Quel bilan de l’intervention russe en Syrie ?
Après six mois et demi d’interventions et de bombardements, Vladimir Poutine a demandé le retrait des forces russes le 14 mars, considérant que « la tâche qui avait été demandée à notre ministère de la Défense et aux forces armées a été globalement accomplie ». Ce retrait fait suite au cessez-le-feu effectif en Syrie depuis le 27 février. Depuis l’échec de l’intervention soviétique en Afghanistan (1979-89), la Russie n’était plus sortie militairement de la zone d’ex URSS; la Tchétchénie, la Géorgie et l’Ukraine restaient les seuls témoins de l’action russe.
Cette intervention, très critiquée du côté européen et américain, a donc débutée le 30 septembre 2015, elle a mobilisé 6000 hommes et près de 110 avions de combats pour 5 soldats tués, un hélicoptère et un avion Sukhoï abattu, ce dernier par la Turquie. Au niveau financier la campagne russe aurait couté en moyenne trois millions de dollars par jour, ce qui revient à environ 500 millions de dollars, en comparaison la France en a dépensé 350 millions en Libye, pour une durée d’intervention similaire. Au niveau politique, l’armée russe a permis aux forces du régime de reprendre 5 % du territoire syrien ainsi que des villes stratégiques du pays comme Alep, Lattaquié, Homs ou Deir ez-Zor. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, les bombardements russes auraient tué plus de 1500 rebelles et djihadistes du Front al-Nosra, groupe affilié à al-Qaida ; plus de 1200 djihadistes de l’EI et 1800 civils. Le succès militaire semble a priori relatif, le gouvernement syrien est en meilleure posture, l’EI est affaibli, mais n’a pas disparu et al-Nosra non plus.
Un succès pour des objectifs mesurés
Les stratèges russes semblent en tout cas connaître leurs classiques. L’histoire de ces 40 dernières années nous ont bien appris qu’occuper un pays au Moyen-Orient était synonyme de complication. Ainsi l’URSS s’est engloutit en Afghanistan, certains analystes considèrent que cet échec est l’une des nombreuses raisons de la chute du régime soviétique. Les États-Unis n’ont pas fait mieux en Irak ou en Afghanistan. Ces interventions, qui ont duré près de dix années chacune, ont pour point commun de s’être déroulées en deux étapes. Tout d’abord, un début d’intervention avec un objectif précis : évincer des dirigeants ennemis. Une première étape qui se déroule bien à chaque fois vue la puissance supérieure des états interventionnistes. Par la suite, ils vont se donner des objectifs plus structurels : stabiliser le pays, éliminer toute menaces militaires pour le pouvoir en place etc. Contrairement aux scénarios qui viennent d’être évoqués, la Russie s’est contentée de remplir l’objectif numéro un : redonner des positions au régime syrien et affaiblir les opposants. Elle ne s’est pas lancée dans un contrôle total du territoire syrien, qui aurait coûté énormément pour des résultats non garantis.
Enfin l’opinion publique est une donnée majeure, car plus les guerres dures, plus elles lassent les populations et mettent en péril les gouvernements. Si les États-Unis ont souffert des critiques de la guerre d’Irak au niveau intérieur, ce n’est rien comparé aux traces laissées sur l’opinion publique mondiale. L’Irak peut être considéré comme « le début de la fin » du monde unipolaire, discréditant les États-Unis et permettant à des acteurs comme la Russie ou la Chine de prendre de l’influence en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. Tous les facteurs étaient donc réunis pour qu’une intervention russe en Syrie reste limitée en terme de durée.
Si l’objectif de la sauvegarde du régime al-Assad est atteint, la Russie semble porter beaucoup d’espoir dans le cessez-le-feu actuel. On peut même parler de vrai coup de poker, puisque si la guerre venait à reprendre et sans le soutien russe, l’armée gouvernementale risquerait de perdre les territoires acquis. Et Moscou de voir six mois d’interventions annihilés. Nous pouvons donc reprendre les paroles du directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, Camille Grand : « la Russie apparait comme le vainqueur – au moins temporaire – de la séquence qui s’est achevée avec le cessez-le-feu».