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En Asie, les plaies de la seconde guerre mondiale ne sont pas encore refermées

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Mardi, la cour de justice sud-coréenne de Pusan a condamné le géant japonais Mitsubushi Heavy Industries à verser 71 800$ aux familles de cinq coréens victimes de travail forcé durant la seconde guerre mondiale.

Ce jugement est le deuxième du genre ce mois ci. La cour suprême de Séoul  a émis un jugement similaire à l’encontre de la Nippon Steel and Sumitomo Metal Corporation (89 800$ à verser à quatre plaignants). Les deux compagnies japonaises ont fait appel, arguant du fait que le traité bilatéral de 1965, qui était censé normaliser les relations nippo-coréennes, rendait ce type de jugement impossible.

C’est là que la question devient juridiquement complexe. Depuis 1965, les cours coréennes ont en effet systématiquement tranché pour un abandon des poursuites, dans le respect du traité. Mais la Cour Suprême a changé les règles du jeu en mai 2012 : elle a statué que le traité de 1965 violait la constitution du pays, appelant ainsi toutes les cours de justice de Corée à « ré-ouvrir » leurs dossiers.

L’enjeu humain et financier est de taille : on estime à plus d’un million le nombre de travailleurs forcés sud-coréens exploités par le Japon dans les années 1930-1940.

Cette situation appelle à être analysée avec deux points de vue différents: le diplomatique et l’historique.

La première grille de lecture est diplomatique. Il existe un risque important que les compagnies japonaises, sûres de leur bon droit et du soutien du très conservateur gouvernement Abe (à juste titre au regard du droit japonais), ne paient pas. Dans ce cas de figure, la justice coréenne sera amenée à saisir les actifs des sociétés japonaises incriminées sur le sol coréen… Ce qui reviendrait à déclencher une grave crise diplomatique entre les deux pays, sans parler des impacts économiques d’une telle décision (compte tenu du fort degré d’interdépendance des économies japonaise et coréenne).

Le problème est que l’on parle de pays dotés d’institutions démocratiques, et donc de systèmes judiciaires indépendants et non-soumis à l’exécutif! Il faudra plus qu’un simple « avis » du ministère coréen des affaires étrangères pour faire plier la Cour suprême.

La seconde grille de lecture est bien évidemment historique. Cette situation révèle à quel point l’Asie n’est pas parvenue à « régler » l’héritage de la seconde guerre mondiale (qui, on l’oublie trop souvent, a été bien plus longue en Asie qu’en Europe). Le traité de 1965 n’est qu’un pis-aller, imposé par un gouvernement américain avant tout soucieux, dans un contexte de Guerre Froide, de l’union du camp anti-communiste en Asie. Il n’a pas été accompagné par un profond travail de mémoire, similaire à celui qu’a pu faire une partie de l’Europe.

L’exemple nippo-coréen peut être étendu à la quasi-totalité du continent. Le pragmatisme des dirigeants asiatiques a, jusque là, presque toujours empêché que ces « différends » issus de la 2ème guerre mondiale ne dégénèrent, et surtout qu’ils ne freinent les échanges économiques entre les nations d’Extrême-Orient. Néanmoins, l’Asie se trouve aujourd’hui fragilisée en cas de poussée populiste et nationaliste…

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