La République démocratique du Congo en crise
Lundi 19 janvier 2015, le Parlement congolais adoptait le projet de loi électorale qui divise le pays. Dans la capitale de la RDC, Kinshasa, des manifestants tentaient alors d’occuper les lieux du pouvoir législatif tandis qu’à Goma dans l’est, de nombreuses personnes bloquaient des rues en signe de mécontentement. Tous souhaitent voir l’actuel président Joseph Kabila quitter le pouvoir au terme de son second mandat, à la fin de l’année, comme l’exige la constitution. Or, la modification de la loi électorale semble être un subterfuge pour prolonger le mandat de Kabila, au sommet de l’État congolais. La révolte qui gronde dans le pays est réprimée par la force. La police anti-émeute a tiré à balle réelle sur la foule, faisant au moins 4 morts.
La nouvelle loi électorale conditionne la tenue des prochaines élections législatives et présidentielles en République démocratique du Congo, prévues pour 2016, au recensement préalable de la population nationale. A priori rien de problématique. Cependant, la RDC est un immense pays dont la superficie est supérieure à 4 fois celle de la France. Les infrastructures de communication y sont par endroit déplorables voire inexistantes ce qui complique grandement une opération de recensement général. À cela s’ajoute la guerre que mènent différents groupes rebelles dans l’est du pays et qui empêche de facto le bon déroulement du comptage des habitants qui vivent parfois à plusieurs kilomètres de la première piste dans la forêt équatoriale. Dans ces conditions extrêmes, le recensement de la population congolaise prendrait au moins 3 ans, et encore, les autorités pourraient reporter le comptage dans la région des Kivus, en prétextant une situation sécuritaire inadéquate à son bon déroulement.
Cette révision constitutionnelle de circonstance, justifiée par un besoin soudain et irrépressible de recenser la population congolaise, permet en vérité de prolonger indéfiniment le mandat de Joseph Kabila qui a, par ailleurs, tout intérêt à maintenir une situation d’insécurité aggravée dans la partie orientale du pays pour rallonger la durée du recensement. Assurément un stratagème politique dont le but est la prolongation du mandat présidentiel, en infraction à la constitution du pays, relative aux deux mandats présidentiels consécutifs maximum autorisés. Cette posture politique court-termiste engage la RDC dans le péril de la balkanisation, compte tenu de la perte de contrôle de l’État central sur les Kivus. Ce territoire, gorgé de minerais stratégiques comme la cassitérite et le coltan, est une zone grise aux mains d’une nébuleuse de groupes criminels et rebelles : les rebelles rwandais hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les rebelles burundais hutus des Forces nationales de libération (FNL), le groupe ougandais islamiste nommé Forces démocratiques alliées (ADF) et les insurgés ougandais d’inspiration chrétienne de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), pour ne citer qu’eux.
L’impuissance, pour ne pas dire l’inaction, du gouvernement face à ces groupes armés – appelés « forces négatives » par Kinshasa – qui tyrannisent la population est tout à fait criante. À vrai dire, les Forces armées de la République démocratiques du Congo (FARDC) sont largement sous-payées quand elles le sont, en plus d’être infiltrées par les anciens combattants congolais d’origine rwandaise tutsie du M23. Par conséquent, l’armée congolaise participe à et profite de cet engrenage vicieux de corruption, d’abus de pouvoir sur les populations (taxes, sévices) et de trafic frontalier avec le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda. Son intérêt n’est donc pas la cessation des hostilités, bien au contraire.
La RDC au bord du gouffre : une crise politique qui pourrait déraper en guerre civile
Le président Kabila ordonnait en début de semaine de couper internet et les antennes relais de téléphonie mobile. Cette décision est prise pour empêcher la propagation de la révolte montante. Elle doit être comprise comme une opération classique d’infoguerre dans laquelle l’Etat congolais désigne ses opposants politiques (et donc des pans entiers de la société congolaise) comme un ennemi que l’on doit priver de moyens de communication. Des opérations de contre-révolution sont menées par les forces gouvernementales à l’image de l’arrestation et du musèlement des leaders de l’opposition, Jean-Claude Muyambo et Vital Kamerhe.
En attendant, la MONUSCO se prépare à engager une opération militaire contre les FDLR, décidée à l’ONU le 9 janvier, tandis que Moïse Katumbi, riche gouverneur de la prospère province cuprifère du Katanga dans le sud-est du pays, brigue la présidence congolaise sans pour autant l’affirmer ouvertement. Après le Burkina Faso, voilà la RDC dans la spirale du soulèvement populaire. Serait-ce les prémisses de Printemps africains ?