Moyen-Orient : après l’ère du pétrole, le néant ?
Le Bahreïn est le premier pays du Moyen-Orient à s’être lancé dans l’exploitation du pétrole au début des années 1930 mais aussi le premier pays à avoir envisagé une reconversion de sa rente pétrolière et une diversification de son économie. S’expliquant par une convergence de facteurs, la fin de l’ère du pétrole peut-elle être suivie d’une ère qui lie croissance et développement pour les pays du Moyen-Orient ?
Le Moyen-Orient doit faire face à la réduction indéniable des ressources engendrées par l’exploitation pétrolière : la production de pétrole au Qatar devrait prendre fin d’ici 100 ans. L’ensemble du Moyen-Orient se retrouve ainsi obligé de faire des choix cruciaux qui définiront pour longtemps l’avenir de la région. Toutefois, la découverte de nouveaux champs pétrolifères prometteurs ainsi que l’extension des exploitations actuelles à l’instar de celle de Ghawar en Arabie Saoudite tendent à prolonger l’ère du pétrole, mais cela ne représente en rien une solution à long terme. Il faut également noter que certains pays du Moyen-Orient ne possèdent pas d’hydrocarbures à l’image du Yémen. Pour autant, l’existence de substantielles rentes liées à l’exploitation pétrolière (taxes sur les pipelines transfrontaliers notamment, comme en témoigne l’accord Irak-Jordanie pour un oléoduc) associe inévitablement l’avenir de toute la région à celui du pétrole. Au-delà de ces considérations statistiques, la fin de l’ère du pétrole relève aussi du jeu politique. Lorsque le ministre saoudien du pétrole Ali Al-Naïmi affirme en Novembre 2014 que « le marché se stabilisera de lui-même », il alimente les critiques de nombreux pays du Moyen-Orient qui fustigent l’impérialisme saoudien sur l’OPAEP. En effet, une vision stratégique commune sur la question du pétrole est nécessaire pour les pays du Moyen-Orient qui ne possèdent pas une production suffisante pour jouer sur les coûts de production comme l’Iran. Ce « pétrolisme politique » décrit par Maurice Flory, où chaque acteur joue sa propre partition, a contribué à détruire l’aspiration unitaire qui existait auparavant : la logique commerciale a pris le pas sur la culture politique dans la définition des intérêts du Moyen-Orient. Aussi, face aux conflits récurrents frappant la région, les acheteurs internationaux se tournent de plus en plus vers le pétrole du Golfe de Guinée mais aussi vers le pétrole de schiste américain. Ainsi, en dépit d’une production qui reste (trop) élevée, le Moyen-Orient ne peut plus faire du pétrole l’unique assise de son économie tant les conjonctures économiques et politiques lui sont défavorables.
Suivant ces premières conclusions, la fin de l’ère du pétrole ne peut se voir uniquement comme une plongée dans le néant. Les relations diplomatiques actuelles sont révélatrices d’une situation incertaine. En 1981, la plupart des Etats du Golfe avaient créé le Conseil de Coopération du Golfe pour se protéger ; en réalité, leur sécurité n’a cessé de reposer sur le système de défense américain, comme en témoigne encore la prolongation du pacte du Quincy entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite garantissant aux Etats-Unis un approvisionnement en pétrole saoudien à des prix préférentiels en échange de leur protection. Toutefois, la récente exploitation des pétroles non conventionnels confère aux Etats-Unis une liberté nouvelle face aux pays du Moyen-Orient, une liberté qui fragiliserait l’équilibre des différentes alliances. A ce titre, la fin de l’ère du pétrole sonne davantage comme le début d’une ère de menaces, comme un retour à un Moyen-Orient rongé par les conflits asymétriques.
Néanmoins, il faut se dégager d’un fatalisme cynique qui affirmerait que le Moyen-Orient est destiné à plonger dans le néant pour aborder les nouvelles perspectives offertes par la proclamation de la fin de l’ère du pétrole. Une voie suivie par de nombreux pays est celle de l’anticipation : préparer l’après-pétrole via des placements à long terme destinés à substituer à la rente pétrolière une rente financière. Prenons l’exemple du Koweït et de son fonds souverain KIA crée en 1953 : à l’aide d’une ponction de 10% chaque année, la rente financière a dépassé la rente pétrolière dès la fin des années 1980. Toutefois, cette nouvelle orientation suscite la peur des acteurs occidentaux qui voient dans les fonds souverains du Moyen-Orient des armes de prédation comme le montre l’interdiction par les Etats-Unis du rachat par Dubaï de 6 plateformes portuaires américaines. En tout cas, les fonds souverains permettent une diversification des économies. Comme l’affirme Cheikh Mohamed Bin Rachid al-Maktoum, le développement économique de Dubaï est aujourd’hui soutenu par des infrastructures qui ne dépendent plus directement du pétrole. En effet, Dubaï cherche à développer un soft power à échelle mondiale, à devenir le premier hub aéroportuaire mondial, à devenir un haut lieu culturel avec le futur Musée de l’Avenir. Bref, les pays du Moyen-Orient cherchent à développer une diversification tous azimuts.
Toutefois, un optimisme béat qui ferait fi d’un état des lieux préoccupant n’a pas sa place dans l’étude de l’ère post-pétrole. Bien que les Etats rentiers-providence reposant uniquement sur les pétrodollars cèdent progressivement leur place à des Etats stratèges adeptes d’investissements et promoteurs d’un cadre propice à la mondialisation, la politique post-pétrole d’ouverture (relative) des pays du Moyen-Orient ne s’accompagne pas d’une démocratisation et les investissements ne se concentrent que très peu dans la région du Moyen-Orient. Un fort ressentiment des populations pourrait à terme fragiliser la nouvelle orientation des politiques régionales. A ce titre, le plan qatari « Vision 2030 » associant croissance économique et développement social apparaît comme un échec. Parler de fin de l’ère du pétrole est donc abusif puisque le pétrole reste le socle des économies. La fin de l’ère du pétrole s’apparente davantage à une prise de conscience des dangers du « tout pétrole » mais cette prise de conscience n’apporte pas encore aujourd’hui de solutions concrètes.