Le Festival de Cannes: stars, paillettes et soft power
Le 67ème Festival de Cannes est lancé mercredi 14 mai 2014. L’événement le plus médiatisé au monde après les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde de football se déroulera jusqu’au 25 mai 2014. Il s’agit de la plus grande manifestation mondiale du 7ème art. Les meilleures cinématographies du globe y sont en compétition pour décrocher la Palme d’or, véritable Saint Graal pour un cinéaste. Toutefois, dans les coulisses de cet événement international, d’abord mondain puis devenu populaire, se déroule une partie de poker intense entre États par films interposés ainsi que des négociations économiques qui se chiffrent en centaines de millions d’euros.
À l’origine, l’idée d’un festival international du film venait des Alliés Français, Anglais et Américains qui souhaitaient contrer la montée des cinémas fascistes et nazis des années 1930. Programmé le 1er septembre 1939 (date de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne d’Hitler), le premier festival n’eut lieu qu’en 1946, à la fin de la 2nde Guerre mondiale. Dès ses débuts, le Festival de Cannes symbolise le mélange du show-business, des vedettes françaises et des stars hollywoodiennes. Les Palmes d’or constituent de véritables médailles pour leurs détenteurs, synonymes de gloire et de fierté nationales.
Au XXIème siècle, l’accentuation de la médiatisation de cet événement dépasse la sphère du cinéma et de la culture. Le nombre de professionnels des médias à Cannes a été multiplié par 5 en 40 ans. Son organisation dépasse les 20 millions d’euros, financés pour moitié par le ministère de la culture, la ville de Cannes, le Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur et le Conseil général des Alpes-Maritimes. Des sociétés privées et d’autres partenaires officiels du Festival participent au financement (Renault, L’Oréal, Chopard, HP, LG,…).
La célèbre montée des marches jusqu’au Palais des festivals et des Congrès de Cannes représente une parade du soft power des États dont les stars foulent le tapis rouge. Cela permet aux États les mieux dotés en célébrités d’« exister sur un mode ‘glamour’ dans la constellation des nations » (Monique Dagnaud). Ainsi peut-on affirmer que la montée des marches lors du Festival de Cannes est au soft power ce que le défilé militaire est au hard power d’un État. Dans les deux cas, il s’agit d’une démonstration de puissance orchestrée.
Par ailleurs, le cinéma véhicule des représentations et des symboles qui fascinent les spectateurs et façonnent l’imaginaire collectif. Les États qui développent une cinématographie performante jouissent d’une capacité de séduction élevée ce qui leur permet de briller sur la scène internationale et d’en retirer un supplément de prestige et de popularité dans le monde entier. Le film est une vitrine d’une cinématographie et d’un pays ; le Festival international du film de Cannes est une galerie marchande et publicitaire qui vend … des États. Avec le nation branding, on assiste à l’irruption de la publicité et du marketing dans les relations internationales : les Américains promeuvent l’American way of life à travers leurs blockbusters alors que les Français revendiquent l’exception culturelle (French Touch) dans des films d’auteurs.
Non loin du Palais, le Village International de Cannes constitue la tribune des cinématographies du monde entier (créé en 2000 avec 12 pays, il compte aujourd’hui plus de 60 pays). Ces États profitent d’une médiatisation inégale selon leurs succès, leur nombre de films en compétition et les médias présents. En 2014, seulement 4 films sur 18 en compétition ne sont pas occidentaux. L’an passé, le nombre de professionnels accrédités au Festival de Cannes étaient d’environ 30 000 dont 11 752 Français, 3 405 Américains et seulement 440 Africains.
De plus, à l’écart des projecteurs et des flashs d’appareils photos, se tient chaque année à Cannes le Marché du Film. Il s’agit plus grand marché du film au monde (loin devant Toronto, Berlin et Venise). Certaines sociétés de production vont y faire plus de la moitié de leur chiffre d’affaires annuel. Haut lieu d’échanges et de négociations commerciales pour les professionnels des industries cinématographiques du monde entier, il dispose de sa plateforme internet et de sa base de données, Cinando, accessible en trois langues (anglais, espagnol et chinois) et qui regroupent plus de 10 500 participants, 1 500 projections, des sociétés, producteurs, agents, projets en développement et films. S’y ajoute le Producers Network ; un réseau doublé d’un programme exclusif de rencontres, composé de 550 producteurs, dont le but est d’encourager les coproductions et de favoriser les opportunités de financement et de distribution.
En somme, le Festival de Cannes demeure un triple événement à la fois médiatique, géopolitique (gain de soft power pour les États qui augmentent leur pouvoir d’attraction) et géoéconomique (Marché du Film, rayonnement sur les autres activités notamment le tourisme). La Palme d’or revient à la France qui demeure la « patrie du cinéma » (Frédéric Mitterrand). En attendant, de nouveaux venus font leur apparition au sein du Village International de Cannes à l’instar du Cameroun, de l’Égypte et de Chypre et qui bousculeront peut-être un jour la hiérarchie des puissances cinématographiques, dominée par les États-Unis et la France.