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Bitcoin : l’émergence d’un moyen de lutte contre la diplomatie du dollar ?

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Depuis la spectaculaire amende infligée à BNP, de nombreuses études sont sorties sur la façon dont les États-Unis ont une lecture très large du champ d’application de certaines de leurs lois internes afin de mener une guerre économique, notamment tournée vers les grands groupes européens. A titre indicatif, il faut dire qu’aucune entreprise chinoise n’a été frappée à ce jour pour avoir enfreint cette loi dans un pays où la corruption au sommet des entreprises atteint de tels sommets que le gouvernement de la RPC a dû prendre des mesures spectaculaires.

En effet, les critères d’application retenus sont extrêmement vastes : cela part de champs classiques comme le territoire ou les ressortissants, et cela va jusqu’à la seule utilisation du dollar dans une transaction ou un simple mail passant par des serveurs américains pour déclarer la justice américaine compétente.

La FCPA, un racket diplomatique ?

Par conséquent, dans le cadre de leur loi contre la corruption, la fameuse FCPA, de grands groupes comme Alstom ou Siemens ont été obligés de verser plus de 20 milliards de dollars au Trésor américain, et ce sans qu’elles n’aient jamais été déclarées coupables. Cela s’explique par le fait que la coopération est un aspect fondamental de la procédure.

Par « coopération », il est entendu que les entreprises s’engagent à réaliser une enquête qu’elles financent elles-mêmes, relative aux chefs d’accusation et à en communiquer les résultats aux entreprises. Très coûteuses, ces enquêtes peuvent ne pas être limitées dans le temps et débouchent généralement sur des amendes lourdes. De plus, le résultat de ces enquêtes contient souvent des informations sensibles, qui sont donc mises à la disposition des autorités américaines. Or, les entreprises touchées par ce dispositif sont très souvent de grands groupes européens.

S’il faut reconnaître que de nombreuses entreprises américaines ont été touchées par ce dispositif, le montant des amendes infligées est bien plus important lorsqu’il s’agit d’entreprises étrangères que d’entreprises américaines. Évidemment, le fruit de ces amendes atterrit dans les caisses du Trésor américain, et non dans celles des États étrangers concernés. Pire encore, le fait que ces amendes soient imposées à l’issue d’une coopération avec l’entreprise fait qu’aucun jugement n’a été passé, et elles n’ont pas été reconnues coupables. La communication des informations qui peuvent être de nature économique, financière ou industrielle aux autorités américaines se fait donc en dehors de tout cadre légal ce qui laisse de grands fleurons industriels européens vulnérables. En cinq ans, les entreprises européennes à elles seules ont versé plus de 20 milliards de dollars au Trésor américain, et ce montant devrait augmenter fortement dans les années à venir.

Cette loi du FCPA a transformé le commerce en arme diplomatique. Certes, la compétition entre les États en matière de commerce est ancienne et on connaît les proportions qu’elle peut prendre à l’OMC, toutefois, l’OMC dispose de règles établies que chacun connaît et honore.

Il est révélateur que la justice américaine choisisse d’étendre le champ d’application de cette loi en particulier. En effet, cette loi à l’origine cherche à prévenir la corruption de représentants d’États étrangers. Cette corruption peut être présente lorsqu’un État lance un appel d’offre, par exemple dans le domaine des infrastructures. Les grands groupes américains remportent rarement ces grands appels d’offres publics, contrairement aux groupes européens. L’application de cette loi permet donc de cibler principalement des entreprises non-américaines.

De la même façon, les États-Unis pratiquent depuis des années un autre type de diplomatie économique : l’utilisation des sanctions économiques, visant à forcer un État à se plier à leur volonté. Ce système de sanction, s’il n’est pas nouveau (le premier embargo a été décrété en 1961 contre Cuba), prend une dimension nouvelle avec une nouvelle extension aux entreprises. En effet, le Department of Justice, la Security Exchange Commission, et particulièrement l’Office of Foreign Assets, branche du département du Trésor spécifiquement en charge du programme des sanctions, n’hésitent pas à attaquer des entreprises qu’ils estiment violer cet embargo, en utilisant les mêmes lectures ouvertes de la lettre de leur loi. La simple utilisation du dollar lors d’une transaction par deux entités non-américaines en dehors du territoire des États-Unis suffit à donner compétence au DOJ et à l’OFAC pour sanctionner les parties à cette opération.

L’impact du bitcoin sur la diplomatie économique

Toutefois, un phénomène nouveau pourrait bien changer la donne. En effet, la justice américaine ne s’est pas encore déclarée au sujet des transactions réalisées en bitcoin, même si l’administration fiscale taxe les revenus en bitcoin et que la cryptomonnaie fait l’objet d’enquêtes régulières du Secret Service. Le bitcoin s’est imposé sur les marchés. En effet, le 7 décembre 2017 son cours était à plus de 14 000 dollars. Ce cours est dû au fait que les grandes places boursières aux États-Unis comme celle de Chicago, le CME Group ont décidé d’autoriser les échanges en bitcoin. Le NASDAQ va probablement le faire en 2018, malgré les débats que la crypto-monnaie suscite. Les jumeaux Winklevoss, rameurs olympiques portés à l’écran dans le film The Social Network de David Fincher sont devenus cette année les premiers milliardaires en bitcoin.

Dans un contexte où la Maison Blanche fait marche arrière sur le traité iranien, le bitcoin pourrait devenir un moyen de contourner la crise. Il est fort possible que l’on assiste à l’émergence d’une nouvelle époque, où le dollar ne serait plus la monnaie de référence. N’étant pas une monnaie contrôlée par un État – une première dans l’histoire – le bitcoin pourrait bien être en passe de changer durablement les relations internationales. En effet, l’utilisation généralisée du bitcoin, qui est par essence une monnaie non gérée par des instances étatiques, pourrait permettre d’affranchir les entreprises de la logique quelque peu impérialiste des États-Unis sur leur monnaie. Il faut aussi se poser la question de l’impact de la généralisation de cette devise sur les stratégies de politique monétaire des États. Le bitcoin a la capacité de refonder les politiques économiques et monétaires, ainsi que de relativiser leurs impacts respectifs sur les différents acteurs économiques.

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Naël DE LA SAYETTE

Consultant en diplomatie d'affaires et intelligence économique, Naël de La Sayette est spécialisé sur les questions moyen-orientales. Il a rejoint Les Yeux du Monde en 2016.

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