Quel avenir pour la Constitution japonaise ? [2/2]
Nous l’avons vu en première partie, la Constitution japonaise de 1947 a toujours été très décriée par la majorité politique. Pour autant, le Japon a pu, par le biais d’une réinterprétation permissive du texte, bâtir une force d’autodéfense et en élargir progressivement les prérogatives. Dès lors, la pertinence du texte s’en est retrouvée significativement réduite. Peu à peu, les obstacles politiques et législatifs à la révision de la constitution s’amenuisent. Quelles sont les raisons qui empêchent le Premier ministre japonais de sauter le pas ?
…Et son succès relatif à renormaliser l’armée japonaise
La montée du communisme en Asie dans les années 1950 pousse les Etats-Unis à redéployer leurs troupes. Le Japon, alors en déficit de sécurité, obtient leur feu vert pour la création d’une réserve nationale de police japonaise. Cette dernière deviendra la force d’auto-défense (FAD). Ce corps militaire est au départ cantonné aux interventions de sauvetages et à la stricte défense du territoire. Il ne verra sa capacité d’action s’élargir qu’à partir des années 1990. En 1992, le vote de la Loi sur la Coopération aux opérations onusiennes de maintien de la paix et autres (PKO), ouvre la possibilité pour les FAD d’intervenir à l’étranger pour le maintien de la paix. Les troupes envoyées étaient d’abord cantonnées au soutien logistique des forces onusiennes et il leur était interdit de faire usage de leurs armes.
Dans les années 2000 la renormalisation militaire prend un nouveau tournant. Largement inspiré par l’idéologie très conservatrice de son grand père, Shinzo Abé accélèrera le processus. Les FAD deviennent alors officiellement une force armée régulière en 2015. Une énième réinterprétation de l’article 9 facilite désormais les engagements extérieurs. Le Japon peut ainsi prendre part au mécanisme de self-défense collective onusien et user de la force en cas de force majeure. Pareillement, les FAD sont autorisées à employer leurs armes lorsqu’il en va de leur survie ou de la protection d’innocents.
Une constitution en survivance
Un budget en hausse constante pour sa défense a permis au Japon d’intégrer le top 10 des plus grandes puissances militaires avec 48,5 milliards de dollars votés pour l’année 2020. Après une évolution timide, l’accélération entreprise sous Abé s’est traduite par un approfondissement du rôle opérationnel des FAD. Finalement, les limites de la Constitution japonaise semblent atteintes. Il est par exemple difficile de prétendre que l’armée nippone ne représente pas un ‘’potentiel de guerre’’, dont la détention est pourtant proscrite par l’article 9.
En revanche, la procédure d’amendement reste lourde. Il faut en effet pour Abé obtenir l’accord des deux tiers du Parlement ainsi que le vote favorable de la majorité de la population par référendum. Si le soutien politique est bien présent, l’opinion publique est quant à elle restée hostile à la révision de la Constitution. Tandis que le terme de son mandat s’approche à grand pas, Abé n’est pas encore parvenu à obtenir cette majorité. Le peuple japonais, très attaché au symbole de pacifisme porté par le texte, a aussi réagi très négativement aux récents scandales de corruption.
L’accélération opérée sous Shinzo Abé aurait ainsi pu pousser à l’amendement. Fort d’une majorité politique favorable au début de son dernier mandat, le Premier ministre japonais était proche de toucher au but. Tout a été question de timing et il s’avère que le bon moment n’a pas été trouvé. Dernièrement fragilisé par les scandales, le gouvernement Abé a décidé à raison de ne pas prendre le risque d’un échec politique cuisant.
Un paradigme encore moins propice à la révision
Il est enfin très peu probable qu’une révision soit envisageable pour 2021. En effet, les derniers scandales de corruption ont profondément affectés la crédibilité de l’administration Abé. En réaction, le projet de révision avait maintes fois été repoussé en attente de jours meilleurs, mais le gouvernement peine à tourner la page. De plus, la gestion de la pandémie de coronavirus doit être la priorité pour Tokyo, même si l’approche choisie est loin de faire l’unanimité. La situation interne est donc largement défavorable à la révision.
Il en va de même pour la situation extérieure. Jusqu’à très récemment, l’essor militaire chinois jouait en faveur de la renormalisation militaire de l’archipel. Le pays a cependant pacifié ses rapports avec son voisin continental, qui n’est plus perçu comme une menace directe pour le pays. Cette alliance, bien qu’embryonnaire, pourrait également faciliter la baisse des tensions avec Pyongyang. En bref, les facteurs directs d’insécurité diminuent pour Tokyo.
Le paradigme s’est donc rapidement inversé en quelques années et tous les indicateurs montrent qu’il serait peu constructif de procéder en 2020 à la révision de la Constitution japonaise. Pour ce qui est de 2021, le gouvernement nippon aura certainement d’autres priorités. L’on peut ainsi déjà prévoir que la réorganisation des Jeux Olympiques de Tokyo et la fastidieuse relance économique du pays qui s’annonce après le passage du coronavirus occuperont une place de premier plan dans la vie publique japonaise.
La politique extérieure du Japon moderne aura donc été marquée par la forte volonté politique d’une implication pleine et entière dans le système de sécurité des Nations-Unies, d’une politique de défense toujours plus autonome et normalisée, et d’une capacité opérationnelle accrue. Un pacifisme proactif qui continuera à mûrir en marge des limites constitutionnelles pour les années à venir.
Bibliographie
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