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Les enfants soldats de Daesh : un retour redouté en France

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Source: Mirror Online UK.

En mars 2015, Rayan, 12 ans, est reconnu dans les médias par ses camarades de classe du collège Vauquelin dans le quartier du Mirail, à Toulouse. Devenu un enfant « bourreau », Ryan apparait dans une vidéo mise en ligne par Daesh le montrant entrain d’exécuter froidement un otage israélien. La France découvre alors un nouveau visage du terrorisme.

« Les lionceaux du califat » sont les enfants et les adolescents recrutés par l’organisation terroriste Etat Islamique (EI). Ils grandissent avec une arme à la main et une ceinture d’explosifs à la taille, au sein des camps d’entraînement et dans les écoles coraniques où on leur enseigne un Islam dénaturé, version Daesh.  Ils sont arrivés en Irak et en Syrie après avoir été emmenés par des parents fanatiques ou bien sont nés sur les territoires contrôlés par Daesh. Elevés dans un contexte de haine et de violence par l’organisation jihadiste, ces enfants « martyrs » ont oublié d’où ils viennent et finissent par se sentir proches de leurs aînés, prêts à tuer et à combattre à leurs côtés jusqu’à la mort. L’EI leur a promis une mort heureuse au « Paradis ». « Chairs à canon » et véritables outils de propagande, les enfants soldats de l’EI sont les premières cibles du terrorisme jihadiste. Faut-il les juger? Doit-on les considérer comme des victimes ou des bourreaux ? Leur retour en France est très redouté par les autorités.

Ce que dit le droit international

Selon l’UNICEF (Fonds des Nations-Unies pour l’enfance), on appelle « enfant-soldat » toute personne, garçon ou fille, membre d’une armée gouvernementale ou d’un groupe armé, recrutée de manière volontaire ou forcée dans un conflit. La Convention internationale des droits de l’enfant (1989) interdit tout recrutement en dessous de 15 ans et le Statut de Rome sur la Cour Pénale Internationale (1998) le classe en crime de guerre.

La justice internationale est confrontée à un dilemme : peut-elle juger les enfants soldats comme les recruteurs ? Le procès de Dominic Ongwen, ex-chef de l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda et premier enfant soldat à être jugé par la Cour Pénale Internationale depuis fin 2016, remet en question la notion de culpabilité. L’affaire pourrait avoir des répercussions importantes pour la réhabilitation ou le jugement des anciens enfants soldats à travers le monde et dont le sort reste, à ce stade, très flou aux yeux de la jurisprudence.

Les enfants soldats : un phénomène ancien repris par l’EI

Le recours aux enfants soldats n’est pas nouveau, mais la prolifération des armes légères l’a décuplé ces dernières décennies. C’était une pratique répandue au Sierra Leone dans les années 1990 et lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988) où les enfants iraniens se voyaient remettre une clé dorée pour leur ouvrir la porte du Paradis. Les jeunesses hitlériennes avaient aussi été utilisées comme enfants soldats. Elles ont été appelées en renfort pour s’opposer aux forces alliées, lors de la prise de Berlin en 1945. L’EI innove par la violence de ses vidéos d’exécutions d’otages commises par des enfants et destinées à semer la terreur chez l’ennemi, ou par l’enseignement dans les écoles coraniques. Les jihadistes enseignent aux enfants les mathématiques avec des bombes et des kalachnikovs, ou les font jouer avec des têtes décapitées pour leur transmettre leur idée de la « virilité ».

Les services de renseignement estiment à 450 le nombre d’enfants de parents français ou partis de France résidant dans la zone irako-syrienne et qui pourraient revenir. La moitié d’entre eux aurait moins de 5 ans et un tiers serait né sur le territoire occupé par Daesh. Parmi ces mineurs français, une vingtaine d’enfants ont été identifiés comme combattants. Actuellement, 59 mineurs (la plupart en bas âge) sont déjà revenus sur le sol national et font l’objet d’une attention spéciale.

L’Europe ne sait que faire des enfants de jihadistes

Le 13 novembre dernier, à l’occasion des commémorations des deux ans des attentats de Paris, Edouard Philippe a affirmé dans les médias que le nombre de retours de djihadistes français sur le territoire national a diminué cette année. Seulement neuf Français partis faire le djihad sont rentrés depuis janvier 2017. Le Premier ministre a par ailleurs rappelé que la France applique un « traitement judiciaire » de tous les jihadistes à leur arrivée en France. Néanmoins, si les adultes sont mis en examen à leur retour pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme » et peuvent être condamnés jusqu’à 30 ans de prison, la question des mineurs est beaucoup plus complexe et donne du fil à retordre à la justice française. Que faire des enfants des djihadistes ? Il est difficile de vouloir leur réserver le même sort qu’aux adultes. C’est pourquoi l’Etat français souhaite assurer leur suivi à travers un protocole spécifique.

Le gouvernement Hollande a dévoilé, en mars 2017, le plan Cazeneuve pour la prise en charge du retour des enfants de Français engagés dans les filières jihadistes en Irak et en Syrie. Selon les informations du journal Le Monde, Emmanuel Macron a poursuivi cette politique du cas par cas gérée conjointement par le Ministère de la justice et la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), dans un contexte de tensions entre les deux entités. En effet, la justice française se dit favorable à un suivi qu’elle considère indispensable, mais sans qu’il soit non plus trop rapproché, afin de ne pas stigmatiser les enfants et leurs familles concernées, tandis que les services de renseignement demandent des conditions de surveillance plus strictes. Un dialogue aurait été instauré entre préfets et procureurs afin d’apaiser l’atmosphère et un relatif consensus aurait été trouvé concernant la prise en charge psychologique des mineurs.

Tous les enfants ayant moins de 13 ans sont pris en charge par les structures classiques de protection de l’enfance. Quant aux soldats du califat qui ont plus de 13 ans, leur sort est étudié au cas par cas suivant l’âge, l’état psychologique et le degré de radicalisation, par une Cour d’Assises spéciale dirigée par le procureur de Paris. Contrairement aux jihadistes adultes, la plupart des enfants ne sont pas référencés au sein du  fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait), à l’exception de certains mineurs ayant plus de 13 ans contre lesquels une enquête a été ouverte. Les conséquences ne seront pas les mêmes pour des mineurs français radicalisés qui ont rejoint volontairement Daesh, des enfants emmenés par leurs parents et enrôlés de force comme jeunes combattants, des adolescentes trompées croyant partir « faire de l’humanitaire » ou des enfants nés en zone jihadiste. Des mineurs à propos desquels la justice française disposait de preuves d’exactions ont été placés en détention. Pour les jeunes français détenus en Irak et en Syrie, où ils risquent la peine de mort, le Consulat demande le respect d’un traitement judiciaire de l’enfance. De plus en plus de jihadistes faits prisonniers par les soldats syriens, irakiens et kurdes du PKK souhaitent que leurs enfants soient rapatriés en France afin qu’ils soient pris en main  par la justice française.

Comment rééduquer et réintégrer à la société ces jeunes endoctrinés et traumatisés, dont certains ont un parcours sanglant ? Personne ne semble avoir aujourd’hui la réponse à cette question. Les enfants de l’EI subissent de graves traumatismes du fait de leur exposition depuis leur plus jeune âge à un endoctrinement extrémiste. Les pédopsychiatres notent que beaucoup de ces mineurs manifestent des « symptômes de stress et dépression », des « troubles de santé mentale et de l’attachement » ainsi que des « retards de développement psychomoteur ». Certains enfants sont désensibilisés à la violence et n’ont plus le même rapport à la « normalité », notamment si l’idéologie radicale a été assimilée très tôt. Les garçons deviennent par exemple dès l’âge de 9 ans des prêcheurs, espions, messagers, combattants ou kamikazes et sont soumis à un entraînement militaire d’une rare brutalité (à l’instar de l’éducation nazie), afin de développer un sentiment de rejet vis-à-vis du monde occidental. Ils sont formés au maniement des armes, à couper des têtes et à se servir d’une ceinture d’explosifs dans le but de commettre des attentats suicides. Leur isolement social et familial, avec l’interdiction de regarder la télévision ou d’écouter la musique, renforce leur appartenance au groupe. Le discours jihadiste présente une vision apocalyptique du monde qui légitime ainsi le recours à la violence. Il insiste lourdement sur les notions de « martyr », sur la nécessité de « venger ses proches », de « sauver les musulmans », afin de les convaincre d’adhérer à leur « cause ». Les filles ne participent pas directement au jihad armé, elles servent d’épouses et d’esclaves sexuelles.

Les services antiterroristes craignent que « les lionceaux du califat » deviennent de « véritables bombes à retardement », selon les mots du procureur de Paris, François Molins. Depuis qu’il perd ses terrains occupés en Irak et en Syrie, Daesh a cherché à assurer sa relève à travers une nouvelle génération de combattants encore plus déterminés. Les enfants bourreaux sont surreprésentés dans la propagande médiatique de l’EI. Ils sont un des piliers de la mythologie jihadiste : celle d’un jihad qui se veut « éternel » et sans frontières. Le rôle des enfants recrutés par Daesh est de propager sur le long terme l’idéologie jihadiste au sein de la société européenne.

Pour certains spécialistes, il convient de privilégier l’approche éducative, la prison n’étant pas la solution. Le sociologue Farhad Khosrokhavar a même démontré qu’elle était un facteur clé de radicalisation. Les autorités françaises manquent de recul sur les études de déradicalisation, qui sont encore trop récentes pour donner des résultats fiables. La réinsertion de ces enfants sera longue et difficile. Les spécialistes s’inquiètent notamment du cas des enfants endoctrinés de l’intérieur, qui ont suivi leur famille en zone irako-syrienne, pour lesquels il sera plus difficile de comprendre qu’ils ont été manipulés. Selon Le Monde, un « protocole national » spécifique d’accompagnement psychologique sera prochainement déployé à l’attention des mineurs. La France met progressivement en place pour ces enfants un suivi médico-psychologique adapté. Il inclut la formation sur mesure des professionnels et des familles d’accueil destinés à les accompagner individuellement. Le  dispositif, actuellement en expérimentation en Ile-de-France, sera probablement bientôt appliqué à l’ensemble du territoire.

En 2016, l’agence de police européenne, Europol, tirait déjà la sonnette d’alarme sur l’impréparation des Etats européens face à d’éventuels retours d’enfants-soldats nés et élevés au sein de l’EI. Le retour des « lionceaux du Califat » soulève un problème de sécurité pour les pays membres de l’UE mais aussi un problème de société, selon le patron du renseignement intérieur, Patrick Calvar, qui dépasse les réponses purement sécuritaires et pénales. Ce problème ne concerne pas seulement l’Hexagone, mais tous les Etats d’Europe qui comptent de jeunes ressortissants dans les rangs de l’EI. Les pays européens devront faire face à ce problème ensemble dans la période post-Daesh, afin de superviser la réintégration de ces enfants au sein de l’Union européenne, en partageant leurs meilleures pratiques de déradicalisation.

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