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Gabon : pourquoi le processus électoral s’enlise t-il en Afrique ?

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Les élections sur le continent africain opposent souvent une population en quête de changement et un pouvoir qui souhaite conserver son assise au sein du pays.
La victoire contestée d’Ali Bongo aux élections présidentielles gabonaises soulève la question des irrégularités parfois rencontrées au sein du processus électoral en Afrique.

5 000. C’est le nombre de voix qui séparent Ali Bongo, Président sortant du Gabon et candidat réélu pour un deuxième mandat, de son adversaire Jean Ping, selon les résultats annoncés le 31 août dernier. Contestées à l’intérieur du pays et par une partie de la communauté internationale, les conditions de la réélection d’Ali Bongo donnent lieu depuis plusieurs jours à des violences au sein du pays et à une guerre médiatique d’influence entre les deux candidats. Ces événements font notamment écho aux prémices de la crise électorale survenue en Côte d’ivoire en 2011.
Scénario sans surprise pour certains, instabilité ancrée dans les gènes politiques du continent pour d’autres, nombreux sont les préjugés à l’encontre des capacités démocratiques de l’Afrique, régulièrement alimentés par les crises cycliques qui entourent les échéances électorales. La marge de manœuvre des pouvoirs en place pour tenter de conserver le pouvoir est-elle réelle ? Etat des lieux et tentative de réponse. 

Subterfuges et souplesse du mécanisme électoral

Concrètement, 3 moyens d’action s’offriraient aux autorités pour influencer les résultats à chaque niveau du processus  : l’inscription sur les listes électorales, la définition des conditions d’éligibilité des candidats aux élections, et l’organisation des commissions électorales.

C’est ainsi qu’au Gabon, dans le cadre de l’élection présidentielle de 2009, Ali Bongo aurait été élu avec 2 millions de voix, alors que le recensement du pays faisait état d’une population de 1,4 millions d’habitants. De même, la distribution de cartes électorales peut être conditionnée par la volonté du pouvoir (exclusion de la diaspora, des bi-nationaux etc). Ces deux mesures permettent aux autorités d’agir à la fois sur le nombre de voix comptabilisées, et sur l’orientation des votes, à travers l’éviction d’électeurs ou de régions électorales hostiles au pouvoir en place. En Côte d’Ivoire notamment, l’introduction du « concept d’ivoirité » au début des années 2000, a permis le développement d’une discrimination de masse à l’encontre d’une partie de la population dont les membres étaient considérés comme étant de « mauvais ivoiriens ».

Cette mesure visait notamment à interdire l’éligibilité aux élections présidentielles d’opposants tels qu’Alassane Ouattara. Autre exemple, en Gambie, où un scrutin est prévu pour novembre, la modification de la loi électorale survenue en avril dernier a soulevé l’indignation de la population, en proclamant que tout candidat devrait verser 500 000 dalasi (plus de 11  000 euros) et rassembler le soutien de 10 000 citoyens, pour pouvoir participer aux élections.

Enfin, les commissions électorales dites indépendantes, créées dans de nombreux pays d’Afrique afin de remplacer les Ministères de l’intérieur comme acteur principaux du système électoral, restent souvent inféodées au pouvoir en place (bien souvent à l’origine de la nomination de ses membres), et permettent de conférer une légitimité apparente au scrutin.

Communauté internationale : entre impuissance et risque d’ingérence

Le Gabon ne fait pas exception à la règle, et la communauté occidentale, notamment l’Union européenne, demande à ce que la lumière soit faite sur les résultats. Cependant, sa marge de manœuvre est limitée, son intervention souvent illégitime, et son impuissance, avérée. Ainsi, au Congo-Brazaville, plus de 4 mois après les élections présidentielles qui ont porté à nouveau au pouvoir Denis Sassou Nguesso, les candidats déchus continuent de dénoncer ce qu’ils qualifient de « holp up électoral ».

Les interventions extérieures dans un contexte électoral surviennent souvent a posteriori de l’annonce des résultats, et se traduisent par l’envoi de médiateurs ou de forces militaires pour contenir les violences. Les organisations internationales, telles que l’ONU, tentent parfois d’agir en amont, à travers l’envoi d’observateurs chargés de vérifier la légalité du processus électoral, mais sont confrontées aux difficultés locales (accès aux bureaux de vote, corruption ancrée dans l’ensemble des composantes du processus etc), et à l’absence de moyens d’action concrets.

Une instabilité électorale héritée de la colonisation ? 

L’organisation d’élections libres dans les pays occidentaux est le fruit d’un facteur majeur : l’imprégnation de la démocratie dans les règles juridiques qui encadrent le processus électoral et l’adaptation de ces règles aux spécificités nationales et locales. C’est probablement ce qui fait défaut à certains pays du continent africain. Les règles électorales, souvent issues de l’héritage juridique lié à la colonisation, n’ont pas fait l’objet d’un modelage aux conditions démographiques et culturelles de pays, et ne sont souvent qu’un simulacre de démocratie à destination du regard du monde.

L’introduction d’un modèle juridique dans des pays qui ne disposaient pas des conditions nécessaires à son bon fonctionnement, et dont la nécessité était d’élaborer leur propre modèle, a entraîné le développement d’une violation systématique des règles en place, et à l’immixtion de la corruption à tous les niveaux de la hiérarchie politique. Cette dernière est notamment permise par les difficultés économiques et encouragée par les inégalités qui minent les populations.

Cependant, malgré un bilan critique, les difficultés rencontrées par certains pays s’opposent aux efforts réalisés par des Etats devenus des exemples pour le continent africain, tels que le Sénégal, le Bénin, le Burkina Faso, ou les élections se sont déroulées presque sans heurts. La création d’un modèle électoral et le respect de ce dernier par les autorités est donc le fruit d’un processus long, que la communauté internationale doit tenter de réguler et d’encourager à chaque scrutin.

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