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Quand l’Outre-mer gronde…

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Les récents évènements en Guyane font émerger la question de l’Outre-mer dans le débat politique français, en pleine période de campagne électorale. Au-delà de la crise politique et sociale, il s’agit véritablement d’un questionnement identitaire, pour un territoire situé à plus de 7000 kms de la métropole.  L’Outre-mer français, quand il n’est pas oublié, passe souvent au second plan dans la représentation collective de la géographie française. En marge de l’Europe et de la métropole, ces petits territoires, majoritairement insulaires, assurent paradoxalement le rayonnement de la France dans le monde.

 

Des territoires à l’abandon ?

Malgré d’importants plans de soutien de la France et de l’Europe, le développement des territoires d’Outre-mer reste fragile.

Les économies des territoires d’Outre-mer présentent une géographie atypique, marquée par quatre facteurs: éloignement, insularité, topographie et climat. L’éloignement se traduit par des localisations à plusieurs dizaines de milliers de kms de la métropole (24h de vol entre Nouméa et Paris, 9300 kms entre Paris et la Réunion) ce qui engendre des coûts importants en matière de transport et rend difficile l’implantation d’entreprises françaises sur ces territoires. L’éloignement est accentué par le caractère insulaire de ces territoires (à l’exception de la Guyane !) qui creuse les rapports de dépendance au continent. Enfin, l’incidence de climats extrêmes et de topographies complexes (mangroves en Guyane, volcans à la Réunion) présente des risques (sismiques, volcaniques, ouragans) et rend difficile l’aménagement du territoire, notamment en termes d’infrastructures routières et de développement urbain.

En résultent des situations économiques et sociales complexes. Le chômage dans les territoires d’Outre-mer est trois fois plus fort que dans la métropole, avec un taux dépassant les 36%. Les forts déséquilibres avec la métropole se traduisent également par une dégradation des conditions de vie avec un PIB moyen inférieur à 75% de la moyenne des PIB par habitants de l’Union européenne.  Enfin, ces territoires font face à de très forts exodes migratoires, car même s’ils sont plus pauvres que la métropole, ils bénéficient d’un niveau de service public et d’une qualité de vie nettement supérieurs à la majorité des pays qui leurs sont voisins. A titre d’exemple, Mayotte connaît une immigration de masse, en provenance des Comores et de Madagascar, avec près d’un habitant sur trois en situation irrégulière. Cette immigration de masse accentue les tensions communautaires et renforce les pressions démographiques au sein de ces territoires.

 

Quels enjeux stratégiques pour la France ?

Sur le plan géopolitique, l’Outre-mer permet à la France de disposer d’avant-postes sur tous les océans : Océan indien (Réunion et Mayotte), Arctique (Saint Pierre et Miquelon), Atlantique (Martinique, Guadeloupe, Guyane), Antarctique (Iles Kerguelen et les Terres australes), Pacifique (Polynésie française, Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna). Grâce à son Outre-mer, la France dispose d’une zone économique exclusive de 11, 7 millions de Km2, soit la plus vaste du monde, devant les Etats-Unis d’Amérique (11, 3 millions de Km2). En outre, la France est le seul pays du monde présent sur 6 des 7 continents. Cet éparpillement géographique permet à la France d’exploiter ces territoires et met en œuvre une véritable décentralisation de ses activités les plus stratégiques : base aérospatiale de Kourou en Guyane, depuis laquelle la fusée Ariane Espace est mise sur orbite, base militaire en Nouvelle Calédonie, bases d’observation météorologique et scientifique dans les îles australes, Clipperton et Kerguelen etc.

Sur le plan économique, les territoires d’Outre-mer français sont situés à proximité des immenses foyers de consommation des pays émergents. Ainsi, grâce à la Guyane, la France est frontalière du Brésil. Grâce à la Martinique et à la Guadeloupe, elle se situe à 3 heures de vol des Etats Unis, du Mexique et jouit d’une position stratégique sur tout le bassin caribéen. Grâce à Mayotte et à la Réunion, la France bénéficie d’une ouverture sur toute l’Afrique australe, ainsi que sur l’Asie du Sud. Dans un contexte où la maritimisation et l’internationalisation du commerce bat son plein, la France dispose de territoires situés sur les routes commerciale et jouit d’une situation stratégique, au centre des flux mondiaux.

Sur le plan culturel, l’Outre-mer français est le principal vecteur de diffusion de la francophonie et participe du rayonnement de la culture française dans le monde, et particulièrement sur le continent américain (Saint Pierre et Miquelon, à proximité du Canada, la Martinique et la Guadeloupe, ouverts sur le Bassin caribéen et la Guyane à proximité du Brésil).

 

Quel développement pour l’Outre-mer français ?

Si les territoires d’Outre-mer français sont situés en marge de l’Europe et de la métropole, ils sont pourtant au cœur de l’économie monde, en avant-poste des grands défis internationaux notamment en matière d’environnement et de climat.

En matière d’énergie, les territoires d’Outre-mer sont particulièrement dépendants des énergies fossiles, qu’elles importent en grande quantité (93% de l’énergie produite en Martinique provient de la production thermique à partir des combustibles fossiles, contre 7% de renouvelables[1]). Régions ensoleillées, exposées à des vents forts et constants avec d’importantes marées, les territoires d’Outre-mer bénéficient paradoxalement de situations exceptionnelles pour la mise en place des énergies renouvelables. L’UE doit pleinement jouer son rôle de champion du monde de la transition énergétique et renforcer les programmes de soutien au développement de la blue et green economy dans ses régions ultrapériphériques.

Les économies des territoires d’Outre-mer sont encore fortement dépendantes de la métropole. Ainsi, malgré la distance, la majorité des échanges commerciaux des territoires d’Outre-mer se fait avec la France métropolitaine (50 à 60% en moyenne) au détriment des pays qui leurs sont proches. Le développement de ces « fragments » de France, déterritorialisés, passe nécessairement par un renforcement de leur production locale et une meilleure intégration dans leur environnement régional.

 

 

[1] Source : EDF en Martinique

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