L’Arabie saoudite met la pression sur le Qatar
C’est un événement majeur pour les relations diplomatiques au Moyen-Orient, lundi 5 juin 2017, l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, mais aussi l’État de Bahreïn, la Libye, le Yémen et les Maldives ont annoncé conjointement la rupture de leurs relations avec l’émirat du Qatar. La raison invoquée par Riyad étant le soutien inconditionnel de Doha à plusieurs groupes djihadistes considérés comme terroristes. Cette décision est également motivée par des déclarations polémiques des dirigeants qataris sur une éventuelle alliance avec l’Iran. Une nouvelle série de rupture diplomatique qui intervient un an et demi après une autre rupture, entre l’Arabie saoudite et l’Iran, signe de l’instabilité régionale. Cette rupture peut surprendre, car les régimes saoudiens et qataris sont bien plus semblables. Cependant, les motifs de compétition entre les deux États sont nombreux et ne datent pas d’hier. Aujourd’hui cette rivalité atteint son paroxysme et si l’Arabie saoudite n’est pas le seul État engagé dans cette procédure de rupture diplomatique, la monarchie semble être leader de la manœuvre.
La rivalité entre les deux « pétromonarchies » remonte au milieu des années 90, lorsque l’émir, Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, prend le pouvoir au Qatar par un coup d’État, destituant son propre père. Il décide alors de mener une toute nouvelle politique pour faire du Qatar un État qui comptera au XXI ème siècle. Désormais l’émirat prend ses propres décisions et développe son économie. Cette volonté d’indépendance va créer des tensions avec l’Arabie saoudite lorsque le Qatar décide de mener d’autres alliances. Ainsi, Doha va s’opposer à la politique saoudienne au Liban en 2006, au Yémen en 2009, mais c’est surtout le cas de l’Égypte en 2011, qui cristallisera la rivalité entre les deux États.
La rivalité entre salafistes et Frères musulmans
En 2011, les manifestants grondent au Caire, le président égyptien Hosni Moubarak est destitué au grand dam des Saoudiens, qui le soutiennent depuis longtemps. Les premières élections égyptiennes vont alors livrer leur verdict et se sera Mohamed Morsi, leader des Frères musulmans locaux qui sera élu. Si d’un point de vue européen, les salafistes et les Frères musulmans se ressemblent, ils sont en réalité concurrents au Moyen-Orient et c’est certainement le point de désaccord le plus important entre le Qatar et l’Arabie saoudite. On pourrait résumer la différence entre Salafistes et Frères musulmans ainsi (1) : les premiers souhaitent appliquer une version plus rigoriste de l’Islam, mais réfutent tout expansionnisme, tandis que les Frères musulmans acceptent d’inclure certaines conceptions politiques occidentales, dans le but de peser à l’international et de créer un courant musulman mondial. Les wahhabites saoudiens, voient dans la doctrine des Frères musulmans, une concurrente directe pour la diffusion de l’islam politique dans le monde. Pour le Qatar, les Frères musulmans ont permis au petit émirat de trouver un véritable rôle régional. En effet, presque personne dans la région ne souhaitait voir les Frères musulmans au pouvoir en Égypte, le Qatar a donc été l’un des rares soutiens à Mohamed Morsi. Le problème égyptien se finira bien pour l’Arabie Saoudite, puisque les Frères musulmans seront renversés par l’armée, qui reprendra le pouvoir en 2013. L’Égypte fait aujourd’hui partie des pays qui ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar.
Les raisons de cette rupture diplomatique
Si des divergences existent depuis plusieurs années, elles ne peuvent à elles seules expliquer une décision aussi importante qu’est la rupture diplomatique. Comme c’est souvent le cas, il faut se référer à un élément déclencheur. Cet élément est survenu la semaine dernière, lorsque des propos de l’émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad Al ont été rapportés, s’exprimant sur la politique régionale sunnite, menée par Riyad. Le sujet le plus important évoqué étant l’Iran comme possible allié stratégique dans la région. Si le Qatar a réfuté la réalité de ces propos, l’État du Golfe soutien depuis de nombreuses années le Hamas palestinien, lui-même soutenu par le Hezbollah, proche de l’Iran.
Un soutien très mal perçu du côté de Riyad et de Washington. Car oui, les États-Unis ne sont pas étranger à cette manœuvre. En effet, cet événement intervient deux semaines après la visite de Donald Trump. Le président américain en avait profité pour rappeler le rôle de l’Iran, comme acteur principal du terrorisme international. Une déclaration légitimant les positions saoudiennes actuelles, anti-chiites et anti-iraniennes.
La réaction saoudienne paraît donc disproportionnée par rapport à des propos que le Qatar a démenti, mais la réalité est que Doha s’entend mieux avec l’Iran que ses voisins du Golfe.
La grille d’analyse qatari n’est pas dénuée de sens, elle semble même bien plus compréhensible que celle délivrée par Donald Trump. En effet, si l’attitude de l’Iran n’est pas exempte de tout reproche, notamment vis-vis du Hezbollah, on ne peut pas omettre le fait que les milices iraniennes combattent les groupes djihadistes en Syrie et en Irak. Cependant, cette analyse plutôt réaliste des Qataris, est en contradiction avec la politique menée par Doha en Syrie depuis 2011. Cette politique visait à financer de nombreux groupes opposés à Assad sans faire de distinction entre rebelles modérés et djihadistes. Un manque de nuance qui exaspère Riyad et un autre point de tension entre les deux pétromonarchies.
Contrairement à la rupture diplomatique intervenue en janvier 2016 entre l’Iran et l’Arabie saoudite, celle-ci à de grande chance d’être temporaire. En 2014 déjà, l’Arabie saoudite avaient rappelé ses ambassadeurs pour protester contre le soutien du Qatar aux Frères musulmans. L’objectif pour les saoudiens étant de faire pression sur Doha, afin que le gouvernement qatari abandonne à la fois ses positions pro-iraniennes jugées provocantes et les aides apportées à certains groupes djihadistes. La question étant de savoir si cette politique de pression fonctionnera sur l’émirat du Qatar et sa soif d’indépendance.
(1) Résumer la situation est complexe, puisque différents courants existent notamment chez les salafistes. Ainsi l’on peut dénombrer trois mouvances bien distinctes : quiétisme, salafisme politique (comme le wahhabisme) et djihadisme. Un article seul sur cette question serait nécessaire pour mieux appréhender ces différents courants.