Fin du vide institutionnel au Liban
Après vingt-neuf mois de vacance présidentielle, le Liban a de nouveau un chef d’Etat. Le lundi 31 octobre, les députés ont majoritairement voté pour Michel Aoun, ancien militaire, figure de la vie politique libanaise depuis plus de trente ans. Il prend la suite de Michel Sleimane, dont le mandat s’était terminé en mai 2014. La nouvelle a déclenché une vague d’optimisme à travers le pays. Il s’agit certes d’un tournant pour le pays du Cèdre, mais de nombreux sujets épineux attendent le nouveau gouvernement.
Qui est cet animal politique plébiscité par les chrétiens, mais qui n’a pas toujours fait l’unanimité ?
L’ancien « imad » (général) Aoun aura attendu de longues années avant d’atteindre le sommet de l’Etat. Issu d’une famille modeste, ce militaire n’a jamais caché son ambition de devenir Président. Le poste revenant traditionnellement à un chrétien maronite, rien ne pouvait l’empêcher de briguer la magistrature suprême. Il y est finalement parvenu à 81 ans. Auparavant, il a été le Commandant des Forces armées libanaises (1984-1990), il a exercé le rôle de Premier ministre par intérim (1988-1991). Cependant, il a été évincé du pouvoir à l’automne 1990. Suite à cet événement il est allé se réfugier en France.
A son retour d’exil, M. Aoun a surpris le peuple libanais en réalisant un véritable volte-face politique. Il a en effet formé une alliance avec le Hezbollah – mouvement chiite – en 2006. Lui qui avait été un opposant historique à la Syrie est désormais perçu comme un allié du camp de Bachar al-Assad. Il s’est alors différencié d’une partie de la communauté chrétienne libanaise, plus liée à la communauté sunnite.
Comment peut-on expliquer la victoire de M. Aoun ?
Tout d’abord, M. Aoun doit sa victoire à la principale figure chrétienne proche des sunnites : Samir Geagea. Les désaccords entre les deux hommes symbolisaient en effet la division de la communauté chrétienne libanaise, et ce depuis de longues années. Lors d’une conférence de presse tenue en janvier dernier, S. Geagea a annoncé qu’il soutiendrait la candidature de M. Aoun. Le camp chrétien était donc unifié derrière lui. Si M. Aoun est parvenu à devenir Président, c’est aussi grâce à un autre adversaire politique : Saad Hariri, homme politique sunnite. Ils sont parvenus à mettre leurs différends de côté. En échange de son soutien, S. Hariri a obtenu le poste de Premier ministre. Il faut évidemment ajouter à ces deux alliances politiques le soutien clef du Hezbollah.
Cependant, même si M. Aoun est parvenu à rassembler la classe politique, l’avenir du Liban reste incertain.
Les nouveaux dirigeants ont beaucoup de questions à régler. Si l’on s’en tient aux premières déclarations de M. Aoun, ainsi que de son Premier ministre, les priorités seront d’abord d’ordre socio-économiques. Par exemple, il est urgent de régler la crise des déchets, ainsi que d’étudier la question des aides sociales. Toutefois, ils ne pourront pas ignorer longtemps le dossier syrien, étant donné que M. Aoun a annoncé qu’il souhaitait renvoyer les réfugiés syriens – il y en a près de 1,5 millions au Liban – dans leur pays. Il faudra parvenir à un accord avec Bachar al-Assad, et surtout réussir à convaincre ces réfugiés de partir.
En parallèle, le nouveau Président a aussi souligné qu’il tenait à construire une politique étrangère indépendante. Cela ne sera pas évident car les pays voisins du pays vont essayer de l’influencer. Étant donné que M. Aoun est un perçu comme un allié des chiites, l’Iran va chercher à renforcer l’axe Beyrouth-Téhéran. Le Ministre des affaires étrangères iranien a déjà rencontré le nouveau Premier ministre S. Hairiri. En outre, le Liban est directement concerné par le conflit syrien, étant donné que les forces du Hezbollah sont engagées aux côtés de l’armée de syrienne, contre les rebelles. Il ne pourra donc pas assurer longtemps la neutralité de son pays. Si M. Aoun décide de renforcer ses alliances avec le camp chiite, il devra ménager S. Hairiri, sunnite, et farouche opposant à Bachar al-Assad. Un désaccord entre les deux hommes pourrait affecter la stabilité institutionnelle précaire du Liban.
Les nouveaux dirigeants du pays doivent donc œuvrer à la remise en route du pays, mais aussi s’assurer une place dans l’ordre régional. L’élection de M. Aoun a bien mis fin à un vide politique mortifère. Toutefois, le Liban est encore loin de retrouver son « prestige » d’antan, si cher à l’ancien général.