo 2020, une renaissance innovante après Fukushima

Dans un scénario idéal, le Premier ministre Shinzo Abe aurait vu la flamme olympique illuminer un stade national bondé le 24 juillet prochain, sa côte de popularité bondissante et l’économie japonaise florissante grâce au tourisme. Le gouvernement japonais souhaitait que les Jeux de 2020 “changent l’avenir du Japon, en revitalisant le pays. Tokyo 2020 devait raconter au monde le Japon contemporain avec les Jeux “les plus innovants de l’histoire”. Tokyo voulait montrer la voie des “nouveaux” Jeux Olympiques, plus propres, intégrés dans un environnement urbain durable. Ils devaient aussi être le symbole de la reprise nationale après plusieurs réformes “Abenomics”.

Neuf ans après la catastrophe nucléaire engendrée par le tsunami, les Jeux devaient aussi symboliser la renaissance de Fukushima. Le complexe sportif J-Village, longtemps utilisé comme un centre opérationnel de lutte contre les conséquences de 2011, est redevenu en avril 2019 un centre d’entraînement. Le 26 mars, le périple de la flamme olympique devait débuter au sein de ce centre construit en 1997. Fukushima devait également accueillir des matchs de baseball et de softball durant les Jeux. Comme l’a souligné le directeur de projet des communications internationales de Tokyo 2020, “inscrire les JO à Fukushima, c’est un signal fort”. Après le tsunami, 160 000 personnes avaient été évacuées. Certaines zones sont toujours interdites et plus de 40 000 habitants ne sont pas revenus.

L’héritage d’Abe contrarié

L’organisation des Jeux Olympiques a été au premier plan de la politique de Shinzo Abe depuis 2012. Il s’y est consacré entièrement à partir de l’exercice 2018. La majorité des projets mis en place par le gouvernement et sa communication étaient liés aux Jeux. D’autant que les Jeux Olympiques représentent d’une des dernières chances d’Abe d’imposer son héritage et une influence politique à long terme. En effet, le Premier ministre a échoué, au cours de son troisième mandat, à mener à bien ses projets. Abe n’est parvenu ni à mettre fin au différend territorial sur les îles Kouriles, ni à régler la question sensible des ressortissants japonais enlevés par des agents nord-coréens dans les années 1970 et 1980. Son gouvernement est, en outre, empêtré dans des affaires de corruption.

Surtout, Shinzo Abe n’a pas été en mesure de mettre en œuvre son ambition ultime de réviser la Constitution pacifiste japonaise. Rédigée par les États-Unis en 1947, elle n’a jamais été amendée depuis. Le gouvernement d’Abe souhaitait en effet tourner la page du repentir vis-à-vis de la Chine et de la Corée du Sud et pouvoir faire du Japon une puissance qui se défend seule. Il espérait en effet inscrire dans le marbre l’existence d’une armée nationale et de capacités militaires offensives en lieu et place des actuelles “Forces d’autodéfense”, alors que l’article 9 de la Constitution consacre la renonciation du Japon à toute forme de guerre.

Un programme politique bouleversé

Le mandat de Shinzo Abe à la tête du Parti libéral-démocrate – et donc du pays – prendra officiellement fin à l’automne 2021. Il y a encore un mois, il était largement admis qu’Abe prévoyait de dissoudre la chambre basse de la Diète et de convoquer des élections anticipées entre septembre et décembre 2020. Le Premier ministre et le PLD espéraient ainsi profiter d’une remontée du moral national après le triomphe des Jeux Olympiques. Grâce à un rebond économique provoqué par l’augmentation du tourisme, le PLD aurait pu gagner de nouveaux sièges à la Chambre des représentants. Cette stratégie aurait donné une liberté certaine au successeur d’Abe pour contrôler l’agenda politique, et notamment le calendrier des prochaines élections générales.

La pandémie de Covid-19 et l’urgence de santé publique qui en résulte, ainsi que le report d’un an des Jeux ont radicalement modifié les calculs du gouvernement japonais. Alors que le Japon doit désormais prolonger son effort olympique d’un an, les Jeux Olympiques pourraient devenir un fardeau pour un gouvernement sur la sellette, accusé d’avoir minimisé l’ampleur de la pandémie sur le territoire japonais, afin de ne pas avoir à reporter l’événement. Sa réponse initiale à la crise sanitaire a suscité de nombreuses critiques, avant que Tokyo ne décide de déclarer l’état d’urgence à l’échelle nationale jeudi 16 avril.

Sans marge de manœuvre et avec un débat sur la révision constitutionnelle enterré, le plus grand héritage d’Abe pourrait finalement se transformer en une tentative infructueuse de battre la déflation, alors que les coûts supplémentaires dus au report des Jeux pèseront d’autant plus lourd dans une économie en crise. Dans une situation de gestion de crise, les Jeux Olympiques pourraient devenir une responsabilité plutôt qu’une opportunité politique pour le gouvernement de Shinzo Abe.

Note

Une version longue de cet article est publiée sur le site des Ambassadeurs de la jeunesse.

Shares

Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *