Rétrospective 2015 : Crise des migrants, ou l’échec annoncé de la cohésion européenne
Ils sont plus d’un million à avoir franchi les frontières de l’Union européenne en 2015. C’est le chiffre le plus important depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. « Migrants », « réfugiés », « demandeurs d’asile », de nombreux qualificatifs sont employés pour désigner ceux qui seraient à la source d’une « crise » au sein de l’Union européenne. Crise politique pour une Union en perte d’unité ; crise humanitaire, pour les 3770 personnes qui ont perdu la vie cette année sur les rives de la Méditerranée. Près d’un an après le début d’un phénomène de grande ampleur, l’heure est à la stagnation et aux divisions. Retour sur une année qui marquera l’histoire de la construction européenne.
Aux origines d’une prise de conscience collective
Avril 2015. Des images largement relayées par les médiaux nationaux font état de 1200 migrants noyés au large des côtes libyennes. Le premier sommet de l’UE sur l’immigration clandestine est convoqué, suivi par de nombreuses autres réunions officielles tout au long de l’année. L’agence Frontex, en charge du contrôle des frontières extérieures, et notamment ses moyens, sont au cœur des débats. Mais les premières actions (notamment navales) mises en place par l’Europe ne suffisent pas à endiguer le phénomène. En août, ce sont déjà plus de 500 000 personnes qui auraient tenté de franchir les frontières. Le deuxième choc aura lieu en septembre, avec la parution de la photographie d’un enfant, Aylan Kurdi, décédé au large des côtes turques, ravivant l’urgence.
Crise des migrants, crise des réfugiés : qu’en est-il vraiment ?
Les notions de « réfugié », « migrant » et « demandeur d’asile », utilisées à maintes reprises par la presse cette année, doivent faire l’objet d’une distinction. Un réfugié est une personne qui fuit les menaces, la persécution ou la violence qu’il subit dans son pays. Il dispose d’un statut juridiquement protégé par des textes internationaux, tels que la Convention de 1951 adoptée par l’ONU et son Protocole en date de 1967. Un migrant décide de quitter son pays pour adopter une vie jugée meilleure sur un autre territoire. Juridiquement, il est soumis aux lois de l’Etat qui l’accueille en matière d’immigration. Le demandeur d’asile est quant à lui un migrant qui cherche, par le biais d’une demande officielle, à obtenir le statut de réfugié auprès de l’Etat concerné. Cette distinction sémantique est fondamentale pour comprendre la problématique de l’immigration en Europe aujourd’hui.
Les raisons (pas si évidentes) d’un tel essor
Pourquoi assiste t-on à un afflux de migrants cette année ? Beaucoup se prononcent sur le laxisme de la politique européenne face à la gestion de ses frontières extérieures, considérées comme trop poreuses. Cette raison, si elle ne peut être écartée, ne permet pas de justifier à elle seule le pic d’affluence que connait l’Europe depuis 2010, sa politique d’accueil étant restée peu ou prou inchangée depuis 20 ans.
La principale explication réside dans la mutation de la forme actuelle des conflits. En effet, depuis 1989, le nombre de guerres meurtrières a diminué de moitié. Cependant, alors que les guerres se caractérisent traditionnellement par l’affrontement internationalisé (entre plusieurs Etats) de deux ou plusieurs armées, la multiplication de conflits internes et ethnico-religieux, engagés par une partie de la population, des milices ou encore des groupements, brouillent les cartes et génèrent une hausse des victimes civiles. Les tensions peuvent éclater partout, et la notion de « front », souvent illustrée par la guerre des tranchées de 14-18 est désormais souvent inexistante.
La Syrie, l’Irak, ou encore l’Afghanistan, 3 premiers pays dont sont originaires les migrants qui frappent au portes de l’Europe, en sont l’exemple même. Les points d’entrée principaux en nombre de personnes sont l’Italie, avec l’île désormais célèbre de Lampedusa, l’Espagne, la Grèce, ou encore les Balkans de l’Ouest (Croatie, Hongrie, Slovénie).
La réaction de l’Union européenne : la politique de la coquille vide ?
Si l’espace Schengen est unifié autour du principe de libre circulation interne, et d’une politique de contrôle des frontières extérieures, le droit d’asile ne fait l’objet d’aucune mise en commun de la part des Etats membres, qui demeurent souverains dans ce domaine. De plus, l’Union européenne doit se distinguer de l’Espace Schengen, qui regroupe 22 Etats de l’Union et 4 Etats dits « associés » (Norvège, Islande, Liechtenstein, Suisse). Or, l’absence d’anticipation de ce phénomène face à un échiquier politique international pourtant annonciateur (guerre en Syrie, développement de l’Etat islamique, crise en Libye ou en Afghanistan, situation économique en Tunisie), semble être à l’origine des difficultés qui scindent aujourd’hui l’Europe.
Après la crise grecque, qui a divisé pendant plus de 4 ans les Etats partisans de l’austérité et ceux partisans d’une solidarité au sein de l’UE, les Etats membres de l’espace Schengen font à nouveau preuve de leur manque de cohésion sur le dossier de l’immigration. Les pays d’Europe centrale et orientale, tels que la Hongrie, l’Autriche, la Slovénie ou encore la Macédoine s’orientent vers un discours de fermeture, suivis progressivement par la Norvège ou encore la Suède, s’opposant à des Etats comme l’Allemagne, qui s’engage à accorder l’asile à tous les réfugiés syriens qui arrivent sur le territoire, ou à la France qui, pour venir au soutien de cette dernière, a promis d’accueillir 30 000 migrants.
A l’issue de plusieurs sommets, dont le dernier date des 18 et 19 décembre derniers, l’heure est à la recherche d’une diminution de cet afflux. Quelques grandes mesures font l’unanimité : création de centres d’accueil en Grèce et en Italie pour procéder à une première sélection de personnes pouvant prétendre au droit d’asile, répartition de quelque 160 000 migrants entre les Etats membres (seulement 200 l’ont été à ce jour), création d’un corps de garde frontières qui sera déployé d’ici juin, ou encore l’octroi d’une aide de 3 milliards de dollars à la Turquie pour contrôler ses frontières. Cependant, l‘application de ces orientations reste à mettre en œuvre à l’horizon d’une année 2016 qui s’annonce complexe pour l’UE et ses dirigeants. Le Haut-commissariat pour les réfugiés a en effet récemment annoncé que le chiffre du million de personnes pourrait être dépassé en 2016. Une nouvelle épreuve pour une Europe qui aura besoin de plus de consensus.