Tensions croissantes sur les eaux du Nil
Les fleuves ont toujours été des enjeux majeurs au niveau géopolitique. Le rapport de forces entre les pays pour le contrôle de cette manne d’eau douce se joue alors au niveau des sources, donnant logiquement l’avantage aux pays en amont du fleuve. Le Nil fait exception, dans la mesure où c’est l’Égypte, pays à l’embouchure, qui historiquement a eu le contrôle du plus long fleuve du monde.
Le fleuve des pharaons
Le Nil, constituant à la fois la force et la faiblesse de l’Égypte, a donc été une source permanente de préoccupations pour les gouvernements égyptiens depuis l’Antiquité. Mais historiquement, l’Égypte a toujours été la puissance dominante dans le bassin du Nil et ne s’était donc jamais réellement inquiétée quant à son contrôle du fleuve. C’est lorsque les anglais entreprennent d’exploiter le Nil pour leurs colonies durant les années 1920, que l’Égypte commence à devenir obsédée par ce sujet.
Deux accords ont alors confirmé son ascendant sur les eaux du Nil. Le premier accord a lieu en 1929 entre l’Égypte et l’empire britannique, puis en 1959 avec le Soudan indépendant. Ces deux accords ont confirmé un droit de véto de l’Égypte sur tous les projets concernant le fleuve, même en dehors de son territoire. L’accord de 1959 précise la répartition des eaux du fleuve entre le Soudan et l’Égypte (80% en sa faveur), sans qu’aucune part ne soit alors prévue pour les autres pays en amont du bassin du fleuve.
Bouleversements dans la Vallée du Nil
Pendant toute la seconde moitié du 20ème siècle, cette répartition bipolaire des ressources du fleuve n’a guère été contestée. Toutefois deux évènements ont perturbé les deux puissances dominantes du Nil. Le printemps arabe a affaibli l’Égypte qui est depuis dans une phase d’instabilité chronique. Tandis que le Soudan a fait face à la partition de son territoire, avec l’indépendance du Sud Soudan en 2011.
Dans ce contexte de déclin (relatif) du Soudan et l’Égypte sur la scène régionale, l’Éthiopie a lancé en 2011 le projet d’un énorme barrage sur le Nil Bleu, le barrage de la Renaissance (d’une capacité de réservoir de 63 milliards de m3). Le nom coïncide évidemment avec le désir de renaissance de l’Éthiopie comme puissance régionale dans sa sphère d’influence (la Mer Rouge, le Bassin du Nil et l’Afrique de l’Est).
L’Éthiopie souhaite donc plus de multilatéralisme dans la gestion des eaux, dénonçant des « droits coloniaux illégitimes » de l’Égypte, dont 86% du débit total du Nil provient des sources éthiopiennes. Le pays a participé ainsi à la mise en place en 1999 de l’Initiative du Bassin du Nil (IBN) pour amener les pays signataires à une utilisation « équitable et raisonnable » des eaux du Nil. Cela a été renforcé en 2010 par la signature du « New Nile Cooperative Framework Agreement » par 5 états, envoyant un signal fort au Soudan et à l’Égypte.
D’autres pays affirment leurs ambitions, comme la Tanzanie qui veut utiliser plus massivement l’eau du lac Victoria pour irriguer environ 600.000 hectares. Si le Soudan semble prêt à faire des ouvertures sur la gestion du Nil, l’Égypte continue de refuser de coopérer sur le sujet. Bien que le Stockholm International Water Institute assure que le barrage de la Renaissance ne devrait pas avoir d’impacts majeurs sur l’Égypte, il est évident que pour Le Caire, le Nil reste toujours une sorte de patrimoine national extraterritorial intouchable. Si l’hypothèse de guerres de l’eau au 21ème siècle venait à se réaliser, il est probable que la vallée du Nil soit l’un de ses terrains d’application.