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La diplomatie de Trump au Moyen-Orient : America’s back ?

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La visite de Donald Trump en Arabie saoudite le 20 mai dernier, ainsi que la rupture de la relation diplomatique avec le Qatar incarnent le virage amorcé par les États-Unis au Moyen-Orient. En réaffirmant le soutien inconditionnel des États-Unis au régime saoudien et en plaçant l’Iran au même titre que l’État islamique, Donald Trump rompt avec la politique de Barack Obama. Ce dernier avait amorcé un rapprochement avec l’Iran et plus largement, avec le monde musulman. [1] Néanmoins, les pressions exercées par les États-Unis sur le Qatar, pourtant allié et partenaire historique, risquent de fragiliser davantage une région minée par de fortes tensions. 

Rivalités historiques et nouveaux rapports de force ?

En désignant explicitement l’Iran et l’État islamique comme responsables du terrorisme, Donald Trump réactive la rhétorique néoconservatrice manichéenne, qui guidait la vision stratégique internationale des États-Unis, au cours des années 2000 [2]. Il réactive surtout les tensions entre l’Iran (chiite) et l’Arabie saoudite (sunnite), qui luttent pour l’hégémonie au Moyen-Orient, sur fond de guerre de religions. L’accord historique signé en 2015 avec l’Iran visant à freiner le programme nucléaire iranien avait initié une période de détente diplomatique et placé les États-Unis dans le rôle d’arbitre conciliateur. Mais les déclarations de Trump s’inscrivent à contre-pied de cette dynamique et impliquent les États-Unis dans le jeu de pouvoir entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Engagée sur le terrain militaire au Yémen, l’Arabie Saoudite a créé une très large coalition militaire avec l’Égypte, la Jordanie, le Soudan, le Maroc, le Pakistan, le Koweït, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis… et le Qatar. Récemment, le Qatar avait initié indépendamment un rapprochement politique et diplomatique avec l’Iran contre l’avis de l’Arabie saoudite. [3]

Comment les américains défendent leurs intérêts dans la zone ?

Les intérêts américains sont de trois ordres : stratégiques, économiques et militaires. Stratégiques d’abord, car le soutien apporté à l’Arabie saoudite permet indirectement aux États-Unis d’accentuer la pression sur l’Iran et à travers elle, la Russie. Il s’agit pour les États-Unis de relancer la vieille partie d’échecs avec la Russie sur des terrains d’affrontement déterritorialisés, comme la Syrie. La Russie entend créer une zone commune acquise à son aire d’influence politique et économique visant à favoriser le contrôle et le transport des ressources en hydrocarbure depuis l’Asie centrale jusqu’à la Méditerranée. Le soutien de Moscou aux régimes chiites iraniens et syriens s’inscrit en opposition à l’alliance des pétromonarchies sunnites, alliées historiques des États-Unis.

Pétrole, armement, finance…sur le plan économique, les intérêts américains sont également considérables. La salve d’accords commerciaux, signés à l’occasion de la visite de Trump, entre Washington et Riyad pour un montant record de 380 milliards de dollars traduit la prééminence des enjeux commerciaux et l’influence des lobbies sur la politique internationale de Trump. Dans le secteur de l’armement, des accords ont été signés pour un montant de 110 milliards de dollars. L’industrie du pétrole est également associée puisque Saudi Aramco a annoncé une série d’accords de plus de 50 milliards de dollars avec les grandes compagnies pétrolières américaines. Enfin, le groupe américain de capital investment Blackstone et le fonds souverain saoudien PIF ont annoncé la création d’un bouquet d’investissements de 40 milliards de dollars pour investir dans des projets d’infrastructures aux États-Unis. Mis bout à bout, la somme de ces accords commerciaux égale le PIB de l’Iran.

Sur le plan militaire, les États-Unis ont également des intérêts importants dans la zone avec d’importantes bases militaires en Arabie saoudite et au Qatar. La décision de Washington de rompre les liens diplomatiques et économiques avec le Qatar semble donc difficilement compréhensible au regard des intérêts américains dans le pays. Dès lors, une première grille de lecture consisterait à analyser l’isolement de Qatar comme une manœuvre de court terme, visant à donner gage de bonne foi à l’Arabie saoudite. Une seconde grille de lecture consisterait à dire qu’il s’agit d’une action de guerre économique visant à renforcer les pressions américaines sur le Qatar, riche en hydrocarbure et faire valoir des intérêts stratégiques pour les entreprises américaines.

Quelles conséquences géopolitiques ?

Au niveau local, l’appui politique et militaire à l’Arabie saoudite risque de renforcer les incursions de Riyad dans les théâtres d’opérations militaires où elle est engagée, comme au Yémen. Le conflit syrien pourrait également être impacté par cette nouvelle stratégie américaine à deux égards : en pointant du doigt le Qatar comme soutien financier, politique et idéologique du terrorisme, Trump entend enrayer la source du terrorisme et fragiliser les bases arrières de l’État islamique dans la région. Il entend également isoler davantage le régime de Bachar el-Assad en isolant l’Iran, son principal allié. Cependant, en affaiblissant l’Iran, il met un terme à toute tentative de coopération militaire occidentalo-iranienne contre Daesh en Syrie et en Irak et nuit paradoxalement à la lutte contre le terrorisme.

Au niveau régional, l’Arabie saoudite paraît plus que jamais en position de force et le partenariat avec les États-Unis renforce la logique de bloc et d’opposition avec l’Iran. On peut s’attendre à une recrudescence des tensions diplomatiques entre Téhéran et Riyad, qui ont rompu leurs relations diplomatiques depuis janvier 2016. Si l’isolement du Qatar est un signe de faiblesse interne et de dissension au niveau de la coalition, elle renforce paradoxalement davantage le leadership de l’Arabie saoudite et place Riyad en position favorable dans le rapport de force avec l’Iran.

Le virement diplomatique engagé par Donald Trump au Moyen-Orient ouvre une période d’incertitudes et de risques géopolitiques à l’échelle internationale. La vague d’attentats qui a frappé le Royaume-Uni et l’Iran au cours de ces derniers jours n’est peut-être pas décorrelée du retour américain dans la zone. Mais les contradictions de Trump et les revirements de la position des États-Unis au Moyen-Orient laissent à penser qu’un intérêt de court terme prévôt, motivé par des intérêts économiques, au détriment d’une vision de conciliation et de dialogue, essentielle à la stabilisation de la situation au Moyen-Orient.

[1] Discours du Caire, 4 Juin 2009

[2] Au lendemain du 11 Septembre 2001, The Axis of Evil, ou Axe du Mal est une doctrine de politique internationale américaine selon laquelle les États-Unis désignent explicitement les pays hostiles à Washington : Iran, Irak, Corée du Nord.

[3] Cf. Article L’Arabie Saoudite met la pression sur le Qatar, Les Yeux du Monde

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